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Victime d'une agression raciste à Knokke, Gaëlle a fait de ce traumatisme un combat contre l'intolérance (vidéo)

Une Bruxelloise de 29 ans est à l'origine d'un mouvement contre le racisme et l'intolérance. Agressée lors d'une soirée durant l'été 2018, cette mère de famille se mobilise pour promouvoir un meilleur vivre ensemble.

En juillet 2018, Gaëlle est victime d'une agression à caractère raciste lors d'une soirée à Knokke. Près d'un an après les faits, la mère de deux enfants est encore bouleversée lorsqu'elle décrit la scène. Elle raconte son histoire...

Ce soir-là, à Knokke, la blogueuse et photographe est invitée à un évènement de présentation des produits de Ciroc, la marque du rappeur Puff Daddy. "J'étais à cet évènement avec deux amis, on discutait. L'un d'eux s'est levé et a malencontreusement renversé son verre. Je me suis aperçue qu'il y avait une tasse cassée par terre. Mon amie a été s'éponger un peu plus loin, mais moi, je suis restée pour ramasser. Je n'avais pas envie que quelqu'un se blesse. Mon réflexe a donc été de ramasser cette tasse", affirme-t-elle.


"On me tire violemment par le bras"

Selon ses dires, la femme de 29 ans est donc accroupie dans le club lorsqu'elle entend les cris d'un homme visiblement en colère. "J'entends un grand monsieur flamand, qui n'est autre que le patron de l'établissement, qui est derrière moi et qui commence à crier en néerlandais. Je suis à moitié hollandaise, mais je ne comprends pas très bien ses hurlements, ses cris et de manière étonnée, je continue à ramasser cette tasse", dit Gaëlle. Cette dernière retourne auprès de ses amis, pensant poursuivre sa soirée malgré cet incident. Mais la Bruxelloise est loin d'imaginer la suite...

"Je suis avec mes relations professionnelles, les personnes avec lesquelles j'ai l'habitude de bosser et je sens que quelqu'un me tire hyper violemment par le bras. J'ai super mal et je me retourne, je vois cette dame et je dis 'qu'est-ce que vous faites ?'. Elle dit en néerlandais...'Tu as cassé quelque chose, tu dois sortir immédiatement. Là, j'essaie de lui expliquer que mon amie a fait tomber une tasse que j'essayais de ramasser, mais elle ne veut rien entendre. Elle demande à un premier garde de me prendre par l'autre bras", raconte la mère de famille.

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"Il me traîne comme un animal"

Elle raconte qu'elle est alors empoignée violemment et jetée hors du club... " Il me traîne comme un animal et me jette dehors (...) , je suis face à un deuxième portier, un type hyper grand et on commence à me dire: "Retourne en Afrique ", explique-t-elle, la voix encore trahit par l'émotion.



 
Elle filme la scène

Désemparée, elle cherche alors du secours auprès des gens autour d'elle, mais personne n'intervient. "Je me dis... on est quand même des êtres humains, il y a quelqu'un qui va voir que je viens de me faire agresser de manière physique et raciste, qu'il y a quelqu'un qui va réagir, mais non", précise la photographe.

Gaëlle décide de filmer la scène pour avoir une preuve de son agression. Mais en voyant le téléphone, une personne frappe sur sa main. L'enregistrement s'arrête brusquement. 


"La blessure intérieure ne cicatrise pas"

La Bruxelloise se sent impuissante face à cette situation. Mais, elle ne veut pas en rester là. Elle porte plainte, engage un avocat et fait constater ses blessures par un médecin. "Après cette agression, la première chose qu'on m'a dite c'est 'Gaëlle, ça ne sert à rien de parler, ça ne sert à rien d'aller porter plainte, on n'obtient jamais justice en cas de racisme'. Mais je n'ai pas envie d'y croire... Je n'ai pas envie d'y croire pour moi, je n'ai pas envie d'y croire pour mes enfants et je n'ai pas envie d'y croire pour cette société", lance la mère de famille.

 
La blogueuse va plus loin et raconte son agression sur les réseaux sociaux. "Les hématomes que cette femme m'a fait sont restés sur mon bras pendant plus d'une semaine. Mais la blessure intérieure ne cicatrise pas. Je n'ai pas envie de continuer à vivre dans une société où le racisme est banalisé et où les agresseurs s'en sortent trop souvent", explique Gaëlle dans sa vidéo.

La jeune femme est surprise en constatant que son récit est largement partagé, entraînant de nombreux messages de soutien. Elle prend alors conscience que le phénomène est répandu, mais que, malheureusement, peu de personnes prennent la parole, pensant peut-être que leur histoire ne sera pas entendue.


"Fifty Shades of Racism"

En septembre 2018, Gaëlle franchit un nouveau cap et crée un mouvement... Elle l'appelle "Fifty Shades of Racism" (FSOR). Le but de son action est de dire stop à la banalisation du racisme ordinaire. La mère de deux enfants veut aussi faire passer un message de tolérance en donnant la parole aux victimes et aux témoins. Plusieurs personnes rejoignent son action.

 
"J'ai mis toutes mes économies dans ce mouvement", avoue-t-elle. "J'ai décidé de faire quelque chose de positif. J'ai lancé ça pour que l'on sorte du silence. Autant les personnes victimes de racisme que les personnes contre le racisme. On a une si belle société multiculturelle, il faut qu'on la protège ensemble, qu'on fasse porter nos voix", poursuit-elle.

L'influenceuse recueille alors les témoignages d'une cinquantaine de personnes. Elle partage ces récits bouleversants sur Instagram. Le hashtag #fsor est lancé.

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Une collab' avec JR

Une des femmes qui participe au projet est touchée par ce mouvement. Elle fait part de l'initiative de Gaëlle au célèbre artiste JR avec qui elle a déjà travaillé par le passé. Le français, qui se mobilise pour de grandes causes à travers le monde, est tout de suite partant... "Fifty Shades of Racism" reçoit alors l'aide de la star pour organiser un évènement à Bruxelles, une expo "coup de poing". 

Durant plusieurs mois, Gaëlle immortalise 500 visages de Bruxellois dans le but de les afficher au Mont des Arts. "C'est un peu tous les visages de notre société qui sont prêts à se mobiliser contre la montée des extrêmes", nous confie-t-elle.

En janvier 2019, l'activiste s'envole pour New York afin de rencontrer l'équipe de l'artiste à Soho et mettre au point son action. "Inside Out", le projet d’art participatif lancé par JR, imprime à ses frais les portraits en taille XXL pour l'expo d'un jour.
 

Le 24 mai, après des mois de travail et de démarches pour obtenir toutes les autorisations pour l'expo, des centaines de visages de Bruxellois engagés tapissent le Mont des Arts à Bruxelles.

La date de l'œuvre éphémère n'est pas été choisie au hasard. Sentant la montée de l'extrême droite, Gaëlle et son équipe souhaitent que l'évènement ait lieu avant le 26 mai, jour des élections... "Ca fait des mois que je sens qu'il y a une libération des propos de haine. On sentait la montée des extrêmes, mais les résultats des élections me glacent le sang", admet-elle.



"Il y a eu une collaboration humaine magnifique"

Grâce à la mobilisation de plusieurs artistes et de bénévoles l'évènement est une réussite et le résultat spectaculaire. Nombreux sont ceux qui ont consacré plusieurs heures pour défendre cette cause à ses côtés… Des DJ, un vidéaste, un "droniste" ont aussi participé gratuitement à ce projet.

 


 


 
 
"C'était un gros défi mais la force du groupe a fait que tout s'est bien passé (...) Beaucoup de personnes qui bossent avec nous ont mis tout leur temps à disposition après leur travail. Il y a eu une collaboration humaine magnifique (...) Je ne m'attendais pas à avoir un élan humain tellement fort pour faire évoluer la société dans le bon sens (...) Des jeunes de la marche pour le climat nous ont aidés à retirer les portraits après l'exposition", confie Gaëlle, encore touchée.


 



 


Juste après l'expo, JR réaffirme son soutien au mouvement en publiant le résultat de l'oeuvre sur son compte Instagram...  

L'activiste va lancer l'association Shades

Gaëlle, porté par les nombreux soutiens, veut aller encore plus loin dans sa démarche... Elle va créer l'association "Shades" ("nuances" en anglais) afin de "valoriser les différentes nuances de notre société". Son but sera de libérer la parole de toutes les victimes de racisme, d'homophobie ou de sexisme.

A travers "Shades", la Bruxelloise compte aussi se battre pour que la justice soit plus ferme en la matière. "On va lancer l'association dès septembre. On prépare une action choc pour la rentrée", annonce-t-elle sans en dévoiler davantage. 

 

Comme Gaëlle, les associations de lutte contre le racisme réclament plus de fermeté judiciaire. L'an dernier, Unia, le centre pour l'égalité des chances, a ouvert 866 dossiers liés au racisme. Cela représente une augmentation de 55% en 5 ans. "Le racisme, c'est le premier critère pour lequel nous sommes saisis, et de manière historique, avant le handicap, les convictions ou les orientations sexuelles. Environ 40% de l'ensemble des dossiers sont liés au racisme", a indiqué Patrick Charlier, directeur d'Unia, à nos journalistes en mars dernier.

Les parquets ont été saisis à 690 reprises pour des faits de racisme en 2018. Ce chiffre est en augmentation par rapport aux années précédentes. 


70% des dossiers classés sans suite

Mais pour que la plainte arrive devant un tribunal, trois conditions inscrites dans une loi de 1981 sont nécessaires. 
"Des propos seront qualifiés racistes si les propos incitent à la haine, à la violence, à la discrimination, si l'auteur des propos est animé par une intention d'appeler à la haine. Et troisième condition: il faut également qu'il y ait une publicité des propos pour que l'infraction soit rencontrée", a précisé Sandrine Carneroli, avocate spécialisée en droit des médias.

Il faut donc prouver une volonté d’incitation à la haine. Dans la pratique, cela est souvent difficile. Conséquence... de nombreuses plaintes n’aboutissent pas et beaucoup d’attaques racistes ne sont pas punies. Sur un peu plus de 2.500 dossiers ces 4 dernières années, 1.750, soit 70% ont été classés sans suite.

"C'est souvent la parole de l'un contre la parole de l'autre. Maintenant, il faut chaque fois analyser au cas par cas les dossiers. Si on n'arrive pas à démontrer l'incitation à la haine, cela ne constitue pas une infraction au sens de la loi. Dans ce cas, le ministère public ne peut pas poursuivre le suspect", a expliqué Denis Goeman, porte-parole du parquet de Bruxelles. Dès lors, ces faits relèveraient plutôt de l’injure, avec alors la possibilité de poursuites au civil pour obtenir un dédommagement. 

De son côté, Gaëlle a porté plainte juste après son agression et a engagé un avocat. Elle possède une vidéo et un document médical pour prouver ses dires. La mère de famille attend la décision du tribunal. Elle espère que justice sera rendue.

En attendant, elle continue son combat contre l'intolérance.

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