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Trump peut-il limoger le procureur de l'enquête russe?

La Maison Blanche parle un peu vite en affirmant que Donald Trump a le pouvoir de limoger le procureur spécial Robert Mueller, chargé de l'enquête sur l'ingérence russe dans la présidentielle 2016.

Durant près d'un an, le président américain s'est gardé de critiquer le super enquêteur, ancien grand patron respecté du FBI où il avait été nommé en 2001 par George W. Bush.

M. Trump ne retient désormais plus ses coups. Dans un tweet mercredi, il a nommément accusé le procureur spécial d'avoir détérioré les relations américano-russes par ses investigations "aiguillées par les démocrates".

Et, malgré les réserves de ténors républicains, l'exécutif laisse volontairement planer l'hypothèse que le président démette de ses fonctions Robert Mueller.

Au-delà du séisme que déclencherait M. Trump en s'engageant dans cette voie, le président n'a pas la possibilité légale théorique d'écarter lui-même M. Mueller.

"Selon les règles du ministère de la Justice applicables à M. Mueller, celui-ci ne peut être limogé que par le ministre de la Justice, et seulement pour une des raisons suivantes: faute professionnelle, manquement à son devoir, incapacité, conflit d'intérêt ou pour une autre raison valable", explique à l'AFP le professeur Andrew Kent, de la Fordham Law School.

- Couteaux tirés -

"L'idée selon laquelle le président pourrait directement limoger M. Mueller émane d'une mauvaise interprétation de la portée de l'autorité constitutionnelle du chef de l'exécutif", confirme Peter Shane, un spécialiste de la balance des pouvoirs à l'Ohio State University.

Or, l'actuel ministre de la Justice, Jeff Sessions, s'est récusé dans l'enquête ultra-sensible, en raison de contacts passés avec les Russes.

Par conséquent M. Mueller rend compte à l'Attorney general adjoint, Rod Rosenstein, devenu la nouvelle bête noire de M. Trump.

L'éventuel renvoi du procureur spécial dépend donc de M. Rosenstein, M. Sessions étant lui sur la touche.

Si le président Trump décidait de s'affranchir des règles et limogeait lui-même M. Mueller, les experts s'accordent à prévoir une tempête politique inédite, doublée d'une bataille judiciaire épique.

Autre hypothèse, selon le professeur Kent, "Trump peut ordonner à Rosenstein de virer Mueller. Rosenstein pourrait alors s'exécuter ou refuser. S'il refuse, il est probable que Trump virera Rosenstein".

"Trump pourrait continuer à renvoyer des personnes en descendant la chaîne hiérarchique jusqu'à ce qu'il trouve quelqu'un d'accord pour virer Mueller", poursuit le constitutionnaliste.

Pour rajouter à la complexité, la mise à l'écart de M. Mueller ne signifierait pas nécessairement la fin de l'enquête russe, dont certains volets ont débuté avant la désignation du procureur spécial.

Ce dernier a pris le soin de s'appuyer sur un grand jury, une institution qui statue sur la légitimité de poursuites judiciaires et est censée représenter l'expression du peuple.

Selon certains spécialistes, la magistrate supervisant actuellement le grand jury de Mueller pourrait décider de laisser celui-ci en place et de confier l'enquête à un nouveau procureur. Cette thèse est débattue chez les experts.

Ce qui l'est moins est que Robert Mueller, doté de pouvoirs élargis et d'une indépendance renforcée, fait peser une épée de Damoclès sur la présidence Trump.

- Le précédent du Watergate -

Son enquête tourne autour de deux questions clés: y a-t-il eu entente entre des proches de M. Trump et Moscou pour modifier le résultat de le présidentielle de 2016? M. Trump s'est-il rendu coupable d'entrave à la justice, notamment en limogeant l'ex-chef du FBI James Comey?

Ces investigations exaspèrent le milliardaire président. Un nouveau pas a été franchi lundi quand des agents du FBI ont perquisitionné, sur commission rogatoire, les bureaux new-yorkais de Michael Cohen, l'avocat personnel de M. Trump. Une intrusion dans le cercle rapproché du président.

Le climat rappelle en tout cas les événements restés dans l'histoire sous le nom du "Massacre du samedi soir": le président Richard Nixon avait voulu limoger le procureur spécial Archibald Cox, qui enquêtait sur l'affaire d'espionnage du Watergate.

Le ministre de la Justice Elliot Richardson et son adjoint William Ruckelshaus, refusant de procéder à cette mise à pied, avaient démissionné.

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