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Pour d'ex-employés afghans de l'armée française, un visa mais rien d'autre

Nuit à l'aéroport, errance de foyers en hôtels: contrairement à leurs prédécesseurs, les derniers anciens employés afghans de l'armée française rapatriés en France n'y sont plus accueillis et encadrés par l'Etat, et n'évitent la rue que grâce à la solidarité d'autres Afghans, d'élus et d'associations.

"Sans Hayatullah, on aurait sans doute dormi dans la rue". Assis dans le canapé du salon de son ami, Jamil Baher, 28 ans, n'en finit plus de le remercier d'être venu le chercher début août à l'aéroport parisien de Roissy à son arrivée d'Afghanistan avec sa femme, ses trois enfants de 3 ans, 2 ans et six mois, et deux sacs d'habits pour tout bagage.

Ils ont ensuite pris le train pour Chalon-sur-Saône (Centre-est), où Hayatullah Haidary, 31 ans, les a installés dans son petit trois pièces, au second étage d'un petit immeuble de Lux, paisible banlieue verdoyante.

"Je devais l'aider. On a travaillé ensemble en 2011 et 2012 sur la base militaire française de Tora, moi comme magasinier, lui qui faisait le ménage au restaurant du commandant", explique Hayatullah.

Après le retrait français du pays fin 2012, ils ont fait état de menaces et demandé un visa pour Paris, comme une partie des quelques 770 personnels civils de recrutement local (PCRL) employés par l'armée française à partir de 2001. Et l'ont obtenu sept ans après, mais pas avec les mêmes droits.

"Quand je suis arrivé fin janvier, on m'a accueilli à l'aéroport, trouvé un logement, donné une carte de séjour de dix ans, inscrit à la Sécurité sociale (...) aidé pour l'école des enfants... Jamil n'a pas droit à tout ça", dit Hayatullah. Jamil hoche la tête: "Je ne comprends pas".

Hayatullah a bénéficié du traitement accordé aux quelque 225 anciens personnels civils afghans que Paris a sélectionnés et fait venir en 2013, 2015 et 2018-2019, avec plus de 500 femmes et enfants.

Jamil n'avait lui pas été retenu, et à comme une trentaine d'autres déposé un recours devant le tribunal administratif. En cours de procédure, le gouvernement français a réexaminé son cas et lui a finalement donné un visa en juillet, explique son avocate Sophia Toloudi.

- Restos du coeur -

Mais ceux qui ont eu leur visa après contentieux en justice doivent payer leur billet et, une fois en France, se débrouiller seuls pour obtenir le droit d'asile. Sachant qu'une partie, comme Jamil, ne parle pas français.

Ramin Ramesh, 31 ans, est arrivé en France le 13 août avec ses trois enfants et sa femme enceinte de plus de six mois. Après quelques péripéties, la famille est aujourd'hui à Metz (Est), dans une chambre d'un foyer pour migrants trouvée par une association locale.

"Je me retrouve sans rien, logé avec des réfugiés sans papier", explique M. Ramesh. "C'est scandaleux, on les autorise à venir puis on leur applique un droit d'asile de seconde catégorie", dénonce Mme Toloudi.

Abdul Hai Sattary, 62 ans dont 5 comme interprète anglophone de l'armée française, a lui atterri à Roissy le 24 juillet, avec ses deux enfants et sa femme, handicapée et en fauteuil roulant.

Ne sachant où aller, ils passé la nuit dans l'aéroport. Finalement accueillis quelques jours par un autre ex-interprète afghan, ils sont aujourd'hui logés dans un hôtel par une commune.

"On va au Restos du coeur (banque alimentaire, NDLR), où on nous donne du lait, des boîtes de thon, du pain et des gâteaux. Rien d'autre, car on ne peut pas cuisiner à l'hôtel", explique M. Sattary, dépité.

Pour l'Association des interprètes afghans de l'armée française, la France a restreint l'aide pour tenter de décourager les autres candidats. En vain, selon sa vice-présidente Caroline Decroix, car peu importe ce qui les attend à l'arrivée, les Afghans, "en danger chez eux", "veulent être protégés, c'est tout".

Interrogés par l'AFP, les ministères concernés (Affaires étrangères, Armées, Intérieur) évitent de s'exprimer sur le sujet. "C'est un dossier sensible et compliqué, il n'y a pas de réponse type, chaque cas est unique", note juste une source gouvernementale.

- Bilan positif -

Quelque 150 ex-PCRL afghans recalés se disent menacés et réclament un visa, mais pour l'administration, "il est difficile de faire un lien entre ces menaces et leur fonction au sein de l'armée française" il y a au moins sept ans, argumente une source proche du dossier.

"Les menaces restent nombreuses encore aujourd'hui", répond Quentin Muller, qui a publié cette année avec Brice Andlauer un livre sur le sujet, "Tarjuman, enquête sur une trahison française" (Bayard).

Le 14 août, grâce à une mobilisation initiée par le sénateur socialiste Jérôme Durain, Jamil et sa famille ont investi un trois pièces à Blanzy, à une trentaine de kilomètres de Lux, où tout était prêt pour les accueillir, de la literie aux biscuits et conserves.

Les élus locaux passent depuis tous les jours pour assister Jamil, un peu démuni sans Hayatullah, en espérant lui trouver vite un logement à Chalon, plus près d'autres Afghans.

"Il y a une injustice, l'Etat doit aligner les droits de la famille de Jamil Baher sur ceux obtenus par les autres afghans. Ils doivent être accueillis dans de bonnes conditions", souligne le sénateur Durain.

Le préfet Jean-Jacques Brot, qui a coordonné pour le gouvernement l'accueil des réfugiés entre 2015 et 2017, dresse un bilan positif de l'arrivée des ex-PCRL afghans: "Il y a eu parfois des difficultés, mais entre services nationaux et élus locaux, elles ont été réglées". Si certains peinent à trouver un travail, nombreux sont ceux qui suivent des formations.

Dans son salon presque vide, Hayatullah se dit "très heureux" de cette "nouvelle vie" loin de Kaboul "où on ne sait jamais si on rentrera vivant le soir". A ses côtés, son fils Irfan, un blondinet de 6 ans, chantonne un tube de Kenji Girac. Le petit revient chaque jour de l'école avec de nouveaux mots français. Son père sourit: "Bientôt ce sera lui, notre traducteur!"

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