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Mondiaux d'athlétisme: le public absent? "Un problème mais pas seulement à Doha", estime El Guerrouj

"On a perdu la connexion avec notre public", déplore le Marocain Hicham El Guerrouj, légende du demi-fond (quadruple champion du monde et double champion olympique), interrogé par l'AFP sur le manque de spectateurs aux Mondiaux, qui se déroulent à Doha jusqu'à dimanche.

Question: Quelle était l'importance du public pour votre performance?

Réponse: "Le public a toujours joué un rôle important dans ma carrière, c'était le moteur, le déclencheur de mes performances. Malheureusement parfois des stades sont moins remplis, comme lors de mes records du monde du mile (Rome 1999) et du 2000 m (Berlin 1999). Quand ils sont pleins, ça pousse à aller vite comme à Sydney en 2000 (JO), Paris en 2003 (Mondiaux) ou Athènes en 2004 (JO). C'est normal, on est juste des êtres humains, on s'entraîne toute l'année dans le vide, dans la forêt, sans personne, au stade avec notre coach seulement…"

Q: Comment juger le manque de public à Doha jusqu'ici?

R: "C'est un problème, mais pas uniquement à Doha, qui a toujours existé, dans plusieurs championnats. Si on parle de 1999 à Séville (Espagne) le stade était vide les cinq premiers jours, Edmonton (Canada, 2001) aussi. Aujourd'hui c'est vrai qu'il y a des problèmes à Doha, mais c'est un problème plus large de l'athlétisme. On a perdu la connexion avec notre public. On doit faire mieux pour attirer les gens. Nous pratiquons un sport exceptionnel, le premier pratiqué par l'être humain, plus pratiqué que le football. Il nous manque des outils pour attirer le public au stade."

Q: Les conditions du marathon à Doha (les hommes courent samedi), ne sont-elles pas dangereuses?

R: "Dangereuses, je ne pense pas. C'est difficile, douloureux, mais c'est supportable. J'ai déjà couru dans des conditions compliquées, comme à Séville en 1999 (...) et il faut regarder les choses de manière globale. On était obligés de venir ici à Doha, demain on sera obligés d'aller ailleurs, sur de nouveaux continents, dans d'autres pays. On ne peut pas rendre ce sport universel sans prendre le risque d'aller dans des pays comme le Qatar."

Q: La finale du 1 500 m a lieu dimanche, comment expliquer que votre record du monde tienne toujours (3:26.00 à Rome en 1998)?

R: "Lorsque j'ai battu mes records du monde (il détient aussi celui du +mile+ et du 2 000 m, ndlr) je ne pensais pas qu'ils tiendraient aussi longtemps. Pour moi les records sont faits pour être battus. Donc je suis heureux et fier qu'ils tiennent, mais malheureux en même temps qu'aucun athlète n'ait pu les approcher en 22 ans. C'est vrai qu'ils sont durs à battre, j'avais grandement souffert pour les réaliser. Le +mile+ surtout, c'est le plus difficile à battre."

Q: Comment s'était déroulée cette fameuse course à Rome ?

R: "C'était le 14 juillet 1998, juste après que la France ait gagné la Coupe du monde de football à Paris. Je me souviens le matin, alors que je faisais mon footing, Haile Gebrselassie (l'Ethiopien double champion olympique) vient chez moi et me dit: +Hicham, aujourd'hui tu vas battre le record du monde+. Et je l'ai battu. Mentalement et physiquement j'étais très fort. J'aurais dû courir moins de 3 min 25 sec, j'en avais la capacité. Mon objectif c'était moins de 3 min 24."

Q: Vous avez couru en 2003 contre le Kényan Eliud Kipchoge et l'Ethiopien Kenenisa Bekele, aujourd'hui les deux meilleurs marathoniens du monde. Que vous inspirent-ils?

R: "Les deux sont des athlètes exceptionnels qui ont marqué l'histoire, déjà sur 5000 m et 10.000 m. Et ils continuent à courir, à se dépasser et à pousser leur corps. Ils font des choses inimaginables. Tous les deux ont la capacité de courir le marathon en moins de deux heures facilement. Ils ont de l'endurance, la force physique et mentale. J'espère voir Kipchoge faire tomber la barrière des deux heures (le Kényan essaiera lors d'un marathon non officiel le 12 octobre à Vienne)."

Propos recueillis par Ziad Bouraad et Robin Gremmel

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