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MALVOYANTE, Isabel raconte ses déplacements en bus à Liège: "C’est la galère tous les jours, tous les jours!"

Une habitante de Liège ne veut pas rester cloîtrée chez elle malgré son handicap. Elle prend les bus du réseau des TEC. Un expérience qu'elle assimile à "un calvaire". De l'aménagement des arrêts de bus aux signalisations visuelles et sonores, en passant par le comportement des chauffeurs, l'usagère cite de nombreuses difficultés. Fatiguée de dépendre des autres, elle attend du changement.

Prendre le bus en Wallonie est parfois synonyme de stress et d’énervement pour les usagers des TEC. Et lorsqu’on est une personne handicapée, malvoyante et malentendante, les choses peuvent encore se compliquer davantage.  


"La vie ne m’a pas fait de cadeau"

Isabel habite à Soumagne dans la région de Liège. A 44 ans, elle est malvoyante, souffre d’une cataracte, est atteinte de fibromyalgie et porte aussi un appareil auditif. "La vie ne m’a pas fait de cadeau", résume-t-elle, sans toutefois s’apitoyer sur son sort. Malgré les épreuves de la vie, la quadragénaire se bat pour que son quotidien ressemble à celui de n’importe qui. Mais sa bonne volonté est souvent mise à mal lorsqu’elle prend les transports en commun. Elle nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous après s’être retrouvée dans une mauvaise situation pour la énième fois à Liège.

 
Agressivité de chauffeurs stressés?

Le bus 138 qu'Isabel devait prendre à la gare des Guillemins est arrivé à quai. Mais, bloqué par deux bus devant lui, il a ouvert ses portes aux passagers alors qu'il n'était pas encore devant son arrêt, là où patientait notre témoin. "Je lui ai dit que ce n’était pas évident pour nous, malvoyants, qu’il pourrait attendre son tour pour ouvrir ses portes sur le quai devant l’arrêt, mais il m’a répondu "Je suis sur le quai!", agressivement". Un manque de serviabilité que les chauffeurs mettraient sur le dos de leur cadence de travail. "Ils répondent chaque fois qu’ils n’ont pas le temps, ils sont toujours pressés", déplore l'usagère.


Théorie et réalité du terrain

La porte-parole du TEC Liège-Verviers Carine Zanella confirme que la remarque d’Isabel était fondée : "Le chauffeur est tenu de s’arrêter devant l’arrêt". Du moins, en théorie. "Il faut prendre en compte la réalité du terrain. Il y a souvent des voitures garées sur les bandes d’arrêt. Durant les heures de pointe, il peut arriver qu’un autre bus soit stationné devant un autre alors qu’il ne part pas directement", explique Carine Zanella, qui a d’autres exemples sous le bras. "Si un bus est en train de charger et qu’un autre derrière lui est prêt à partir, il se peut, là aussi, que le second bus parte avant."

Malgré tout, si le cas se répète sans raison, "la personne lésée peut se diriger vers le service plainte, il y a des formulaires à remplir dans les espaces TEC", précise la porte-parole. "Chaque fois qu’une plainte d’un client est déposée à l’encontre d’un chauffeur, il est convoqué pour une confrontation. On peut aussi signaler un problème via le site internet Infotec, qui est adapté aux personnes malvoyantes", ajoute-t-elle.


Les dalles podotactiles, un repère pour le conducteur

Sur son site justement, les TEC assurent réaliser des travaux d’aménagement des aires d'arrêt qui prennent en compte les besoins des personnes malvoyantes. "Les personnes malvoyantes trouveront, à l’avant des plates-formes des quais, des dalles podotactiles de guidage vers la porte avant du bus (dalles en caoutchouc d’information et dalles striées de guidage). Ces dalles podotactiles servent aussi de repère à notre conducteur afin qu’il immobilise son bus à l’endroit précis qui maximise le confort des PMR lors de leur accès au bus."

Est-ce la non-présence de dalle qui ne motive pas certains chauffeurs à ouvrir leurs portes au bon endroit ? Pourquoi un bon nombre d’arrêts n’en possède pas encore ?

"L’installation de dalles podotactiles se fait de manière systématique lors de nouveaux emménagements", explique la porte-parole. "Nous réalisons régulièrement des audit aux arrêts en vue d’apporter les changements nécessaires".


10.0000 arrêts pour le seul réseau TEC Liège-Verviers

Malheureusement, tout cela prend, une fois encore, beaucoup de temps. "Le réseau Liège-Verviers est composé de près de 10.000 arrêts, c’est matériellement impossible de décider qu’en 2018 on aura placé une dalle partout", justifie Carine Zanella. "Donc, la dalle est placée quand il y a un nouvel aménagement, et il y en a sans arrêt ! On ne va pas ouvrir un trottoir s’il n’y a pas un aménagement d’arrêt prévu ou si la ville ne lance pas une réflexion."

"Je dois toujours aller vers les gens, et tomber sur la bonne personne"

Sans infrastructures adaptées aux personnes dans sa situation, Isabel sera toujours dépendante du bon vouloir des autres. A chacune de ses sorties, elle doit interpeller des passagers et des passants pour obtenir l’aide que ne lui fournit pas la TEC.

"J’ai une canne de motricité, on voit clairement que je ne suis pas une utilisatrice habituelle !", souligne-t-elle. "Mais personne ne me demande si j’ai besoin d’aide. Je dois toujours aller vers les gens, puis avoir encore de la chance pour tomber sur la bonne personne…"


"On passe au-dessus de ma canne pour rentrer plus vite dans le bus"

"Partout où je prends le bus, c’est la catastrophe", regrette Isabel. "Je me fais pousser, on passe au-dessus de ma canne pour rentrer plus vite dans le bus. C’est un vrai calvaire !"

"Les chauffeurs ne demandent même pas aux gens de faire attention où de me donner leur place. Ils ont aussi peur de faire des remous", déduit Isabel. "Ils craignent la réaction des gens. C’est la même chose pour les personnes handicapées ou même les femmes enceintes."

Pourtant "le chauffeur est formé au besoin des clients spécifiques lors de son engagement", dit la porte-parole du TEC Liège-Verviers. "Ils reçoivent aussi des formations continues et on organise des campagnes de sensibilisation en interne".

"J’ai peur de me retrouver dans la brousse un jour!"

"Les chauffeurs sont là pour nous aider, mais ils s’en foutent", constate pourtant Isabel. L’utilisatrice de la TEC voudrait bien se passer des services du chauffeur pour ne compter que sur elle-même, mais malheureusement, elle n’a pas encore trouvé de meilleure solution. "J’ai une application "Moovit" sur mon smartphone, mais parfois, ça déraille. Surtout quand je prends plusieurs bus", dit-elle. "Je demande donc chaque fois au chauffeur qu’il me prévienne une fois que je serai arrivée à l’arrêt vers lequel je me rends. Souvent, celui-ci me répond 'J’espère que je ne vais pas oublier'…  J’ai peur de me retrouver dans la brousse un jour!"


Pas plus facile en dehors du bus

Hors du transport en commun, il est difficile pour Isabel de se diriger entièrement toute seule. "Je ne distingue pas le relief, les couleurs et la lumière me dérangent beaucoup. J’ai aussi une cataracte, ainsi qu’un appareil auditif à une oreille", précise Isabel pour expliquer dans quelle situation elle se trouve lorsque, en rue ou dans une station, elle doit se repérer.


Mieux à Paris

"J’ai été à Paris et là-bas, tout est plus simple, c’est comme si j’habitais là ! Tout est écrit en super grand", raconte-t-elle. "Quel choc quand je suis revenue ici", compare-t-elle.

"La Belgique est en retard. Les numéros des bus sont écrits en tout petit. Dans certains pays, les arrêts sont annoncés dans le bus", explique-t-elle, avant que nous lui apprenions que c’est le cas à Bruxelles aussi, ce qui ne manque pas d’augmenter son aberration. "Mais alors, pourquoi ce n’est pas le cas aussi en Wallonie ?"

Du côté du TEC, la porte-parole nous indique que ce point "fait partie des projets d’amélioration". Mais la petite voix qui annonce l’arrêt suivant dans les bus TEC, ça ne semble pas pour demain. "Je ne sais pas vous donner un délai. Pour le moment, le projet n’est pas sur les rails", indique-t-elle.


"Il y a de chouettes chauffeurs, certains me connaissent"

Heureusement, notre alerteuse ne fait pas de généralités et admet ne pas tomber uniquement sur des personnes de mauvaises volonté, incapables de l'aider. Elle est par exemple toujours enchantée de "prendre le bus près de l’université". "Là, les jeunes sont gentils ! Ils sont si aimables, bien intentionnés et m’aident toujours avec plaisir!" 

Du côté des chauffeurs aussi, Isabel peut compter sur de bonnes personnes. "Il y a de chouettes chauffeurs, certains me connaissent. Ils se garent bien pour que je rentre au bon endroit sans devoir redescendre du trottoir sur plusieurs mètres."

De l'autre côté de la vitre, Isabel ne sait jamais percevoir si le chauffeur au volant du bus est un de ceux qui l’a à la bonne. "Moi je les reconnais pas directement !"


"Je peux marcher, qu’on me laisse au moins cette possibilité !"

Isabel voudrait simplement pouvoir voyager l’esprit libre, sans angoisser à l’idée de savoir si elle va tomber sur des gens aimables ou non sur son chemin. "Je suis fatiguée de discuter avec les chauffeurs, ça me saoule. C’est pour ça que je vous contacte. C’est la galère tous les jours, tous les jours."

"J’ai été en chaise roulante pendant de nombreuses années. Depuis 17 ans, je suis atteinte de fibromyalgie. Maintenant que je peux à nouveau me déplacer, qu’on me laisse cette possibilité de marcher!" Isabel croise les doigts et patiente. Pourvu que les choses s'améliorent. Avec quelques vrais changements, son quotidien, mais aussi celui de milliers de personnes à mobilité réduites, qu'elles soient malentendante, malvoyante ou en chaise roulante, ne sera que meilleur.

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