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Nicaragua : des francs-tireurs formés pour tuer, terreur des manifestants

Ils sont bien entraînés, tirent pour tuer et sont devenus la terreur des manifestants contre le président Daniel Ortega : selon des experts et des militants des droits de l'homme, des para-militaires pro-gouvernementaux sont derrière ces coups de feu mortels.

La terreur a régné ce week-end à Masaya, près de Managua, où des habitants munis de mortiers artisanaux se sont affrontés à la police anti-émeutes et à des groupes pro-gouvernementaux qu'ils accusent de procéder à des actes de pillage et d'incendie dans la ville.

A l'aide de meubles, de pièces métalliques et de tout ce qui pouvait leur tomber sous la main ils ont érigé des barricades dans presque toutes les rues de cette agglomération de plus de 100.000 habitants, parvenant pour le moment à repousser largement les forces de sécurité du président Ortega, qu'ils accusent de vouloir s'accrocher au pouvoir.

Mais ils ne peuvent pas faire grand chose contre les francs-tireurs qui, dénoncent-ils, les abattent froidement un à un depuis des positions situées autour du centre-ville.

Rien que d'entendre le mot "francotirador" (franc-tireur) est suffisant pour semer la panique dans la foule qui s'enfuit, éperdue, dans les rues rectilignes de la ville qui n'offrent que peu d'abris pour éviter les tirs des snipers.

"Une balle s'est logée ce matin dans la poitrine de mon voisin", a confié samedi à l'AFP Jonhatan Jose, 47 ans. "C'était un franc-tireur... Vous pouvez le dire par la taille de la blessure, énorme".

Arman Garcia, un manifestant qui se sert d'un bandana comme masque, confirme que "vous ne pouvez rien faire" si un franc-tireur vous a placé dans sa ligne de mire. "Leurs tirs sont précis et mortels : la tête, l'abdomen, le torse", explique cet homme de 37 ans.

A Managua, des récits appuyés par des vidéos font état de francs-tireurs habillés en civil pointant leurs armes contre des manifestants.

Seize personnes ont été tuées mercredi dernier dans la capitale, où de tels tireurs d'élite positionnés dans le stade de baseball et d'autres bâtiments ont de toute évidence tiré sur la foule qui défilait à l'initiative des mères des victimes de la violence qui secoue ce pays d'Amérique centrale.

Au moins 110 personnes ont péri depuis le début des manifestations le 18 avril, selon le Centre nicaraguayen pour les droits de l'homme.

Daniel Ortega, 72 ans, dément pour sa part que l'armée ou la police aient ouvert le feu contre des civils.

Les autorités médicales ont signalé aux organisations de défense des droits de l'homme que de nombreuses blessures causées par ces tirs correspondent à celles provoquées par le fusil Dragunov, une arme de précision redoutable d'origine soviétique, indique le journal La Prensa.

Le Dragunov a été introduit à une large échelle au Nicaragua après le renversement du dictateur Anastasio Somoza, en 1979, par les maquisards sandinistes de Daniel Ortega qui installèrent dans le pays un régime communiste.

Ce fusil est devenu alors une arme de choix pour les éléments irréguliers de l'armée et les forces anti-insurrectionnelles chargés bientôt de combattre les Contras, financés par les Etats-Unis qui redoutaient un tel régime marxiste non loin de leurs frontières.

De telles formations étaient nombreuses et beaucoup de personnes ont appris à manier le Dragunov, souligne l'ancien major Roberto Samcam, ancien maquisard sandiniste, aujourd'hui critique virulent de Daniel Ortega.

"Vous avez besoin d'un entraînement spécial si vous visez une cible lointaine. Mais si vous voulez toucher quelqu'un dans une manifestation de 100.000 personnes, une telle expertise n'est pas nécessaire", poursuit l'ancien militaire.

Lorsque Daniel Ortega a perdu le pouvoir en 1990 à la suite d'élections, beaucoup de ses anciens maquisards ont quitté l'armée en prenant leurs armes avec eux, redoutant des attaques de la part des Contras.

Ils sont souvent restés farouchement fidèles à Ortega, revenu au pouvoir en 2006 et que ses adversaires accusent aujourd'hui de vouloir s'accrocher au pouvoir.

Mercredi dernier, des messages vidéo ont circulé sur les réseaux sociaux appelant ces anciens militaires à "défendre la patrie" et à "exterminer les parasites". L'épouse de Daniel Ortega, Rosario Murillo, très impopulaire, avait eu recours à ce terme pour désigner les manifestants.

Selon Roberto Samcam, de tels messages étaient un appel évident pour que les anciens militaires nicaraguayens répriment les mouvements de protestation. "Ces forces para-militaires sont organisées et armés par le gouvernement. Daniel Ortega en est responsable", accuse-t-il.

Ironie de l'Histoire : le dictateur Somoza, renversé par Daniel Ortega, a été également accusé d'utiliser des francs-tireurs. "Daniel (Ortega), Somoza, sont la même chose", scandent les manifestants nicaraguayens.

Daniel Ortega est devenu à son tour "le dictateur qu'il a tellement combattu pour le renverser", confie, amer, un jeune manifestant.

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