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UE : la prévention de conflit d'intérêts risque de toucher le Premier ministre tchèque

Le chef du gouvernement tchèque, le millionnaire Andrej Babis, risque d'être bientôt le premier homme politique européen à tomber sous le coup de la nouvelle procédure européenne sur le conflit d'intérêts.

Numéro deux sur la liste des Tchèques les plus riches, M. Babis est soupçonné d'être toujours propriétaire du conglomérat Agrofert, présent dans l'industrie chimique, l'alimentaire et les médias, qu'il a formellement transféré à des fonds fiduciaires pour se mettre en règle avec la loi.

Une procédure, déclenchée l'année dernière par l'organisation anticorruption Transparency International et une formation d'opposition, le Parti Pirate, a relancé les allégations de conflit d'intérêts à son encontre.

"Agrofert reçoit des fonds européens, des fonds tchèques, et participe à des appels d'offres des pouvoirs publics", a déclaré à l'AFP David Ondracka, chef de la branche tchèque de Transparency International. "Babis se trouve en situation de conflit d'intérêts dans toutes ces opérations et elles devraient être toutes suspendues", a-t-il ajouté.

Le Premier ministre fait déjà l'objet de poursuites pour une fraude présumée aux subventions européennes liée à son complexe hôtelier Nid de Cigogne.

M. Babis, chef du mouvement populiste ANO, a rejeté toutes les accusations, dénonçant une "campagne de calomnies" de ses adversaires politiques.

En septembre dernier, Transparency et le Parti Pirate ont demandé à la Commission européenne si Agrofert avait droit à d'importantes aides de l'UE si M. Babis contrôle toujours de facto ce groupe.

Ils ont aussi adressé une plainte à la mairie de Cernosice, près de Prague, dont dépend le domicile de M. Babis, affirmant qu'il violait la loi tchèque sur le conflit d'intérêts en tant que propriétaire de médias.

Bruxelles et Cernosice ont laissé entendre que ces allégations pourraient être fondées.

- Double casquette -

Dans un document ayant fait l'objet de fuites, des juristes de l'UE ont estimé que des responsables de l'Etat ne doivent pas décider de subventions de l'UE destinées aux sociétés qu'ils contrôlent.

La Commission a suspendu les subventions pour Agrofert et envoyé des experts pour effectuer un audit des sociétés concernées. Sa décision finale est attendue en avril.

Elle se penche aussi sur les subventions versées au groupe tchèque depuis 2014, lorsque M. Babis était ministre des Finances dans un cabinet conduit par les sociaux-démocrates.

Transparency a utilisé des renseignements trouvés dans les registres de propriété effective introduits l'année dernière par l'UE pour lutter contre le blanchiment d'argent. Le terme "propriétaire effectif" désigne la personne possédant des droits sur des capitaux, même si ces derniers appartiennent légalement à quelqu'un d'autre.

Comme le registre tchèque n'est pas intégralement accessible, Transparency et le Parti Pirate ont consulté le registre slovaque, qui énumère 37 sociétés dont M. Babis est propriétaire effectif.

En 2017, Agrofert a bénéficié de subventions européennes équivalent à 82 millions d'euros, selon les médias tchèques.

Pour M. Ondracka, "on pourrait dire que l'UE cofinance un oligarque qui gagne une série d'élections dans un pays membre".

En attendant le verdict de Bruxelles en avril - qui pourrait imposer à Prague de rembourser les subventions en cause - , l'analyste politique indépendant Jiri Pehe estime que cette décision créera un précédent important, car "c'est la première grande affaire depuis l'entrée en vigueur de la directive renforçant les règles sur le conflit d'intérêts".

- Premier test -

"Andrej Babis est le premier test pour la Commission", ajoute Pehe.

La mairie de Cernosice a déclaré en janvier avoir pris une décision, sans la rendre publique.

M. Babis a cependant affirmé qu'il "n'était absolument pas d'accord" avec cette décision "politique", et annoncé vouloir faire appel.

"Je ne vois pas comment des fonctionnaires qui s'occupent des infractions au code de la route peuvent prendre une décision sur un problème légal complexe de ce genre. Ils se trompent", a-t-il dit.

Ancien communiste, M. Babis, 64 ans, qui est d'origine slovaque, est aussi soupçonné d'avoir collaboré avec la police secrète dans les années 1980, quand la Tchécoslovaquie faisait partie du camp soviétique. Il rejette également cette accusation.

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