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Turquie: Erdogan dans la ligne de mire des féministes après des propos sur l'avortement

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a soulevé l'indignation de nombreuses femmes dans son pays en assimilant publiquement la semaine dernière l'avortement à un "meurtre". Dans les milieux féministes, on prépare la contre-attaque.

Pour les défenseurs des droits des femmes, M. Erdogan, qui est depuis dix ans à la tête d'un gouvernement islamo-conservateur et s'est déjà illustré en incitant chaque foyer à faire au moins trois enfants, est désormais un "ennemi des femmes" patenté.

M. Erdogan a mis le feu aux poudres vendredi en estimant au cours d'une conférence sur la démographie que l'avortement était un complot visant à saper la croissance économique de la Turquie, tout en se déclarant hostile à la césarienne.

"Que vous tuiez le bébé dans le ventre de sa mère ou que vous le tuiez après sa naissance, il n'y a aucune différence", a-t-il affirmé.

Le chef du gouvernement a repassé les plats un peu plus tard, assénant pendant une réunion des branches féminines de son Parti de la justice et du développement (AKP) que "chaque avortement est un Uludere".

Il faisait allusion à la mort en décembre de 34 habitants du village d'Uludere, dans le sud-est de la Turquie, bombardés par erreur par l'aviation turque qui les avait pris pour des rebelles kurdes.

Une première manifestation a réuni dimanche devant les locaux stambouliotes de M. Erdogan une centaine de femmes au cri de "C'est notre utérus, nous avons des césariennes et des avortements".

Et mardi, quelque 300 représentantes d'associations de femmes doivent rencontrer la ministre de la Famille et des Politiques sociales, Fatma Sahin.

Dans les milieux féministes, on accuse M. Erdogan de se livrer à des jeux politiques au détriment des femmes.

"Les naissances par césarienne et l'avortement ont un fondement légal en Turquie. La tentative du Premier ministre de changer l'ordre du jour du pays en attaquant les femmes est une grave erreur", a déclaré Canan Güllü, présidente de la Fédération des associations de femmes.

"Au cours d'une telle réunion de son parti, le Premier ministre aurait mieux fait de parler des problèmes des femmes comme le chômage, les violences conjugales et leur poids insuffisant dans la vie politique", a-t-elle ajouté.

Les femmes parlementaires du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, centre-gauche), ont quant à elles appelé M. Erdogan à "arrêter de monter la garde devant le vagin des femmes".

Les réflexions du Premier ministre, qui avait déjà tenté en 2004 de faire de l'adultère un délit avant de retirer son projet, font craindre une éventuelle remise en cause par le gouvernement du droit à l'avortement, légal en Turquie depuis 1983 pendant les 10 premières semaines de la grossesse.

Mme Sahin a toutefois assuré que le gouvernement n'entendait pas restreindre le droit des familles à décider du nombre de leurs enfants.

"C'est le droit le plus naturel pour chaque famille que de planifier le nombre des enfants qu'elle souhaite avoir", a-t-elle dit. "Il est hors de question pour nous de s'ingérer dans ce droit".

Mme Sahin a par ailleurs pris la défense de M. Erdogan concernant les césariennes, dans un pays où elles sont pratiquées au cours d'un accouchement sur deux.

"L'Organisation mondiale de la santé affirme que ce taux ne devrait pas dépasser 15 à 20%. Si vous regardez la moyenne dans l'Union européenne, elle ne dépasse pas 20%", a déclaré la ministre.

L'avortement a d'abord été autorisé en Turquie uniquement pour des raisons médicales, mais le champ de la loi s'est élargi dans les années 1980. Le nombre annuel des avortements était de 70.000 en 2011, en augmentation de 10.000 par rapport à 2009.

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