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Le retour en Haïti de Mélissa Laveaux et son vaudou électrique

"Toutes les spiritualités méritent d'être explorées musicalement": dans son album "Radyo Siwèl", la Canadienne Mélissa Laveaux plonge dans ses racines haïtiennes, jusqu'au vaudou, et se réapproprie le patrimoine de l'île à la guitare électrique.

Mélissa Laveaux n'est pas née en Haïti, que ses parents ont fui pendant la dictature de "Papa Doc" au milieu des années 60. Mais la chanteuse y est revenue la trentaine passée, après un premier séjour lorsqu'elle était enfant. Un retour aux sources entrepris en 2016 avec dans les oreilles la voix de Martha Jean-Claude, une grande dame de la musique haïtienne des années 50, que sa famille écoutait au Canada.

"Au départ, je voulais vraiment faire un album d'hommage à Martha Jean-Claude, qui m'a beaucoup inspirée. Et quand je suis arrivée en Haïti, je me suis dit que le projet était plus large. J'ai trouvé d'autres airs, des textes, des bouts de phrases. J'ai choisi des chansons par rapport à leur place dans l'inconscient collectif et leur signification militante", explique-t-elle à l'AFP.

Le voyage a donné naissance à "Radyo Siwèl", son troisième opus, le premier en créole, paru en février.

La plupart des airs choisis ramènent à la période de l'occupation américaine en Haïti entre 1915 et 1934. Ces chants de révoltes étaient interprétés de village en village par les "bann grenn siwèl", les orchestres folkloriques haïtiens.

"Ces musiciens étaient considérés comme peu recommandables par les élites", explique l'ethnomusicologue américain Gage Averill. "Ils passaient pour des +tafyetè-yo+, des gros buveurs et des coureurs de jupons, avec leurs chansons souvent pleines de +betiz+, d'obscénités. Mais quand la résistance à l'occupation a commencé à grandir, les allusions critiques contre les Américains sont devenues de plus en plus fréquentes."

Dans son album, Mélissa Laveaux reprend "Angeli-ko", écrit par Auguste Linstant de Pradines en 1920. "C'est l'histoire de la femme d'un militaire américain qui ne sait pas tenir sa maison. Son mari la houspille et lui dit de rentrer chez sa maman. Une manière pour les Haïtiens de dire aux Américains, +rentrez chez vous. Vous ne savez pas comment ça fonctionne ici+", raconte-t-elle.

- Acte de résistance -

Musicalement, elle n'a pas voulu reprendre les chansons "de manière traditionnelle": "ça ne sert à rien de faire un truc qui ne sonne pas aussi bien que l'original".

C'est donc son style incisif, un rock électrique teinté de sons caribéens qui s'affirme, tout comme sa voix mordante, entre cris de joie, de colère et transe vaudoue.

Née à Montréal puis élevée à Ottawa dans un milieu catholique, Mélissa Laveaux s'est plongée à corps perdu dans le vaudou haïtien pour l'album.

Le vaudou était aussi un acte de résistance contre les occupants américains. Plusieurs titres y font explicitement référence, comme Lasirèn Labalèn (La sirène, la baleine), deux divinités qui prennent pour époux les hommes qui perdent leurs chapeaux à la mer. "Nibo", une chanson du carnaval de 1936, évoque l'esprit d'un jeune homme tué violemment et qui représente la rébellion.

Chez Mélissa Laveaux, la révolte est festive et sensuelle. "Je peux chanter de manière joyeuse un texte mélodramatique. C'est quelque chose de très haïtien. Nos mamans sont un peu comme des mamas italiennes, très expressives, qui se tapent la poitrine en se plaignant de leurs enfants", sourit-elle.

La jeune femme entame jeudi aux Etoiles à Paris une tournée en France, qui passera également par la Belgique et la Suisse. Puis elle ira défendre ses chansons en juin en Haïti, à Port-au-Prince, Pétion-Ville et Jacmel. "Si les anciens me disent que c'est bon, c'est bon", poursuit celle qui s'est installée à Paris il y a dix ans.

A 33 ans, elle espère en profiter pour peaufiner son créole, qu'elle entendait enfant à la maison. "Nos parents ne parlaient créole que pour nous engueuler ou raconter des potins au téléphone!"

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