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Les Cubains face à la fin de l'ère Castro

Ils sont agriculteur, danseur, musicien ou pêcheur, et nourrissent des espoirs autour de la transition qui se prépare à Cuba, où une nouvelle génération s'apprête à prendre le pouvoir pour la première fois depuis six décennies.

Après 48 ans de mainmise sans partage de Fidel Castro, décédé en 2016, son frère Raul, qui a mené une timide ouverture économique, cédera à son tour la présidence le 19 avril. Un passage de témoin historique qui alimente beaucoup de débats dans la grande île caribéenne, et même au-delà.

- "Améliorer la production" -

Fils de paysans pauvres à qui Fidel Castro a redistribué des terres après la révolution de 1959, Fernando Hernandez a passé près de 40 ans à cultiver ses champs de tabac de Vuelta Abajo, dans la province de Pinar del Rio (ouest), dont sont issus les meilleurs cigares du monde.

"Depuis la révolution, le cultivateur de tabac est un privilégié", reconnaît ce "guajiro" ("paysan" cubain) de 50 ans, qui regrette toutefois l'insuffisance du matériel fourni par l'Etat. Le nouveau gouvernement "devrait intervenir un peu plus (...) pour améliorer la production", plaide le quinquagénaire, en pleine récolte de printemps.

M. Hernandez est convaincu que le nouveau président sera comme attendu le numéro deux du régime Miguel Diaz-Canel, 57 ans, "bien formé" selon lui. Mais la vieille garde "doit rester au bureau, pour surveiller le nouveau". Car "ce qui a été conquis ne doit pas se perdre".

- "Laisser leur chance aux jeunes" -

Esmerido Morales, 45 ans, a renoncé à son emploi de fonctionnaire dans l'entretien de la voie publique à Matanzas (100 km à l'est de La Havane), parce que son salaire ne pouvait couvrir les besoins de sa famille. Aujourd'hui, il s'en sort grâce à la pêche.

"Le problème est que (les dirigeants) parlent beaucoup à Cuba. (...) Ce que nous voulons, c'est qu'ils fassent au lieu de dire", poursuit ce métis corpulent qui n'hésite pas à critiquer le système d'élection indirecte du président en vigueur sur l'île.

"Il faut aussi laisser une chance aux jeunes, ça ne peut pas être comme ça: tiens c'est toi le président! Il faut que le peuple décide aussi", fulmine-t-il.

Esmerildo assure avoir confiance en M. Diaz-Canel, une "personne cultivée", mais souligne que "ce qui est fondamental est l'économie, le salaire qui ne suffit plus" dans un pays où le traitement mensuel des fonctionnaires stagne autour de 30 dollars.

- "Plus de révolution" -

Agé de 57 ans, Ignacio Dominguel se dit heureux de gagner sa vie comme musicien de rue dans le port de Cienfuegos (centre-sud), qui a vu grandir l'un des plus illustres musiciens cubains, Benny Moré.

"Moi j'espère que la révolution continuera à Cuba, comme l'ont dit Raul Castro et notre commandant Fidel Castro", explique ce castriste convaincu en guettant les terrasses garnies de touristes.

"En tant que Cubain, j'espère qu'il y aura un meilleur contexte économique pour le prochain gouvernement", poursuit M. Dominguel, ajoutant très sérieusement qu'il souhaite surtout "que Cuba reste le pays de la musique, de la guaracha, du son et du boléro!".

- "Des progrès" -

Lisset Suarez, 29 ans, est ravie d'avoir pu suivre une formation de danse contemporaine à Ciego de Avila (centre), qui lui permet d'exercer son talent à l'étranger.

"Beaucoup comme moi pensaient que les choses ne fonctionneraient pas à cause de la raideur de Raul Castro, mais (...) ces dix dernières années nous avons vu des progrès", souligne la danseuse, en pleine préparation pour une tournée de sa compagnie en Chine.

Toutefois, relève-t-elle, dans sa ville de Ciego de Avila, "nous avons besoin d'une amélioration des transports, des logements et de l'alimentation, insuffisante et très chère". "Franchement, j'attends qu'ils prennent nos demandes en compte".

- Les privés, "moteur" de l'économie -

A 22 ans, Maite Cruz achève sa cinquième année d'économie à l'université de La Havane, espérant faire carrière dans la diplomatie.

En vue de la transition à venir, cette jeune fille menue au verbe facile appelle de ses voeux davantage d'écoute à l'égard des jeunes, qui parfois "ne sont pas pris en compte", et des universitaires, puisque ceux-ci "peuvent apporter beaucoup".

A ses yeux, il sera surtout important ces prochaines années de continuer à développer l'entrepreneuriat privé, "moteur" de l'économie dont la progression s’est vue "limitée" par "des erreurs administratives et d'organisation".

- "Bateau à la dérive" -

De l'autre côté du Détroit de Floride, Giovanni Bessada, 30 ans, a choisi voici deux ans et demi de quitter son île avec son épouse mexicaine. Electricien naval, il travaille comme serveur au Havana 1957, bar cubain emblématique de Miami Beach, en Floride, et ne cache pas son amertume vis-à-vis de son gouvernement.

Cuba est "un bateau la dérive". "Il ne s'agit pas changer de président, il s'agit de placer de nouvelles personnes à la tête du pays pour réparer tout le désastre, parce qu'à Cuba rien ne fonctionne".

"Je rêve du Cuba d'avant la révolution, mais sans le gouvernement en place à l'époque, qui était pire. Une belle Cuba. Géographiquement elle est magnifique. Son peuple est incroyablement aimable et éduqué".

- "Paix, union et tranquillité"-

Toujours vêtue de blanc, fleur rouge dans les cheveux et cigare à la bouche, Juana Rios tire les cartes aux Cubains et aux touristes depuis 30 ans sur la place de la cathédrale de La Havane.

"L'élève n'est pas aussi bon que le maître", mais "Raul Castro s'est bien débrouillé", souligne-t-elle du haut de ses 75 ans.

Interrogée sur l'avenir du pays, Juana voit dans les cartes qu'après le 19 avril "il y aura paix, union et tranquillité", avec aussi "un peu de stagnation, mais cela se résoudra".

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