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Offensive turque en Syrie: plus de 80 combattants kurdes morts dans la région d'Afrine, mais aussi 28 civils

L'armée turque et ses alliés dans les rangs des rebelles arabes syriens ont lancé mardi plusieurs assauts dans le nord de la Syrie, dans la région d'Afrine, bastion des Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde honnie par Ankara mais soutenue par Washington. De violents affrontements s'y sont déroulés, et, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), plus de 80 combattants des deux camps ont été tués depuis le début de l'offensive turque, aérienne et terrestre, samedi.

Les combats, et surtout les bombardements turcs, ont également fait de nombreuses victimes civiles, 28 selon l'OSDH. Ankara dément de son côté avoir touché des civils. "Grâce à Dieu, nous allons sortir victorieux de cette opération, ensemble avec notre peuple et l'Armée syrienne libre", a déclaré le président Erdogan lors des funérailles du premier soldat turc tué dans les combats, mardi. Les forces pro-Ankara, appuyées par l'aviation et l'artillerie turques qui pilonnent la région d'Afrine, ont repris deux villages de la région depuis samedi, selon l'OSDH.

L'offensive turque "pourrait s'étendre à Manbij" (ville à une centaine de kilomètres à l'est d'Afrine), "voire à l'est de l'Euphrate", a prévenu mardi le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, s'exprimant au micro de la chaîne de télévision France 24.

La Turquie a lancé son opération après l'annonce par la coalition internationale antidjihadistes emmenée par les Etats-Unis de la création d'une force frontalière de 30.000 hommes dans le nord syrien, avec notamment des combattants des YPG. Les YPG sont en effet l'épine dorsale d'une alliance de combattants kurdes et arabes soutenue par Washington dans la lutte contre le groupe djihadiste Etat islamique (EI) en Syrie. Mais Ankara accuse les YPG d'être la branche en Syrie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.


Les Kurdes craignent d'être lâchés par leurs alliés

Les Kurdes de Syrie, qui ont combattu le groupe Etat islamique (EI), craignent d'être désormais abandonnés par leurs alliés occidentaux.

Les YPG (Unités de protection du peuple) sont l'épine dorsale des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes soutenue par Washington dans la lutte contre l'EI. Elle a offert au président américain Donald Trump sa première victoire militaire en faisant tomber Raqa, la capitale de facto des jihadistes en Syrie.

Mais Ankara refuse l'établissement à sa frontière sud d'une fédération auto-proclamée par les Kurdes, la Rojava, au nom de sa sécurité nationale, et accuse la milice d'être la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.

Pour les responsables kurdes, la fédération est une expérience démocratique qui pourrait servir d'exemple au reste de la Syrie quand le pays sortira de la guerre civile, qui a fait plus de 340.000 morts depuis 2011.

"Pour nous, les Etats-Unis ont une obligation morale de protéger la démocratie et le système démocratique dans cette région", a dit à Washington Sinam Mohamed, représentante de la Rojava, assurant que le PKK est un problème interne à la Turquie.

Les responsables américains, jusqu'à M. Trump qui doit parler mercredi à son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, ont appelé la Turquie à "la retenue" tout en reconnaissant son "droit légitime" à se "protéger".

Le président français Emmanuel Macron s'est dit "préoccupé" et l'Union européenne "extrêmement inquiète" par cette offensive.


"Maintenant, les Etats-Unis sont silencieux et c'est décevant"

Washington a soutenu militairement les Kurdes combattant l'EI à l'est de l'Euphrate mais, à l'ouest du fleuve, les peshmergas sont seuls. Omar Mahmoud, un civil originaire de Tal Tamr (nord-ouest de la Syrie), est indigné par le "silence américain" face à l'offensive turque.

"Les Kurdes ont combattu Daech (acronyme arabe de l'EI, NDLR), pour défendre tout le monde, ils se coordonnaient avec la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis", a dit l'homme de 35 ans à l'AFP. "Maintenant les Etats-Unis sont silencieux et c'est décevant".

"L'aviation turque survole Afrine, et tue les enfants et les femmes, au prétexte que nous sommes des séparatistes, mais on fait partie de la Syrie", affirme Massoud Baravi, un autre civil, âgé de 34 ans.

Les Etats-Unis semblent pourtant sensibles au sort des Kurdes d'Afrine. Le secrétaire d'Etat Rex Tillerson a eu des conversations "franches et sérieuses" avec son homologue turc Mevlut Cavusoglu, selon la porte-parole Heather Nauert.

La région d'Afrine "était relativement stable comparé au reste de la Syrie", a-t-elle dit, récusant la thèse turque d'une présence de l'EI.

Mais Washington a peu de moyen de pression sur Ankara, son allié au sein de l'Otan. Les relations sont tendues depuis plusieurs mois en raison du soutien américain aux Kurdes et l'offensive en cours souligne sa perte d'influence dans un conflit qui rebat les cartes.

Et la Turquie n'aurait pas attaqué sans le feu vert --qu'elle affirme avoir reçu-- de la Russie, soutien essentiel du régime du président syrien Bachar al-Assad. Les troupes russes combattent aux côtés de l'armée syrienne et des milices chiites contrôlées par l'Iran, principal soutien régional de Damas.

Ankara s'est également engagé dans les négociations pour la paix en Syrie menées par Moscou, parallèlement à celles conduites par l'ONU et soutenues par Washington. En échange, selon l'analyste de la Fondation pour la défense des démocraties Merve Tahiroglu, M. Erdogan aurait obtenu du président russe Vladimir Poutine qu'il laisse les forces turques prendre Afrine.

Des responsables kurdes ont indiqué à l'AFP que Moscou leur avait offert une protection contre la Turquie s'ils laissaient leurs territoires au régime syrien, et avait retiré son soutien aérien quand ils avaient refusé la proposition. L'accord pourrait aussi prévoir une pause dans les combats entre les rebelles pro-Turcs et l'armée syrienne à Idleb (nord-est).

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