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Guerre au Nagorny Karabakh: la diaspora arménienne a manifesté à Bruxelles pour "soutenir ceux qui n’ont pas la chance de vivre en paix"

Environ 2.000 personnes, selon l'estimation de la police de Bruxelles-Ixelles, ont manifesté mercredi matin sur la rue de la Loi, au cœur des institutions européennes. Leur but était de dénoncer les attaques de l'Azerbaïdjan contre les Arméniens dans le Nagorny Karabakh.

Dans la fumée des feux de Bengale s’agitent des drapeaux rouges, bleus et oranges. Les manifestants venus d’Allemagne, des Pays-Bas, de France et du Luxembourg scandent l’hymne national arménien. Un jeune garçon, encouragé par sa famille qui ne parle pas français, lance timidement : "On ne veut pas se laisser faire, on veut la paix et pas un deuxième génocide".

Environ 2000 manifestants se sont réunis au cœur du quartier européen à Bruxelles pour "Soutenir le peuple arménien" et "Dénoncer l’inaction de l’Europe". Alors que le conflit pour le contrôle de la région du Haut-Karabakh (ou Nagorny Karabkh) s’intensifie, la diaspora arménienne appelle l'Union européenne à "sortir de son silence" et à dénoncer "l'agresseur".

"Après le dernier sommet européen, un communiqué appelant à la désescalade a été publié", commente Nicolas Tavitian, président du Comité des Arméniens de Belgique qui a organisé le rassemblement. "Cela a l'air d'aider, mais le message que l'agresseur comprend est qu'on ne va pas s'en mêler. Bien sûr tout le monde est pour la paix - ce n'est pas la peine de le dire - mais pour montrer le chemin vers la paix, il faut nommer l'agresseur."

"L’Europe est-elle sourde et aveugle ?"

En retrait de la foule, Lara Garamamokiam, étudiante née en Belgique, est ici pour soutenir sa famille. Selon elle, "Le conseil de l’Europe devrait mettre en avant les violations des droits humains commis par l’Azerbaïdjan". "Je ne veux qu’une seule chose, c’est que cela se calme, pour ma famille et mes parents surtout, qui sont très touchés par ce qu’il se passe chez eux", ajoute-t-elle. Si par son éducation et son passé, Lara sa sent "plus belge qu’arménienne", la jeune femme connaît bien l’histoire de son pays et a grandi dans une famille ayant fui la guerre du Haut-Karabakh : "J‘ai été élevée dans l’histoire de la guerre. C’est pour ça que je suis là pour soutenir ceux qui n’ont pas la chance de vivre en paix".


Les manifestants défilant dans la petite rue de la Loi.

Au même moment des hommes et des femmes commencent à scander "Erdogan terroriste !". Mickael* prend la parole : l’homme dit avoir fui l’Azerbaïdjan quand il était âgé de 25 ans, en 1989 alors que la guerre du Haut-Karabakh faisait rage. "L’Europe est-elle sourde et aveugle ?" interroge-t-il. Il est lui aussi très inquiet quant à la situation de la région et dit ne pas vouloir "D’une Arménie sans arméniens".

Les manifestants, de plus en plus nombreux, ont occupé bientôt la quasi-totalité du rond-point Schuman, au beau milieu des institutions européenne. Des fumigènes rouges, bleus et jaunes (couleurs du drapeau arménien) sont allumés, certains montent sur les véhicules stationnés ou passant par-là, d’autres chantent l’hymne national arménien et des slogans comme "Tous ensemble contre le terrorisme !" ou "Recognize Artsakh" (reconnaissez la région du Haut-Karabagh).


Bloqué pendant plusieurs dizaines de minutes, les automobilistes ont été contraints de faire demi-tour et remonter le Tunnel Loi à contre-sens.

Le cortège a ensuite été contenu par les forces de l’ordres. Pendant ce temps, Max* explique vouloir faire entendre sa voix face aux "Ingérences turques". "Je rêve de voir la paix dans mon pays, que les arméniens du Haut-Karabakh puissent vivre paisiblement dans leur ville", lâche-t-il ému avant de s’enfoncer dans la foule. Des groupes de manifestants ont poursuivi la mobilisation en bloquant momentanément la circulation sur les avenues d'Auderghem et de Cortenbergh et l'entrée du tunnel Loi. Les tunnels Cinquantenaire, Tervuren et Loi ont été fermés un temps en direction du centre.

Quelques heurts ont eu lieu entre une minorité de manifestants et les forces de police mais la plupart des personnes sur place ont respecté les consignes de la police, à l’instar de cette femme face au cortège s’égosillant derrière son mégaphone : "Le but est d’être pacifistes, de ne pas céder à la violence. Messieurs des forces de l’ordre veuillez respecter notre droit de manifester comme nous vous respectons". Des tirs de canons à eaux ont fini par disperser les derniers manifestants.

50% de la population déplacée

La manifestation a lieu alors qu’a 4700 km de là, dans la région du Haut-Karabakh les affrontements entre les forces armée azéris, soutenues par le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan, et les soldats arméniens font rage et poussent les populations civiles à fuir leur région. La moitié de la population du Nagorny Karabakh a été déplacée ont indiqué les autorités mercredi. "Environ 50% de la population a été déplacée, dont 90% des femmes et des enfants", a indiqué à l'AFP Artak Belgarian, le médiateur de la république auto-proclamée qui est chargé des questions de défense des droits des civils.

Le Haut-Karabakh, a fait sécession de l'Azerbaïdjan à la chute de l'URSS, entraînant au début des années 1990 une guerre ayant fait 30.000 morts. Le front est quasiment gelé depuis un cessez-le-feu en 1994, malgré des heurts réguliers. La région est peuplée d'environ 140.000 habitants, à 99% d'origine arménienne. Les autorités locales et l'Arménie accusent l'Azerbaïdjan, depuis la reprise des hostilités le 27 septembre, de viser les civils, en particulier à Stepanakert, la capitale. Cette ville est visée depuis des jours par des tirs répétés de roquettes mais aussi de drones, forçant la majorité des quelques 50.000 résidents à la fuite.

Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a accusé mardi, dans un entretien à l'AFP, la Turquie, allié indéfectible de l'Azerbaïdjan, pays musulman turcophone, d'avoir "par son engagement actif" provoqué "La guerre". Fort du soutien d'Ankara, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev a exclu lui toute trêve sans retrait arménien du Karabakh. Les deux camps affirment infliger de lourdes pertes à l'ennemi, mais aucun belligérant ne semble avoir pris un avantage déterminant, même si l'Azerbaïdjan a annoncé la conquête de multiples villes et villages. Le bilan de 287 morts depuis le début du conflit reste très partiel. Bakou, qui n'annonce aucune perte militaire, évoque la mort de 28 civils. Le Karabakh a dénombré 240 militaires et 19 civils tués.

Paris, Moscou et Washington, médiateurs dans ce conflit depuis les années 1990, ont qualifié la veille la crise de "menace inacceptable pour la stabilité de la région". Le Kremlin a dénoncé mardi une situation qui se "Dégrade". Une escalade pourrait avoir des conséquences imprévisibles, au vu du nombre des puissances en concurrence dans le Caucase: la Russie, la Turquie, l'Iran et les Occidentaux.

*À la demande de certains manifestants, les noms ont été modifiés. 

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