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Tirs de joie, jour de peine: les meurtrières célébrations armées au Pakistan

Lorsque le Pakistan a fêté cet été une époustouflante victoire en cricket contre l'Inde, Noeen, un garçonnet de 5 ans, a payé de sa vie la tradition meurtrière accompagnant régulièrement les festivités au Pakistan: les tirs de joie.

Depuis des siècles au Pakistan, les victoires sportives, mariages et autres célébrations religieuses sont l'occasion de tirer quelques balles vers le ciel.

Le port d'arme est théoriquement soumis à une licence et des permis spéciaux sont nécessaires pour les armes automatiques ou de gros calibre.

Les armes de toutes sortes abondent néanmoins sur les marchés noirs du nord-ouest du pays frontalier de l'Afghanistan, et les crimes à main armée sont très répandus dans les grandes villes.

Après la large victoire du Pakistan sur son rival indien lors du Trophée des Champions de cricket en juin, au moins deux personnes ont été tuées et des centaines blessées par les tirs de liesse dans le pays.

A Nowshera, dans la province du Khyber Pakhtunkhwa proche des zones tribales du nord-ouest, Laeeq Shah se trouvait avec son fils Noeen dans le parc où les habitants fêtaient la victoire, lorsqu'une balle perdue a touché le petit garçon à la tête.

Hospitalisé en urgence à Peshawar, l'enfant a passé près de 60 heures dans le coma avant de succomber à ses blessures.

"Il est si facile de détruire le foyer d'un autre sans même s'en rendre compte", soupire le père endeuillé.

- 'Culture Kalachnikov' -

L'obsession des armes est particulièrement évidente dans le nord-ouest tribal du Pakistan, où certaines coûtent moins cher que des téléphones et où la plupart des hommes se déplacent armés.

Carabines, fusils et autres pistolets y font tellement partie du quotidien qu'ils sont presque considérés comme des accessoires au même titre que les bijoux.

La culture déjà bien ancrée des armes s'est encore développée au Pakistan dans les années 1980, après l'invasion soviétique de l'Afghanistan voisin, quand Américains et Saoudiens ont commencé à équiper des combattants moudjahidine affrontant les troupes russes de l'autre côté de la frontière.

Est alors née la "culture Kalachnikov", avec des armes automatiques à disposition dans nombre de bazars alimentant des groupes extrémistes armés restés actifs bien après le départ des Soviétiques.

Les soirs de matches ou de mariage, kalachnikovs et armes d'assaut se sont mises à remplacer les bons vieux fusils à verrou ou à silex.

- Centaines de morts -

La population paye un lourd tribut à cette tradition. S'il n'existe pas de données précises sur le nombre de victimes de balles perdues, les autorités estiment que plusieurs centaines de personnes ont trouvé la mort ainsi au fil des dernières décennies.

Après le décès de son fils, M. Shah a décidé d'agir. Il est allé de mosquée en mosquée, appelant les imams à prêcher contre cette pratique meurtrière.

"Autrefois, les gens fêtaient certains évènements en tirant en l'air car nous avions de grands espaces ouverts autour de nous", souligne-t-il. "Mais aujourd'hui, chaque balle tirée en l'air peut finir par toucher quelqu'un, on n'a aucune assurance qu'elle tombe sur un lieu non habité."

Les autorités locales se sont également saisies du problème: la police à Nowshera et dans d'autres districts distribue tracts et posters de sensibilisation et soutient les initiatives communautaires s'opposant à cette pratique.

"Nous ne pouvons venir à bout de ce fléau sans le soutien de la population", souligne Sajjad Khan, un officier de police.

Le chef de la police de Peshawar Tahir Khan a appelé les fêtards à verser le prix des munitions qu'ils comptaient tirer à des organisations caritatives, plutôt que de jouer les bravaches.

"Chaque cartouche coûte 60 à 70 roupies (0,50 euro). Cet argent pourrait être dépensé au bénéfice des plus pauvres", assure M. Khan.

- Peu d'autres jouets -

La situation pourrait changer, le nouveau Premier ministre Shahid Abbasi s'étant engagé à une plus grande sévérité envers les propriétaires d'armes automatiques.

A l'heure actuelle, tirer en l'air est passible d'une amende de 1.000 roupies (8 euros), selon des responsables, mais cette peine n'est que très rarement appliquée.

Pour contrer cette culture, plusieurs provinces pakistanaises tentent aussi de limiter la vente de jouets ressemblant à des armes, en dépit de leur succès.

Mais le principal bazar de Peshawar regorge de répliques en tous genres, parfois très réalistes.

"Le gouvernement a interdit la vente d'armes factices, il dit que cela a une mauvaise influence sur les enfants - il vaut mieux leur donner des stylos ou autre chose", reconnaît un commerçant, Sharif Khan.

"Mais il y a peu d'alternative, il n'y a rien d'autre pour jouer", regrette-t-il.

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