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Querelle à Prague autour d'une colonne à la Vierge

Une colonne baroque avec une Vierge dorée au sommet, déboulonnée en 1918 car perçue comme un symbole impérial habsbourgeois, pourrait de nouveau se dresser dans la vieille ville de Prague, mais ce projet suscite la polémique dans un pays des plus athées.

"Le jour où la colonne sera érigée, on saura qu'une réconciliation a bien eu lieu. Il ne faut pas se rejeter sans cesse des torts historiques", affirme le sculpteur Petr Vana.

Auteur d'une réplique du monument détruit, il espère l'installer à son emplacement d'origine sur la Place de la Vieille Ville à Prague, défiant la municipalité - qui, d'abord hostile, semble hésiter maintenant - et une partie de l'opinion publique, dans un pays où 20% seulement de la population se sont déclarés croyants lors du recensement de 2011. La République Tchèque passe pour le pays le plus athée d'Europe après l'Estonie.

Plusieurs tentatives similaires avaient été déjouées par les nazis et les communistes. Peu après 1989, une "Association pour le renouveau de la colonne mariale" a été fondée par des catholiques traditionalistes et des amoureux du vieux Prague.

"J'ai été invité par l'association à choisir la technologie et à établir le budget. Et puis, j'ai compris l'énorme profondeur spirituelle du projet", raconte M. Vana. Croyant, il a consacré au projet deux décennies de sa vie.

Haute de 15 mètres, la colonne est érigée au début des années 1650 en hommage aux défenseurs de Prague contre les protestants suédois vers la fin de la Guerre de trente ans (1618-1648).

Mais aux yeux des simples Tchèques, elle devient un symbole d'une recatholisation imposée par les Habsbourg autrichiens dans ce pays chérissant le réformateur religieux Jan Hus, accusé d'hérésie et brûlé vif à Constance en 1415.

- "Symbole de l'intolérance" -

"Loin de Vienne, loin de Rome!", scande la foule en délire qui fait tomber la colonne le 3 novembre 1918, moins d'une semaine après la proclamation de l'indépendance de la Tchécoslovaquie, sur les décombres de l'empire d'Autriche-Hongrie.

Des raisons similaires animent aujourd'hui les Pragois opposés à sa réinstallation.

"La colonne était un symbole de l'intolérance religieuse", a dit à l'AFP l'un des contestataires du projet, Jan Vano, en marge d'un récent rassemblement pacifique de quelques centaines de personnes, partagées entre partisans et adversaires du projet.

Ces derniers ont réagi à l'annonce du début des travaux. "Nous ne voulons pas la colonne de l'humiliation", clamait une pancarte portée par le traducteur Zdenek Zacpal.

Selon lui, la colonne était un "monument cynique" car elle était située non loin du lieu où 27 leaders d'une insurrection protestante tchèque contre Vienne avaient été exécutés en 1621.

- Imbroglio -

L'affaire s'accompagne d'un imbroglio administratif. L'association dispose d'un permis de construire qui expire fin juillet. Selon la mairie, ce permis n'est toutefois qu'un document général, insuffisant pour commencer les travaux à un endroit précis.

En septembre 2017, le conseil municipal a voté contre la réinstallation de la colonne. Cette résolution est toujours en vigueur et "le conseil municipal n'est nullement obligé d'en expliquer les raisons", a déclaré à l'AFP le porte-parole de la mairie, Vit Hofman.

La mairie actuelle, issue des élections municipales de 2018, "a hérité de cette décision comme d'un boulet de forçat et ne sait pas très bien quelle attitude adopter", estime le sculpteur, qui passe désormais ses jours et ses nuits sur la Place de la Vieille Ville, avec d'autres membres de l'association.

Ces derniers ont tenté à deux reprises ces jours derniers de donner un premier coup de pioche dans les pavés, avant de se heurter à l'opposition de la police municipale dont une voiture y stationne jour et nuit.

"Un seul cachet officiel nous manque et j'espère que nous l'aurons bientôt pour mener à bien nos efforts", assure M. Vana.

L’archevêque de Prague Dominik Duka est favorable au projet "en tant que catholique et citoyen", mais l'archevêché n'y participe pas.

Entretemps, l'ouvrage de 60 tonnes repose à bord d'un bateau ancré sur la rivière Vltava traversant Prague, en attendant une décision.

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