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Mexico-1968: Tommie Smith, saisir l'Histoire d'un poing levé

La carrière sportive du Noir américain Tommie Smith se fige il y a 50 ans, le 16 octobre 1968 au soir, sur la photo du podium du 200 m des Jeux de Mexico, tête baissée et poing droit ganté de noir levé vers le ciel.

Normal que le focus encadre le sublime vainqueur, qui vient le premier de franchir le mur des 20 secondes (19 sec 83) sur le demi-tour de piste... tout en se relevant à 20 mètres de l'arrivée.

Septième d'une famille de onze enfants, dont le père cueillait le coton, Smith distillait de l'or avec sa longue foulée capable de s'envoler en fin de course. Sur 200 m et sur 400 m, la distance qui instille le poison de l'acide lactique dans la dernière ligne droite.

Mais c'est un autre venin que le Texan entend dénoncer pendant que résonnent les notes de l'hymne américain (La Bannière Etoilée): les conditions de vie de la communauté noire aux Etats-Unis.

La question est d'autant plus brûlante que le pasteur Martin Luther King, apôtre de la non-violence, a été assassiné quelques mois auparavant et qu'un mouvement pour les droits civiques, "Olympic Project for Human Rights" (OPHR), avait invité les athlètes de couleur à boycotter les JO mexicains.

- Tribune -

Smith, né le 6 juin 1944 -jour du débarquement en Normandie-, se rappelle qu'en 1966 il battait en série des records du monde métriques et en yards, mais pouvait aussi, en privé, chanter a capella "Nobody knows the trouble I've seen", un negro spiritual d'anthologie.

S'il n'est pas extrémiste, +Tommie Jet+ est néanmoins pétri de conviction et d'engagement. Et la tribune est toute trouvée avec la cérémonie de remise des médailles du 200 m.

C'est là que l'histoire, en se focalisant sur Smith, a longtemps été réductrice. Encadrant le vainqueur, John Carlos (médaille de bronze), autre Afro-américain et partenaire d'entraînement de Smith à l'Université d'Etat de San Jose (Californie), et Peter Norman (argent), l'Australien blanc et blond, partagent en effet les mêmes sentiments que lui.

L'objectif s'élargit alors: de particulière, la photo, une des plus emblématiques du XXe siècle, devient cliché d'une famille partageant les mêmes idéaux. Carlos, né à Harlem d'un père cordonnier, a le poing gauche levé et ganté de noir. Norman, fils de boucher et proche de l'Armée du Salut, se tient droit et solennel. Comme ses compagnons de podium, le sprinter des antipodes arbore le badge de l'OPHR et a posé à ses côtés ses chaussures, en signe de pauvreté.

Tout est profusion de symboles dans ce tableau, dont le collier de petites pierres que Carlos s'est mis autour du cou, en hommage aux Noirs lynchés.

- Exclu à vie des JO -

Les trois hommes paieront cher ce geste de solidarité: les deux Américains sont suspendus de l'équipe américaine et exclus à vie des JO, l'Australien devient un paria dans son pays.

Smith et Carlos finiront par renouer avec l'athlétisme, notamment comme entraîneurs. Norman, lui, est emporté le 3 octobre 2006 par une crise cardiaque. Ses deux compagnons de podium font le long voyage à Melbourne pour porter sur leurs épaules le cercueil de leur ami de 38 ans. Tous trois sont nés en juin, le mois de l'espérance, +le Summertime+ de Porgy and Bess.

"Peter était un roc et un phare. L'avoir croisé, connu et apprécié a été un cadeau du ciel", a salué Smith, les larmes aux yeux.

Ignorés en leur temps, Smith et Carlos sont finalement honorés par Barack Obama en septembre 2016, lors d'une cérémonie à la Maison-Blanche: "Nous sommes honorés d'avoir les légendaires Tommie Smith et John Carlos ici aujourd'hui", affirme ce jour-là le premier président noir des Etats-Unis. Et il ajoute: "Leur puissante protestation silencieuse aux Jeux de 1968 a été controversée, mais elle a réveillé les consciences".

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