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Turquie: à la frontière syrienne, les roquettes sèment le désespoir

"Aujourd'hui, c'est tombé ici. Mais ça aurait pu tomber chez moi", dit Ahmet Olgun en montrant la façade bleu pâle d'un immeuble de deux étages qu'a éventrée mercredi une roquette tirée depuis la Syrie, tuant une lycéenne.

Pour ce pharmacien âgé de 23 ans et les autres habitants de Reyhanli, ville turque frontalière de la Syrie, les projectiles font partie du quotidien depuis le lancement d'une offensive par Ankara dans le nord de la Syrie.

"C'est tombé dans le quartier avant-hier, hier, et aujourd'hui. Nous voulons qu'une solution soit trouvée", peste Hüseyin Filiz, le "mukhtar" (élu local) du quartier de Gültepe, où l'adolescente a été tuée, exprimant le ras-le-bol teinté de peur et de colère des habitants.

Tous ceux qui ont été interrogés par l'AFP affirment soutenir l'offensive que mène l'armée turque contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) dans le nord de la Syrie.

Mais, désemparés et impuissants face à ces attaques qui frappent au hasard, nombre d'entre eux se sentent abandonnés par l'Etat.

"On me dit +Ne laissez pas sortir les gens dans la rue+. Mais les roquettes tombent sur les maisons", déplore M. Filiz, le visage marqué par la fatigue. "J'en appelle au sommet de l'Etat pour qu'on s'occupe de Reyhanli".

Mercredi, cinq roquettes sont tombées sur cette ville, dont trois sur le quartier de Gültepe, tuant sur le coup Fatma Avlar, une adolescente de 17 ans.

D'une maison voisine de l'immeuble bleu qu'elle habitait, s'élèvent des sanglots et des cris de douleur de femmes.

- 'Vous voulez mourir ?' -

Une équipe de nettoyeurs de la mairie déboule, balais en main, devant l'immeuble touché. En moins de 10 minutes, les débris qui bloquaient la route ont disparu à l'arrière d'un camion-benne.

Vain effort : moins d'un quart d'heure plus tard, deux détonations retentissent. Deux nouvelles roquettes tirées depuis la Syrie viennent de s'abattre à 300 mètres de là.

Une ambulance arrive sirène hurlante et s'arrête dans un crissement de pneu à côté du cratère creusé par l'un des projectiles au milieu d'une route départementale.

Un homme blessé à la jambe est pris en charge par des hommes en blouse. Une demi-heure plus tôt, l'AFP avait croisé cet homme devant un immeuble touché par une roquette à Gültepe. Il aidait à déblayer.

Des véhicules de la police et de l'armée arrivent en trombe, des hommes encagoulés et armés de fusils d'assaut en surgissent.

"Deux ce matin, et deux maintenant", grommelle un agent en déroulant un ruban pour établir un périmètre de sécurité. "Pourquoi vous restez plantés là ? Vous voulez mourir ou quoi ?", aboie-t-il en direction des badauds rassemblés à proximité.

- 'Pas comme ça' -

Plusieurs dizaines de roquettes sont tombées à Reyhanli depuis le début de l'offensive en Syrie, le 20 janvier, dont une douzaine sur le quartier de Gültepe.

M. Filiz, le mukhtar, a tout particulièrement peur qu'un projectile touche l'une des stations-service du quartier : "Il faut les vider, car si une roquette tombe dessus, c'est tout Reyhanli qui brûlera".

A quelques jours de la fin des vacances scolaires d'hiver en Turquie, l'inquiétude des parents est à son comble.

"J'ai cinq enfants, et trois d'entre eux vont reprendre l'école dans quelques jours. Ils ont peur, la nuit ils crient +papa+ et n'arrivent pas à dormir", raconte un homme, bonnet couleur olive sur la tête et veste en cuir sur le dos.

"Psychologiquement, ma famille a pris un coup. On ne sait pas ce qui va tomber, ni où ça va tomber", se lamente-t-il.

Impuissants et effrayés, de nombreux habitants du quartier de Gültepe quittent la ville pour trouver refuge chez des proches, parfois à Istanbul.

"Ceux qui ont les moyens partent, mais ceux qui n'ont pas les moyens n'ont d'autre choix que de rester", souligne M. Filiz, qui ne veut cependant pas qu'on se méprenne sur le courage de ses administrés.

"Si on nous demande de faire la guerre, nous prendrons les armes, nous n'avons pas peur", dit-il. "Mais mourir comme cela, pieds et poings liés... Nous ne voulons pas d'une mort comme celle-là".

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