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Migration: avec ou sans le "Titre 42", des Haïtiens toujours dans le flou aux portes des Etats-Unis

"Ils disent qu'ils vont ouvrir la frontière aujourd'hui. Tu crois que c'est vrai?". A 300 mètres des Etats-Unis, Michelle attend un éventuel assouplissement des restrictions américaines (de nouveau reporté vendredi), comme des milliers de migrants bloqués au Mexique.

A tout hasard, sur la foi d'une rumeur, la jeune Haïtienne de 26 ans est venue jusqu'aux escaliers du pont piétonnier qui traverse le Rio Grande (ou le Rio Bravo pour le Mexique) à Reynosa, dernière étape sur la route des migrants avant le Texas.

Ce jeudi, elle ne fera que s'asseoir sur les marches, en plein centre-ville de la ville-frontière qui s'étire sous un soleil de plomb.

La frontière n'est pas entièrement fermée. Vendredi matin, des migrants (Haïtiens et Honduriens surtout) sont passés légalement, à bord d'un "School bus" jaune de ramassage scolaire qui les a conduits jusqu'au pont.

"Ce sont des familles qui ont obtenu le droit de rentrer aux Etats-Unis à travers leurs avocats", explique le pasteur Hector Silva, responsable d'un centre d'hébergement qui les accompagne.

En attendant peut-être leur propre jour de chance, Michelle et plusieurs centaines d'Haïtiens patientent dans la poussière de Reynosa, connue pour des épisodes de violences liées au narco-trafic.

Avec les moyens du bord (Facebook, WhatsApp), ils suivent le bras de fer entre la Maison Blanche et la justice américaine sur le "Titre 42" qui les concerne directement.

Vendredi, un juge conservateur a empêché l'administration Biden de lever cette restriction sanitaire qui permet de renvoyer immédiatement les migrants sans visa vers le Mexique, avant même qu'ils ne puissent déposer une demande d'asile.

Le gouvernement Biden a immédiatement annoncé sa décision de faire appel du jugement.

- "Passé le fleuve, la gloire"-

A Reynosa, le "Titre 42" est une préoccupation parmi d'autres, avec l'avocat qu'il faut trouver au Mexique ou aux Etats-Unis, le logement, la santé, la nourriture, les enfants.

Et les avis sont partagés et contradictoires.

"S'ils le lèvent (le titre 42), les Etats-Unis vont déporter davantage de gens. Il est préférable pour nous qu'ils le prolongent", avancent Sarah Jimenez, une Dominicaine qui voyage avec son mari haïtien.

On est dans la nuance juridique, qui pèse si lourd sur des vies fragilisées: expulsés sous le Titre 42, les migrants peuvent retenter leur chance autant de fois qu'ils le souhaitent depuis le Mexique. En revanche, c'est plus difficile, une fois "déportés" vers leur pays d'origine.

"Il y a beaucoup d'incertitude et peu d'informations officielles", résume la responsable humanitaire de Médecins Sans frontière, Anayeli Flores. "Les gens sont dans la confusion. Ils ne savent pas par quelle procédure commencer".

Une chose est sûre: les migrants n'ont jamais été aussi nombreux.

Début mai, près de 2.000 d'entre eux dont des femmes et des enfants ont été évacués par la mairie d'une place du centre-ville où ils avaient campé pendant des mois.

Le centre d'accueil du pasteur Hector Silva affiche complet, avec trois autres refuges confessionnels (catholiques ou protestants). Le dernier, le centre Kaleo, a été construit en trois mois, entre janvier et son inauguration en avril.

A la tête du refuge "Senda Vida" (Chemin de vie), le pasteur doit gérer la colère des célibataires qui s'estiment lésés par rapport aux couples et aux familles.

L'homme a son franc-parler. "Aies confiance en Dieu", lance-t-il lors d'une discussion avec des migrants.

"Tu dois y mettre du tien aussi. Tu dois aller chercher un travail, tu dois chercher un foyer pour ton épouse, pour protéger ton enfant du soleil", ajoute-t-il.

Une mini-société s'organise dans les petites rues de Reynosa, aux portes du Texas et de l'opulente McAllen. Sur fond de "Nortena" (musique traditionnelle empreinte de nostalgie), les habitants semblent s'habituer à la présence des étrangers qui vaquent à leurs occupations.

Certains dorment encore dans la rue. Mieux lotis, quelques uns louent des appartements sans dépôt de garantie pour 1.500 à 2.000 pesos par mois (75 à 100 dollars).

Ricardo, un Haïtien de 15 ans, attend son père parti travailler pendant toute la journée. Son rêve? Passer aux Etats-Unis. Il ne parle pas anglais, raconte-t-il dans un espagnol parfait. "Ca s'apprend", lâche-t-il désinvolte après plusieurs années d'école au Chili.

"Ma femme voulait retourner au Honduras. Pas moi parce que dès que tu as passé le fleuve, c'est la gloire. Le rêve de beaucoup, pas seulement le mien", conclut un Hondurien, candidat au passage vers les Etats-Unis.

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