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"La justice immanente n'est pas la justice divine"

Dans un livre d'entretiens publié voici quelques années mais réédités en néerlandais cette semaine, Mgr Léonard déclare sur le SIDA qu'il s'agit d'une "forme de justice immanente". Ce propos a déclaré un flot de critiques. Mais qu'est-ce que la justice immanente ? Eléments de réponse avec André, licencié en sciences religieuses.

Dans un livre d'entretiens publié voici quelques années mais réédités en néerlandais cette semaine, Mgr Léonard déclare sur le SIDA qu'il s'agit d'une "forme de justice immanente". Ce propos a déclaré un flot de critiques. Mais qu'est-ce que la justice immanente ? Eléments de réponse avec André, licencié en sciences religieuses.

"La justice immanente n’est pas la justice divine. Elle n’est même pas la justice humaine. Le mot ‘justice’, dans une structure mentale formée par la philosophie qui a cours dans l’Église, signifie ‘ajustement’. C’est pourquoi, il y a justice, en ce sens, lorsque, par suite de déversements incontrôlés de pesticides, les rivières et la mer sont polluées et que la pêche devient problématique et dangereuse pour l’homme. Dieu n’y est pour rien. La nature a par elle-même un comportement logique conformément aux lois naturelles. Il appartient à l’homme de prendre connaissance du fonctionnement de la nature afin d’éviter ce qui serait dommageable et d’exploiter ce qui est profitable. ‘Quoad se’, il n’y a pas de morale dans la nature ; sur ce plan elle est neutre.

La morale est ‘quoad nos’. Pour la nature, un virus n’est ni un bien ni un mal. L’homme a, lui, intérêt à répertorier les virus, en connaître les effets sur l’organisme humain, à voir comment contrer les conséquences néfastes pour l’homme. Les virus sont des éléments naturels qui ne doivent pas leur existence à un jugement divin avec une finalité punitive. Mais connaître l’existence d’un virus tel celui du sida, avoir mis en évidence les désordres dont il peut être responsable dans nos organismes et ne pas prendre les mesures préventives connues relève de la responsabilité humaine.

Si le nécessaire pour avoir un comportement responsable est négligé, il faudra s’attendre à subir les désordres dont le virus est l’agent. Le sens de la faculté qu’est la raison est d’ajuster le comportement avec nos connaissances afin d’éviter les désagréments. Sinon, l’ajustement est déboîté et les souffrances sont là pour nous mettre en devoir de retrouver la ‘justice’. S’il y a une dimension morale à ce propos elle réside dans le devoir envers nous-mêmes de chercher notre bien avant de nous aventurer dans des comportements à risque. Sans ce bon sens, on dira que la ‘justice’ immanente à la nature nous mettra cruellement face à nos responsabilités. Dieu n’a directement rien à voir ici, la morale chrétienne non plus ; seulement l’homme est mis devant ses responsabilités. Pour le croyant, la justice divine se prononcera lors du jugement dernier seulement et encore, nous devons savoir que Dieu, en sa nature, est Amour.


L’objection disant que l’Église interdit le préservatif ne peut se servir de cet interdit pour prétendre que l’Église serait complice de la propagation du sida. Selon la théologie (qui ne concerne que les croyants) il n’est pas possible d’appeler ‘bon’ un moyen qui n’est pas en phase avec le sens des choses. La sexuation animale (et l’homme en est un) a manifestement pour sens de permettre la procréation. Une relation sexuelle qui empêche cet accomplissement n’est pas dans cet ajustement entre l’acte et sa signification fondamentale.

Mais l’homme, animal, est surtout ‘raisonnable’ et par là, ce qui est simplement naturel peut être coiffé par ce qui est humain. Un acte humain comporte des valeurs que la nature en général ne manifeste pas. La relation sexuelle est un des actes (pas du tout le seul) par lequel l’amour humain peut s’exprimer. L’usage d’un préservatif dans ce cadre, bien qu’il ne soit pas dans la ligne du sens obvie de la sexuation, peut faire partie, selon les circonstances, de ce qui est requis par l’acte exprimant l’amour. Si donc le préservatif n’est pas ‘bon’ en soi, il est d’un usage sensé dans certains cas de figure. L’Église ne condamne pas l’union sexuelle avec préservatif si c’est l’amour qui le requiert. (Mais elle condamne un violeur qui met un préservatif pour ne pas laisser trace de son ADN !). Si l’Église met en garde le croyant qui pense devoir utiliser un préservatif, c’est pour lui rappeler qu’il y a peut-être une autre voie que le sexe pour aimer plus valablement, mais ceci est une invitation qui ne s’inscrit que dans le contexte de la foi chrétienne à laquelle personne n’est obligé de souscrire."


André, licencié-agrégé en Sciences Religieuses (UCL)

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