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Mai 68: entre crise dans l'Eglise et printemps "catho de gauche"

1968? Un temps de crise pour l'Eglise, où un vent de liberté pousse prêtres et fidèles au départ. Mais des catholiques engagés à gauche ont aussi vécu les événements de mai comme un moment florissant, qui paraît loin 50 ans plus tard.

Le mai 68 ecclésial a peut-être c ommencé dès le concile Vatican II (1962-1965), ce vaste chantier romain de mise à jour ("aggiornamento") du logiciel catholique pour répondre aux défis de la modernité.

C'est la thèse développée par Guillaume Cuchet dans son essai "Comment notre monde a cessé d'être chrétien" (Seuil). L'historien tente de comprendre quand et pourquoi s'est produit le "krach" démographique de la France catholique, où un quart de la population allait encore à la messe chaque dimanche au milieu des années 60, contre à peine 2% aujourd'hui.

Avec le concile, beaucoup de fidèles, notamment parmi les jeunes, se sont sentis déliés de l'obligation de la pratique dominicale, analyse l'auteur.

"Mai 68 a surtout amplifié une tendance qui existait", explique-t-il à l'AFP. Mais "le mouvement apporte des éléments nouveaux liés à la crise du clergé. C'est le début d'une contestation franche de l'autorité dans une institution où règne une mystique de l'obéissance, qui nous paraît exotique à distance", poursuit l'universitaire. En quinze ans, de 1965 à 1980, 4.000 prêtres français quittent les ordres.

Les chrétiens de progrès ne sont pas restés à l'écart de mai 68, quand ils ne se sont pas placés aux avant-postes de la contestation. Le 21 mai est publié un "Appel aux chrétiens" signé par 14 personnalités, dont le dominicain Marie-Dominique Chenu et le protestant Paul Ricoeur. Elles y affirment que "la présence des chrétiens à la révolution suppose et requiert la présence de la révolution à l'Eglise".

Le 28 mai, l'écrivain Maurice Clavel prophétise que "cette révolution est d'abord spirituelle".

Un gauchisme catholique prospère sur fond de solidarité tiers-mondiste, à l'image du bulletin "Frères du monde", animé par des franciscains flirtant avec le maoïsme. Même le nouvel archevêque de Paris, le bientôt cardinal François Marty, fait valoir le 23 mai que "Dieu n'est pas conservateur", il est "pour la justice".

La même année, en juillet, un événement va hâter le divorce d'une partie des catholiques avec l'institution ecclésiale: la parution de l'encyclique "Humanae vitae" qui, en rappelant l'opposition de Rome à toute contraception artificielle, semble à contre-courant des ouvertures de Vatican II et de mai 68.

- "Fin de la récréation" -

"Depuis, l'Eglise peut dire ce qu'elle veut: les catholiques décident très largement, dans leur for intérieur, de leur vie intime", résume le sociologue Jean-Louis Schlegel.

Dix ans après 1968, l'arrivée d'un pape polonais issu du bloc communiste sur le trône de saint Pierre va sonner le "retour à l'ordre", selon l'expression de l'historien Denis Pelletier. "Jean-Paul II siffle la fin de la récréation: il rappelle la Loi dans beaucoup de domaines, notamment celui des moeurs, et +recléricalise+ fortement l'Eglise", estime Jean-Louis Schlegel.

Mais des réseaux traditionalistes, attachés au latin dans la liturgie voire hostiles à la liberté religieuse, restent en marge de l'Eglise romaine, quand ce n'est pas à l'écart comme les intégristes schismatiques de Mgr Lefevbre.

D'autres catholiques peuvent être perçus comme les "héritiers paradoxaux" de ces années d'effervescence, selon Denis Pelletier: les charismatiques, attachés à un réveil missionnaire inspiré du pentecôtisme américain, se sont inscrits dans la "composante communautaire" de mai 68. Mais ils se sont largement institutionnalisés depuis et, doctrinalement, campent souvent à mille lieux de l'esprit libertaire qui a soufflé sur le mouvement.

"Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est un retour du catholicisme par la droite", confirme Denis Pelletier, qui insiste toutefois sur la pluralité des positionnements catholiques dans l'espace public.

"Nous avons connu une trop longue période de réaction restauratrice, de provocations traditionalistes", déplore Mgr Jacques Noyer dans le livre "Mai 68 raconté par des catholiques" (Temps Présent).

A 90 ans, l'évêque émérite d'Amiens sent toutefois renaître "un désir populaire de droit à la parole, un goût de liberté", et fait crédit au pape François "d'appeler à aller vers les périphéries". Peut-être, espère-t-il, l'Eglise se dirige-t-elle "vers un nouveau printemps?"

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