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Près de Jérusalem, l'immobilier menace un village témoin de l'histoire

Près de la maison en ruines de son enfance, Yacoub Odeh craint qu'un programme immobilier israélien oblitère ou défigure à jamais le vieux village palestinien aujourd'hui abandonné de Lifta, où il a grandi.

"Je veux revenir chez moi, dans ma maison, dans mon village, sur ma terre", explique ce Palestinien âgé de 77 ans.

Lifta, localité peuplée d'Arabes dans la Palestine sous mandat britannique avant la création d'Israël en 1948, fait partie désormais de la municipalité israélienne de Jérusalem.

Les défenseurs du lieu le décrivent comme un exemple unique et largement intact de village palestinien traditionnel, avec ses dizaines de maisons arabes en pierre à flanc de colline, dans un cadre bucolique à l'entrée de Jérusalem-Ouest.

Mais Lifta est aujourd'hui menacé par un projet de villas et de commerces.

Déserté en 1948, Litfa, à la différence de tant d'autres localités palestiniennes, n'a jamais retrouvé de seconde vie ni n'a été démoli, disent ses défenseurs. Il a ainsi conservé ses bâtisses anciennes à entrée voûtée, les vestiges de son système de pressoirs, de sa mosquée et de ses terrasses.

Une piscine naturelle dans le centre du village continue à servir à la baignade par les chaudes journées estivales. Amandiers, figuiers et oliviers parsèment les collines environnantes.

Lifta figure sur une liste indicative de candidats à l'enregistrement au patrimoine mondial de l'Unesco. L'organisation World Monuments Fund (Fonds des monuments mondiaux) l'a inscrit sur sa liste de sites menacés.

- Des villas, un hôtel -

Des Israéliens et des Palestiniens se sont organisés pour protéger le village, avec des raisons parfois divergentes.

Les Palestiniens comme Yacoub Odeh qui ont été chassés de leurs maisons en 1948 par la guerre ayant conduit à la création d'Israël espèrent récupérer leurs terres un jour.

D'autres veulent perpétuer avec Lifta le souvenir des épreuves endurées par les Palestiniens.

Pour les Israéliens membres de la coalition "Sauvons Lifta", le village doit être préservé comme un site unique.

"C'est le plus bel endroit du monde", estime Yoni Yochanan, 57 ans, qui a été parmi les derniers à partir il y a quelques mois.

Ses parents se sont installés à Lifta en 1951 après leur arrivée du Kurdistan. Il n'est pas contre le développement du site, mais réclame qu'on en conserve l'histoire.

Face aux résistances, une commission de la municipalité de Jérusalem a reporté en août l'examen du dossier, dont la dernière version en date prévoit 212 villas avec un espace commercial et un hôtel, indique l'architecte Shmuel Groag, membre de "Sauvons Lifta".

Mais les autorités israéliennes, qui forment de longue date des projets de développement pour Lifta, ne baissent pas les bras. L'organisme public chargé d'administrer les terrains compte lancer la commercialisation dans les mois à venir, selon une porte-parole.

"Un plan de construction a été mis au point qui permet le développement dans le strict respect des exigences de la conservation", a répondu Ortal Tzabar par courrier électronique à l'AFP.

- 'Monument officieux' -

"Maintenir le site en l'état reviendrait à laisser les bâtiments tomber progressivement en ruines", dit-elle.

Les impératifs de préservation risquent d'alourdir la note pour un entrepreneur. Mais l'emplacement, à une dizaine de minutes de la Vieille ville de Jérusalem avec une vue imprenable sur les collines alentour, peut valoir le coup pour un investisseur.

L'histoire de Lifta remonterait au moins au 13ème siècle avant J.-C., note Dafna Golan, membre de "Sauvons Lifta". Certains voient là le village juif biblique de Mei Neftoach. Il a été reconstruit à plusieurs reprises, et il reste 55 maisons du village de 1948.

"Je dirais que c'est un témoignage figé dans le temps de la destruction des villages" de 1948, note l'architecte Shmuel Groag.

C'est pourquoi le village agace autant les autorités qui "ne veulent pas que cela devienne une sorte de monument officieux à la mémoire des villages détruits", explique-t-il.

Des centaines de milliers de Palestiniens, dont les habitants de Lifta, avaient alors fui leurs villages. Les Palestiniens appellent la création d'Israël la Nakba, ou catastrophe.

Après 1948, les autorités israéliennes ont favorisé l'installation à Lifta de juifs venus de régions comme le Kurdistan ou le Yémen.

Au fil des ans, ils ont déménagé, et les 13 dernières familles ont été indemnisées pour partir ces derniers mois et permettre l'élargissement d'une autoroute voisine.

Yacoub Odeh montre les anciens fours où sa mère faisait cuire le pain. Il suit le chemin qui menait à la maison familiale. "Je suis content de venir voir ma maison (...) de respirer la terre", confie-t-il. "Mais en même temps je suis triste de ne pas pouvoir rester."

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