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Skripal: la famille d'un transfuge soviétique vit dans la peur

La famille d'un important transfuge soviétique au Royaume-Uni, décédé en 2001 à Salisbury, vit dans "une peur bleue" depuis l'empoisonnement de l'ex-agent double russe Serguei Skripal et sa fille dans la même ville, a confié son fils à l'AFP.

"Toute personne normale aurait peur", a confié Nikita Pasetchnik lors d'une interview réalisée dans le Dorset, comté du sud-ouest de l'Angleterre où il réside, imputant la mort de son père aux services de sécurité russes.

Son père, le scientifique Vladimir Pasetchnik, qui travaillait en Union soviétique sur un programme d'armes biologiques, avait fait défection au Royaume-Uni en 1989 et était décédé d'un accident vasculaire cérébral (AVC) douze ans plus tard.

Cette peur est alimentée par l'empoisonnement au Novitchok, un puissant agent neurotoxique de conception soviétique, de Sergueï Skripal et sa fille Ioulia début mars à Salisbury. Ils étaient sortis d'affaire après plusieurs semaines d'un lourd traitement médical.

Londres avait pointé du doigt la responsabilité de la Russie, qui a nié toute implication, engendrant une grave crise diplomatique entre Moscou et les Occidentaux.

L'affaire a rebondi fin juin avec l'empoisonnement d'un couple de Britanniques à Amesbury, non loin de Salisbury, entrés par hasard en contact avec le poison. Dawn Sturgess, 44 ans, est décédée le 8 juillet tandis que son compagnon Charlie Rowley a survécu.

"Même ici, au Royaume-Uni, je ne me sens pas en sécurité. C'était un de leurs objectifs avec Skripal", a livré Nikita Pasetchnik. "Ces deux affaires sont différentes, mais leurs similitudes font que je crois qu'ils ont tué mon père. Ils l'ont empoisonné et ils ont empoisonné Skripal", a affirmé ce père de famille.

Le spécialiste informatique de 53 ans souhaite que la mort de son père fasse l'objet d'une enquête. Mais "ma famille ne veut pas être exposée. Elle a une peur bleue".

- "Très inhabituel" -

Vladimir Pasetchnik était un biologiste de premier plan qui a fui l'Union soviétique alors que la Guerre froide touchait à sa fin. Il a dévoilé le vaste programme clandestin sur lequel il travaillait, à savoir l'adaptation de germes et virus à des fins militaires, et qu'il avait fini par désapprouver.

Il s'est établi près de Salisbury et a travaillé dans un centre de recherche microbiologique de la santé publique britannique à Porton Down, où l'armée possède également un laboratoire. Sa famille l'a progressivement rejoint au cours des années 1990.

En novembre 2001, à 64 ans, il a été hospitalisé après un AVC et est décédé dans les semaines suivantes. Les autorités britanniques ont estimé qu'il était mort de cause naturelle, et aucune enquête n'a été ouverte.

Mais Nikita Pasetchnik assure que les médecins ayant soigné son père n'ont pu identifier la cause de sa mort. "Il y avait beaucoup de caillots de sang simultanément", explique-t-il. "En gros, deux tiers du cerveau étaient touchés et le docteur a dit +c'est très inhabituel (...). C'est étrange+".

Vladimir Pasetchnik avait dit craindre d'être pris pour cible, selon son fils. Ce dernier se souvient de son père évoquant le cas de l'écrivain dissident bulgare Gueorgui Markov, qui avait été piqué et empoisonné par un parapluie à Londres en 1978.

- Changement de donne -

Les soupçons de son fils se sont amplifiés après l'empoisonnement au polonium du transfuge Alexandre Litvinenko en 2006, à Londres également.

En mars, le gouvernement britannique s'est engagé à réexaminer 14 décès suspects, en particuliers de citoyens russes, survenus sur le sol britannique, mais le cas de Vladimir Pasetchnik n'y figure pas.

"Sa défection était l'une des plus importantes de l'histoire moderne (...) Elle a complètement changé la donne", a indiqué une source occidentale proche du dossier à l'AFP.

"J'étais assez surpris" en apprenant sa mort, a-t-elle ajouté. "Il n'était pas si vieux, mais d'un autre côté les AVC sont assez courants".

L'ambassade de Russie à Londres et le ministère russe des Affaires étrangères ont estimé que Vladimir Pasetchnik était décédé "mystérieusement", laissant entendre que les Britanniques pourraient être impliqués comme pour les Skripal.

"Le fait que son fils ne soit pas satisfait des conclusions officielles concernant sa mort en est une illustration", a indiqué un porte-parole de l'ambassade à l'AFP.

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