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Législatives au Liban: le vote de la diaspora, une première pleine d'incertitudes

Logistique, transparence, impact politique: pour la première fois depuis l'indépendance du pays, les Libanais vivant à l'étranger participent vendredi et dimanche aux élections législatives, mais cette grande première suscite peu d'engouement et beaucoup d'interrogations.

Les 12.611 ressortissants libanais inscrits dans les pays arabes ouvrent le vote vendredi, avant les 70.289 des autres pays dimanche. Les électeurs du Liban sont, eux, appelés aux urnes le 6 mai.

Dans un pays où la vie politique est régie par un fragile équilibre confessionnel, la question a longtemps fait débat, illustrant les rapports de forces entre les différentes communautés religieuses.

Au total, 82.900 Libanais résidant dans 39 pays se sont inscrits sur les listes électorales. Un chiffre faible, comparé au nombre total de ressortissants du pays du Cèdre dans le monde, estimé au minimum à un million, dont deux-tiers sont en âge de voter, selon des experts.

La diaspora dans son ensemble, incluant les descendants d'émigrants qui n'ont pas la nationalité, est, elle, évaluée entre 8 et 12 millions.

Pour une première, "c'est satisfaisant", affirme à l'AFP une source diplomatique.

"Cette nouvelle expérience a fait l'objet de très peu de publicité. Et beaucoup (d'expatriés) ne sont pas convaincus par le mécanisme ni par l'impact qu'aura leur vote", explique Akram Khater, directeur du Centre d'études sur la diaspora libanaise, à l'Université de Caroline du Nord (Etats-Unis).

Face aux 3,7 millions d'inscrits au Liban, le poids politique du vote des Libanais de l'étranger paraît anecdotique. "Symbolique", estime Said Sanadiki, consultant indépendant en questions électorales.

- 232 bureaux -

Le droit de vote des expatriés était une revendication historique des leaders chrétiens, soucieux de maintenir leur communauté dans le jeu politique malgré l'émigration massive de leurs coreligionnaires, notamment au XIXe siècle et durant la guerre civile (1975-1990).

"Les sunnites y étaient globalement opposés, ils considéraient cela comme une tentative de contrecarrer leur poids démographique croissant", explique M. Khater.

"La communauté chiite a changé de position (...) et l'a finalement soutenu avec l'émigration de beaucoup de +compatriotes+", notamment vers l'Afrique de l'Ouest, détaille-t-il.

Au sein de l'électorat chrétien, les votes d'expatriés pourraient s'avérer cruciaux pour trancher entre listes concurrentes.

"Certains partis (chrétiens) comme Les Forces Libanaises et Marada travaillent farouchement (pour mobiliser) en Australie, en France", où les expatriés se sont inscrits en grand nombre, note Ali Mourad, maître de conférence en droit public à l'Université arabe de Beyrouth.

La disposition était déjà prévue pour les législatives de 2013 qui ne se sont jamais tenues, le Parlement élu en 2009 ayant prorogé à trois reprises son mandat en invoquant notamment des risques sécuritaires.

Pour ce premier scrutin, il n'y a pas de circonscriptions spécifiques pour les Libanais de l'étranger. Leurs votes sont comptabilisés dans leurs circonscriptions d'origine.

Au total, 232 bureaux de vote sont installés, notamment dans les ambassades et consulats, selon un conseiller du ministère des Affaires étrangères.

Ils seront gérés par le personnel diplomatique ainsi que par des personnes engagées spécialement pour l'occasion.

A la clôture, les bulletins, triés par circonscriptions, seront envoyés à Beyrouth, conservés à la Banque centrale avant d'être transmis le 6 mai aux différentes circonscriptions pour dépouillement.

- "Test" -

Certains partis voient dans cette circulation des bulletins un risque de manipulation.

"Au Liban, la manipulation électorale est plutôt dans le +gerrymandering+, le découpage des circonscriptions, que dans la manipulation directe des urnes ou des résultats", tempère M. Mourad, pour qui les éventuels problèmes pourraient venir "de failles dans l'organisation, avec des fonctionnaires de bureaux pas bien formés conduisant à des erreurs".

Pour rassurer sur la transparence des opérations, le gouvernement a annoncé que les bureaux de vote seraient surveillés par caméras.

Le faible engouement des expatriés s'explique aussi par une certaine désillusion. "Beaucoup sont réticents à participer à ce qu'ils considèrent comme des élections (...) qui remettront au pouvoir les mêmes hommes politiques issus des mêmes partis", souligne M. Khater.

La "méfiance envers les instances organisatrices des élections" vient aussi du fait qu'elles ont des intérêts dans ce scrutins: "Les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères sont eux-mêmes candidats", relève Said Sanadiki.

Certains expatriés pourraient toutefois chercher une alternative dans les candidats de la société civile qui tentent leur chance avec le nouveau mode de scrutin proportionnel.

D'un point de vue logistique mais aussi politique, "c'est un test très important", estime Akram Khater.

"Selon la loi électorale, aux prochaines législatives (de 2022), six sièges seront alloués à la diaspora, ça changera la donne", souligne M. Sanadiki.

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