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Le "long combat" des victimes de l'attentat de Karachi à l'épreuve du procès financier

Convaincus que l'attentat de Karachi, en 2002, trouve son origine dans des malversations financières liées à des contrats d'armement, les avocats de blessés et familles de victimes ont exhorté mercredi le tribunal correctionnel de Paris à reconnaître leur qualité de partie civile au procès du volet financier de cette affaire.

La tâche est délicate pour les défenseurs de veuves, d'orphelins ou de blessés de l'attentat qui, le 8 mai 2002, coûta la vie à 15 personnes, dont 11 employés français de la Direction des constructions navales (ex-DCN) travaillant à construire des sous-marins dans le grand port pakistanais.

A eux de démontrer qu'ils ont leur place dans le volet financier de l'affaire, qui porte sur des soupçons de commissions occultes sur des ventes d'armement à l'Arabie Saoudite et au Pakistan, en marge de la campagne présidentielle malheureuse d'Édouard Balladur en 1995.

"C'est déjà une victoire pour les parties civiles d'être là, car si elles n'avaient pas déposé plainte, il n'y aurait pas de procès aujourd'hui", souligne l'avocat Olivier Morice, qui défend plusieurs familles.

C'est là le paradoxe: ces familles endeuillées sont à l'origine de ce procès financier, dans lequel six hommes comparaissent depuis le 7 octobre pour abus de biens sociaux, complicité ou recel.

Mais rien ne dit que le tribunal, dans son délibéré, jugera recevable leur constitution de partie civile. Car le procès vise à décrypter des flux financiers, pas à établir les causes de l'attentat, objet d'une enquête antiterroriste qui suit son cours.

Pour Olivier Morice et sa consoeur Marie Dosé, les deux volets sont toutefois "indivisibles".

A leurs yeux, l'arrêt en 1995 du versement de commissions qui auraient servi in fine à financer Edouard Balladur par le biais de rétrocommissions illégales, arrêt décidé par le président Chirac, est à l'origine de l'attentat survenu sept ans plus tard. Et ces représailles portent la marque des services secrets pakistanais.

Cette thèse ressort des rapports Nautilus, constitués de notes rédigées dès 2002 par un ancien des services de renseignement. L'enquête antiterroriste s'était éloignée de la piste du groupe Al-Qaïda en 2009 pour l'explorer. Mais, dans une synthèse datée d'avril, les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) estiment qu'aucun élément sérieux ne permet de l'étayer et continuent de privilégier une piste islamiste.

- "Morts loin de nous" -

Pour Olivier Morice, qui pointe le "long combat" des familles, "on a voulu, dans cette affaire, bâillonner la recherche de la vérité pour des raisons d'influence politique".

Et les parties civiles ont le sentiment que la France, comme le ministère public, les a "complètement abandonnées". "Depuis le début, nous pensons, et nous le vivons très mal, qu'il y a une forme de protection d'un certain nombre d'hommes politiques dans ce dossier", insiste l'avocat.

Il s'adresse aux prévenus, parmi lesquels Renaud Donnedieu de Vabres, alors proche collaborateur du ministre de la Défense François Léotard, et Nicolas Bazire, ex-directeur de campagne d'Edouard Balladur: "Vous êtes à mon sens la parfaite illustration du cynisme d'une République qui par certains égards est corrompue".

"Depuis le début règnent à ce procès une suffisance, une arrogance et un mépris assez insupportables", abonde Marie Dosé.

Tous deux soulignent "la souffrance des familles" et leur grande dignité.

Lundi, la fille d'une victime et un ouvrier blessé dans l'attentat étaient venus témoigner.

"Nous sommes convaincus que sans les malversations financières liées à l'existence de ces contrats et de ces rétrocommissions, nos pères et maris n'auraient pas été assassinés. Tout est lié", avait souligné, voix tremblante, Sandrine Leclerc, venue par "colère et sens du devoir", "pour nos proches, morts loin de nous à Karachi".

Très affecté, Gilles Sanson avait évoqué pudiquement "l'horreur" de l'attentat dans lequel il a été blessé et avait conclu, en larmes: "J'aimais mon entreprise, mon pays, mon drapeau. Aujourd'hui je déteste mon entreprise, je n'ai plus de pays, je n'ai plus de drapeau".

Le procès se poursuit jusqu'au 31 octobre.

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