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Philippines: la Cour suprême démet sa présidente, une détractrice de Duterte

Les juges de la Cour suprême des Philippines ont voté vendredi le limogeage de leur présidente, une voix critique qui a pourfendu la campagne meurtrière contre la drogue du président Rodrigo Duterte et son bilan en matière de droits de l'Homme.

A l'annonce de la décision contre Maria Lourdes Sereno, environ 2.000 manifestants se sont rassemblés devant la plus haute cour de l'archipel pour dénoncer les menaces contre la démocratie.

Mme Sereno, première femme à présider la Cour suprême, figure parmi les personnalités de l'archipel qui ont été ciblées après avoir critiqué le président.

Elle a été destituée par huit voix contre six, a déclaré à la presse Theodore Te, un porte-parole de cette instance.

"Mme Sereno est disqualifiée et donc coupable d'exercer illégalement la présidence de la Cour suprême", a-t-il dit. "La décision est immédiatement exécutoire sans que la Cour n'ait besoin de prendre une mesure supplémentaire".

La Cour suprême accuse Mme Sereno d'avoir omis de déclarer ses actifs et passifs au cours des années écoulées, ce qu'elle dément catégoriquement.

Mme Sereno doit en parallèle affronter une procédure d'impeachment à l'américaine, c'est-à-dire de mise en accusation devant la chambre des représentants, la chambre basse du Congrès.

Elle a promis de lutter pied à pied contre cette procédure qui verrait les représentants voter la mise en accusation et renvoyer son cas devant le Sénat, qui serait alors chargé de la juger.

"La situation actuelle aux Philippines est telle que ceux qui sont perçus comme des ennemis de l'ordre dominant sont considérés comme les cibles légitimes du harcèlement, de l'intimidation et de la persécution", déclarait-elle en mars.

- "Nouvel épisode dictatorial" -

M. Duterte avait enjoint le mois dernier aux parlementaires "d’accélérer" la mise en accusation, faute de quoi, "je le ferais pour vous", avait-il menacé.

Mme Sereno est accusée de s'être soustraite au paiement de deux millions de pesos (40.000 dollars) d'impôts et d'avoir falsifié des jugements de la Cour suprême.

L'opposition au président accuse ce dernier de vouloir écarter ses ennemis et de régner en autocrate sur l'archipel.

Le limogeage "est une nouvel épisode de la dictature", a dit dans un communiqué depuis sa cellule de prison la sénatrice Leila de Lima, elle aussi une détractrice du président qui avait été arrêtée en février pour des raisons qualifiées de "politiques" par le Parlement européen. Elle a évoqué les "derniers soubresauts d'une démocratie constitutionnelle mourante".

Le défunt dictateur Ferdinand Marcos avait instauré la loi martiale aux Philippines en 1972, gouvernant d'une main de fer l'archipel jusqu'à la révolution de 1986 qui l'a contraint à fuir aux Etats-Unis avec sa famille. Le souvenir de cette époque reste vivace pour beaucoup.

Quelques minutes après son éviction, une Mme Sereno souriante est sortie du bâtiment abritant la Cour suprême pour dire à ses partisans que le combat n'était pas terminé.

"Aujourd'hui, ce n'est pas la fin, c'est juste le début", a-t-elle lancé, sans autre précision sur ses intentions.

Le prédécesseur de Mme Sereno, Renato Corona, avait été reconnu coupable de corruption par le Sénat en 2012. Le président de l'époque Benigno Aquino avait soutenu qu'il s'agissait de lutter contre la culture de corruption qui gangrène le pays depuis des décennies.

Il n'avait pas fallu attendre longtemps après l'élection de M. Duterte en 2016 pour que les divergences éclatent avec Mme Sereno.

Cette dernière s'était montrée critique envers la campagne antidrogue du président. Elle s'était inquiétée du fait qu'il avait publiquement accusé sept juges, désignés nommément, d'être mêlés au trafic de drogue. M. Duterte avait répliqué en menaçant de décréter la loi martiale.

Depuis l'arrivée de M. Duterte au pouvoir, la police déclare avoir tué environ 4.200 personnes soupçonnées de trafic ou de consommation de drogue. Les défenseurs des droits évoquent un bilan trois fois supérieur.

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