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Trente ans après, l'adieu des paysans péruviens à leurs proches disparus

Les petits cercueils blancs sont alignés à flan de montagne dans la région andine d'Ayacucho, au Pérou. Ils contiennent les restes de 23 disparus, tués dans les années 1980 lors du conflit entre l'armée et la guérilla du Sentier lumineux.

Au milieu des sanglots, des chapeaux noirs et des jupes multicolores traditionnels, les cris de leurs proches fusent. La douleur se mêle au soulagement de pouvoir enfin dire adieu à un père, un mari, un frère, introuvables depuis plus de trente ans.

"Le sang versé ne sera jamais oublié", lancent ces hommes et femmes, modestes paysans pour la plupart. Des dizaines d'enfants portent des panneaux sur lesquels on peut lire: "Nous sommes les petits-enfants des disparus et des oubliés".

A Culluchaca, communauté isolée à près de 4.000 mètres d'altitude où vivent quelque 700 familles, ils demandent "justice" pour ces victimes dont les restes ont été retrouvés dans des fosses communes et identifiés grâce à des analyses, avant d'être remis à leurs familles par la justice et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Les restes de 27 autres disparus doivent encore être identifiés.

Afin de respecter la coutume locale, les cercueils sont ouverts et les os recouverts d'un tissu ou d'une chemise blanche. "C'est un symbole que l'on utilise dans les Andes péruviennes", explique une paysanne.

Un peu plus loin, des dizaines de niches d'un tombeau en ciment, construit pour l'occasion et peint en bleu turquoise, attendent les dépouilles.

Après une messe dans la cathédrale d'Huanta, les cercueils sont emportés sur le dos par les familles en pleurs. "Pas de pardon, pas d'oubli, jamais plus", crient-elles.

"C'est un jour très spécial, je peux au moins voir leurs os. Je suis heureux et fier de voir enfin ma famille", déclare Isaias Asto Puclla, le président de l'association des victimes de la violence politique de Culluchaca.

- "Un nuage noir" -

Les parents et le frère d'Isaias ont été assassinés lors d'une incursion de la guérilla maoïste en juin 1984. "Après les avoir sortis de la maison, les sendéristes les ont assassinés. On a dû s'enfuir avec mes deux petites soeurs pour ne pas être tués", raconte-t-il à l'AFP.

"A présent, ils vont pouvoir reposer ici en paix", confie cet homme de 44 ans, devenu orphelin à 11 ans.

"A Chulluchaca, il n'y a plus de violence et on ne veut plus qu'elle revienne, car ici, il y a eu un massacre, le sang a coulé. Un nuage noir nous a recouvert", poursuit-il.

"C'est très dur de voir nos familles revenir ici", abonde Idelfonso Quispe Rojas, l'édile de Culluchaca qui raconte que 300 personnes ont disparu dans cette zone durant les années de violence armée.

Dans cet région isolée, l'Etat péruvien est absent, se plaignent les leaders de la communauté.

Les gens vivent de la culture de la pomme de terre, des haricots ou de l'orge, ou bien grâce à l'élevage de brebis, explique Idelfonso Quispe Rojas.

"On n'a pas de collèges, ni de routes ou de dispensaire", déplore Isaias Asto Puclla.

Ayacucho, qui signifie en quechua "le coin des morts", a été l'épicentre du conflit armé interne au Pérou (1980-2000) et lieu de naissance de la guérilla maoïste du Sentier Lumineux, connue pour sa cruauté. Pour lutter contre elle, l'armée a lancé une vaste offensive, et de nombreux paysans ont péri au milieu de cette guerre.

Les autorités estiment que plus de 20.300 personnes ont disparu lors du conflit interne au Pérou, avec 40% des cas dans la région d'Ayacucho.

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