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Vente d'armes: le voyage d'un fusil d'assaut FN2000 de la Belgique à des terroristes de Gaza

On a beaucoup parlé de l'armement du groupe terroriste Etat islamique (EI) au cours des derniers jours. En début de semaine, l'ONG Amnesty International rendait public un rapport intitulé "Les stocks sont pleins: l’armement de l’État islamique" qui dresse la liste des armes utilisées par l'EI. Ces armements, majoritairement pillés dans les stocks militaires irakiens, ont été fabriqués et conçus dans plus de 20 pays différents, dont la Belgique, la Russie, la Chine, les États-Unis et des États européens (lire notre article CONSTERNANT: les pays qui combattent l'Etat islamique sont AUSSI ceux qui l'ont massivement armé). Ce matin, le journal économique L'Echo informait que le gouvernement wallon avait accordé des licences d'exportation d'armes, essentiellement fabriquées par la FN d'Herstal, pour un montant de... trois milliards d'euros en 2014 (lire notre article Euromilliards! Les ventes d'armes wallonnes à l'Arabie saoudite explosent). Dans le même temps, le média anglais BBC publiait sur son site internet un reportage intitulé "A rifle's journey from Belgium to Gaza", soit en français "Le voyage d'un fusil de la Belgique à Gaza". Nous avons traduit l'intégralité du texte.

LE VOYAGE D'UN FUSIL DE LA BELGIQUE À GAZA

Il y a trois ans, des experts en armement ont repéré un fusil d'assaut belge sophistiqué dans les mains d'un militant de la brigade d'Al-Qods, la branche armée du Jihad islamique palestinien, à Gaza. Mais comment un groupe considéré par l'Union européenne et les États-Unis comme une organisation terroriste avait-il obtenu l'arme? L'expert en armement Nick Jenzen-Jones et le journaliste de la BBC, Thomas Martienssen ont retracé son voyage.

Le 2 octobre 2012, la brigade Al-Qods, la branche armée du Jihad islamique palestinien défilait dans les rues de Rafah (sud de Gaza) pour marquer le 17e anniversaire de l'assassinat d'un camarade à Malte, par le Mossad, les services secrets israéliens. Une sorte de parade militaire annuelle au cours de laquelle les militants exhibent souvent leurs derniers achats d'armes et de munitions. Et cette année-là, parmi les habituelles Kalachnikovs et autres pistolets issus des immenses stocks des pays d'Europe de l'Est (anciens membres du fameux Pacte de Varsovie), les fusils automatiques chinois et les lance-roquettes, sont apparues deux armes automatiques beaucoup moins courantes, les fusils d'assaut F2000 fabriqué à Herstal et AK-103 de conception russe.

Jusqu'à présent, ces deux fusils avaient rarement été vus dans les mains d'un même groupe armé. Cela avait été le cas en Libye, en pleine guerre civile, un an plus tôt. Comment ces armes étaient-elles arrivées en Libye et comment avaient-elles voyagé de là jusqu'à Gaza?

Un ancien rebelle qui a combattu en Libye a été en mesure de raconter une partie de l'histoire. Nous l'appellerons Ahmed.

"Les FN français"

Après la chute de Tripoli aux mains des forces anti-Kadhafi en août 2011, la plupart des factions rebelles ont foncé au sud, vers Sabha, encore sous contrôle loyaliste. Amhed et son groupe sont arrivés trop tard. Sabha avait été libérée le 20 septembre, deux jours auparavant. Ils ont donc manqué l'euphorie de la libération, mais ils ont entendu plein d'histoires racontées par Ali, un ancien étudiant de l'âge d'Amhed. L'une d'entre elles concernait un incident qui s'était déroulé dans les faubourgs de Sabha, la veille.

"Nous avions un poste de contrôle juste à l'extérieur de Sabha. Une voiture est arrivée et la vitre s'est abaissée", a dit Ali. "L'homme nous a dit qu'il était un officier de la 3e brigade et que nous devions le laisser passer. Nous n'avions aucun drapeau révolutionnaire à l'époque, alors nous pensions que nous avions peut-être affaire aux forces de Kadhafi."

Ali a capturé l'officier avec ses hommes et leurs armes, deux fusils d'assaut modernes de type AK (Kalachnikov), un revolver plaqué or et deux grands fusils à l'étrange apparence et qu'ils appelaient "les FN français".

Impressionnante vente d'armes de la Belgique à la Libye de Kadhafi en 2008

La vente d'armes belges au gouvernement de Kadhafi avait été passée en mai 2008. La FN Herstal devait fournir 367 fusils d'assaut F2000, chacun équipé d'un lance-grenade LG1, ainsi que 367 pistolets-mitrailleurs P90, 367 armes de poings, 50 revolvers Browning "Renaissance", 30 mitrailleuses légères, 2000 armes semi-automatiques F303, et plus d'un million de munitions de différents types. Montant de la vente: 12 millions d'euros.

Les Nations Unies avaient, depuis de nombreuses années, banni la vente d’armes à la Libye. Mais quand le pays a promis de détruire ses armes chimiques et d’abandonner ses efforts pour obtenir des armes de destruction massive, il a commencé à se refaire une réputation aux yeux de la communauté internationale. Les Nations Unies ont donc levé leur embargo sur les armes en 2003, et un autre embargo, émanant, lui, de l’Union européenne, s’est achevé en 2004.

Les armes belges ont alors été nécessaires, selon le gouvernement libyen, pour escorter un convoi d’aide vers la région en conflit du Darfour, au Soudan. La FN Herstal, le plus gros exportateur d’Europe de petites armes militaires, insiste sur le fait que la vente de ces armes était complètement légale et qu’elle était loin d’être la seule compagnie européenne à vendre des armes à la Libye à ce moment-là. En cinq ans d’embargo européen levé, l’Union européenne a accordé des licences de ventes d’armes à la Libye pour une valeur de 834 millions d’euros. Des compagnies au Royaume-Uni et en Italie font partie de celles qui en ont profité.

En novembre 2009, les armes appartenant au marché belge étaient toutes arrivées en Libye et ont fini par équiper la 32e brigade armée, aussi connue comme la brigade Khamis, d’après le nom de son commandant, Khamis Kadhafi, le plus jeune fils du président. Selon les preuves collectées par Human Rights Watch, la brigade a commis un certain nombre de violations des droits de l’homme, comme l’exécution sommaire de quelque 45 détenus à Salahaddin, près de Tripoli, le 23 aout 2011.

Voilà donc pour l'origine du fusil d"assaut belge FN2000 confisqué par Ali. Concernant, le fusil d'assaut russe maintenant, fin 2003 début 2004, rapidement après que l’embargo des Nations Unies a été levé, la Libye a commencé des négociations pour acheter une série d’armes et de munitions, dont des armes antichar et des missiles antiaériens. L’un de ces contrats comptait des armes d’assaut.

Une évaluation des documents de livraison, des emballages et des images obtenues par l’agence de renseignement Armaments Research Services (ARES), Human Rights Watch et d’autres ONG indique que la Libye a passé au moins trois commandes de AK-103-2 rifles (fusils d’assaut) sous le couvert d’un contrat, délivré en 2004.

La première commande connue, passée en septembre 2004, était pour quelque 60.000 fusils d’assaut, chacun étant livré avec quatre chargeurs, une baïonnette, un kit de nettoyage, une bretelle et une bouteille d’huile. Et, au moment où la guerre civile a éclaté en Libye en 2011, plus de 200.000 de ces fusils circulaient dans le pays.

Un des deux fusils d'assaut belge finit chez un vendeur d'armes au noir et aboutit dans une cargaison pour Gaza 

Par la suite, alors que les combats se terminaient, Ahmed, Ali et leurs compagnons de combat ont remis la plupart de leurs armes, dont l’un des F2000, au nouveau gouvernement.

Mais l’autre F2000, dont Ali s’était emparé, a été donné à Misrata à Khaled, un vendeur d’armes au marché noir, qui collectait des armes pour les donner aux militants de Gaza.

Contacté par ARES via une source familiarisée avec le marché des armes libyen, Khaled a confirmé qu’il était directement responsable de l’envoi d’une cargaison à Gaza, dans laquelle se trouvaient un F2000 et un AK-103-2, parmi d’autres modèles de AK-103, tous envoyés gratuitement. "Nous les avons envoyés pour aider les habitants de Gaza", a-t-il déclaré.

Tout comme le F2000 de la FN Herstal avait largement été mal identifié par les rebelles libyens comme étant le "FN français", le AK-103-2, était connu en 2012 comme la "Kalachnikov israélienne". Khaled et ses amis ont donc pris plaisir à approvisionner les militants palestiniens avec ce qu’ils pensaient être une arme produite en Israël.

La brigade al-Qods a continué à parader avec ces armes. Le AK-103-2 et le F2000 ont tous deux été certifiés en leur possession en aout 2015. La Brigade a récemment confirmé que le F2000 était toujours en sa possession.

Des fusils F2000 ont récemment été retrouvés entre les mains de militants dans la péninsule du Sinaï en Égypte. Comme ceux à Gaza et en Libye, ils étaient accompagnés de lance-grenades LG1.

De manière prévisible peut-être, quand on considère le nombre d’armes importées en Libye, les fusils AK-103-2 sont courants dans le pays- ils ont été utilisés dans le massacre de 30 chrétiens éthiopiens par l’État islamique en Libye en avril- et ont proliféré à travers le Moyen-Orient et la région nord-africaine.

Des combattants du Hamas ont été photographiés avec ces armes, tout comme des combattants palestiniens du Front populaire de libération de la Palestine.

Des rapports du panel d’experts des Nations Unies en Libye indiquent que l’AK-103 a aussi été retrouvé au Mali, en Tunisie et au Niger.

Mais beaucoup d’autres armes, pas seulement le F2000 et le AK-103, ont été volées des réserves libyennes ou saisies par des milices durant la guerre civile libyenne. Le régime libyen était armé jusqu’aux dents, et sa chute rapide lors du conflit court et sanglant de 2011 a fait du pays une braderie pour des militants du monde entier.

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