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Loi Blanquer: les jardins d'enfants craignent d'être les victimes collatérales

En France, ils accueillent quelque 10.000 enfants de 2 à 6 ans mais craignent de disparaître: ni crèche, ni école, les jardins d'enfants refusent d'être les victimes par ricochet de la "loi Blanquer", actuellement examinée par le Sénat, qui rend l'instruction obligatoire dès trois ans.

"Pourquoi détruire ce qui fonctionne bien et qui a fait ses preuves dans l'accueil de la petite enfance?", s'interroge, incrédule, Eudes Philippe, animateur à la Buissonnière de l'Aar à Strasbourg, l'un des 21 jardins d'enfants alsaciens qui accueillent au total 1.200 bambins.

La question résume toute l'inquiétude suscitée depuis plusieurs semaines par le projet de loi "pour une école de la confiance", un texte porté par le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer: adopté en février en première lecture par l'Assemblée nationale, il prévoit d'abaisser à trois ans, contre six actuellement, l'âge obligatoire de l'instruction -- et donc, quasiment de fait, celui de la scolarisation.

Objet sur les réseaux sociaux d'une rumeur balayée par M. Blanquer qui l'a qualifiée de "bobard" (les jardins d'enfants vont remplacer les écoles maternelles), ce projet de loi laisse aux 320 jardins d'enfants français deux ans pour se transformer en crèche ou en écoles privées.

- "Oubliés!" -

De quoi donner des sueurs froides aux personnels de ces structures et aux parents qui ont fait le choix de ce mode de garde certes assez répandu en Europe, à l'image de l'Allemagne, mais plus marginal en France.

"On a été purement et simplement oubliés!", peste Aurélie Ira, directrice du jardin d'enfants strasbourgeois "Les Tout Petits d'Alsace", structure multilingue (français, allemand et anglais) qui accueille 88 bambins.

Il y a quelques semaines, Mme Ira a créé le Collectif des jardins d'enfants d'Alsace, qui regroupe une quinzaine de structures dans la région, et a multiplié les contacts - députés, sénateurs - pour plaider leur cause.

Parallèlement, à Paris, des parents ont constitué une association de Défense collective des amis des jardins d'enfants (Décollaje).

Samedi dernier, une manifestation réunissant professionnels et parents a eu lieu à Strasbourg, après une grève des éducateurs début avril à Paris. Une pétition en ligne lancée par la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje) a pour l'instant recueilli 12.500 signatures.

Eudes Philippe, lui, suspecte la méconnaissance du secteur par les rédacteurs du projet de loi: "Je pense qu'ils ne se sont pas rendu compte qu'il y avait d'autres systèmes ou d'autres lieux éducatifs (que l'école), c'est bien dommage..."

Cousins des "Kindergarten" et "Kitas" allemands, les jardins d'enfants sont des structures associatives ou municipales payantes et sont reconnues depuis 2007 Etablissement d'Accueil du Jeune Enfant (EAJE) par la Protection maternelle et infantile (PMI). Elles ne dépendent pas du ministère de l'Education nationale, mais de celui de la Santé.

- "Non-sens" -

Elles proposent une alternative à la maternelle: les petits y sont pris en charge par des éducateurs de jeunes enfants formés aux pédagogies privilégiant le développement personnel de l'enfant (Montessori, Freinet ou Steiner), et non par des enseignants.

L'accueil en petits groupes, alors que les classes de maternelle peuvent compter plus d'une trentaine d'élèves, pour un encadrement moindre, plaide Aurélie Ira qui explique que dans sa structure, il y a "deux à trois éducateurs pour chaque groupe de 22 enfants".

De nombreux jardins accueillent également sans problème des enfants en situation de handicap, souligne-t-elle.

Cette semaine, les partisans des jardins d'enfants avaient les yeux rivés sur le Sénat, où le projet de loi Blanquer est examiné jusqu'à mardi, jour du vote solennel.

Avec une surprise: le gouvernement y a proposé un amendement prévoyant que "l'instruction puisse être donnée aux enfants de 3 à 6 ans" au sein des jardins. L'amendement restreint toutefois cette mesure aux jardins ouverts "à la date d'entrée en vigueur de la présente loi".

C'est positif car il "préserve les (structures) existant(e)s" sans toutefois permettre "la création de nouveaux (jardins), c'est fort dommage", a réagi Vanina Pialot, Parisienne et cofondatrice de Décollaje.

Certes, cet amendement est un premier pas, mais in fine, c'est l'Assemblée qui a le dernier mot et "l'inquiétude, c'est que l'amendement du Sénat ne soit pas adopté en l'état", poursuit Vanina, prudente.

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