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"Ils attendent qu’il me tue?": Adriana porte plainte contre son ancien compagnon, mais elle ne s’estime pas soutenue par la police

C’est un message en forme d’appel à l’aide. Celui d’Adriana, une femme brésilienne vivant à Namur. Via la bouton orange Alertez-nous, elle décrit une situation conjugale compliquée et la difficulté, d’après elle, à trouver du soutien auprès de la police. En Europe, plus de deux femmes sur cinq ont déjà subi des violences psychologiques de la part d'un partenaire ou d'un ancien partenaire.

Récemment séparée de son conjoint, la Brésilienne affirme avoir été maltraitée psychologiquement et menacée à plusieurs reprises. Le couple s’est marié en janvier 2020. Adriana parle des premiers moments comme d’une relation de rêve: "Il m’apportait des fleurs toutes les semaines, des cadeaux". Mais, dit-elle, l’union tourne rapidement au cauchemar: après quelques mois, il change, passant de personne attentionnée à un individu froid et cassant et c’est là qu’elle découvre l’infidélité de son compagnon.

Adriana souffre énormément de cette situation, au point de faire des crises de panique : "J’étais presque morte. Vous ne savez pas ce que c’est une crise d’angoisse, sans savoir respirer, sans pouvoir dormir", souffle-t-elle des sanglots dans la voix. Après une hospitalisation de 20 jours dans un service de psychiatrie, la Namuroise décide il y a quelques mois de s’installer seule.

J’ai peur qu’il demande à quelqu’un de me faire du mal

Elle demande le divorce. Son mari lui veut "annuler" le mariage. Elle raconte qu’entre autres insultes envers elle et ses enfants, il la menace "de la renvoyer au Brésil".

Aujourd’hui, elle ne se sent pas en sécurité et rapporte plusieurs événements. Adriana explique que son ancien compagnon aurait "crevé les pneus de sa voiture". Et puis, "Il a laissé un mot dans ma boîte aux lettres pour dire qu’il sait où j’habite. Oui, j’ai peur… J’ai peur qu’il demande à quelqu’un de me faire du mal", témoigne la Namuroise.

"70% des plaintes déposées n’engendrent aucune suite"

Adriana s'est rendue plusieurs fois à la police. Mais elle estime ne pas avoir été assez soutenue : "Une fois, ils ont écrit quelque chose, les autres fois je n'ai pas l'impression", se demandant même : "Ils attendent qu’il me tue?". Adriana nous montre un procès-verbal de plainte rédigé le 6 octobre par la police de Namur pour le vol d'une plaque de voiture et deux pneus crevés. Contactés, les services de police confirment que plusieurs PV ont été dressés. Difficile de savoir si de suites ont ou seront effectivement données à ces plaintes. En tout cas, la Namuroise n'a pas été informée, à ce jour. Nous avons également sollicité le procureur du Roi de Namur, celui-ci rappelle que le parquet ne communique pas sur les litiges de nature privée et que les dossiers de violences conjugales constituent une des priorités du ministère public. 

Les violences intrafamiliales, qu’elles soient physiques ou psychologiques, sont très difficiles à appréhender, d’autant plus lorsqu’il n’y a pas ou peu de preuves. Et les témoignages comme celui d’Adriana sont malheureusement trop nombreux. Un chiffre pour l’illustrer. D’après une enquête réalisée en 2012 par l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA), 43% des femmes ont déjà subi une forme de violence psychologique de la part d’un partenaire ou d’un ancien partenaire.

Irene Zeilinger, la fondatrice de l’asbl Garance et responsable des affaires internationales de cette association qui lutte contre les violences basées sur le genre, avance un autre élément, issu d'un rapport de l'Institut national de criminalistique et de criminologie : malgré la politique de tolérance zéro pour les violences conjugales lancée au début des années 2000 en Belgique, "70% des plaintes déposées n’engendrent aucune suite".


Irene Zeilinger

Dans les violences conjugales, quatre formes de violences sont prises en compte: "la violence physique (les coups), la violence psychologique (les insultes, les menaces), la violence sexuelle, et la violence économique", détaille l’inspectrice principale à la police de Bruxelles, Claire Cervello, qui insiste aussi sur l’importance du dépôt de plainte : "pour être reconnue en tant que victime, pour qu’on puisse la réaiguiller vers un milieu associatif, vers des personnes ressources, parce qu’en général ce n’est pas le dépôt de plainte en tant que tel qui va résoudre la situation de violence intrafamiliale, même si parfois le fait d’avoir un acte au niveau de la police, ça met un stop ou ça créé un déclic au sein du couple".

Même lorsqu'il n'y a aucune preuve, il faut porter plainte

Claire Cervello reconnaît que dans les faits les victimes de violences psychologiques hésitent à porter plainte, c’est pourtant primordial: "Même lorsqu’il n’y a aucune preuve, on va quand même entendre la personne. Et avec les éléments donnés, parfois avec des récits d’autres personnes qui peuvent corroborer ses dires, il est quand même possible de faire avancer un dossier".

L’inspectrice souligne aussi l’intérêt de porter plainte, pour chaque nouveau fait : "Le parquet travaille un peu comme une lasagne, en disant: s’il y a plusieurs faits, on voit la gradation, on voit la gravité et si ça bascule dans un côté plus grave, il faut que d’autres mesures soient prises".

C’est encore pire pour la victime si elle entend des discours qui la tiendraient responsable de ce qui lui est arrivé

Faire ce pas de porter plainte ou même simplement de demander de l’aide peut s’avérer très compliqué pour les victimes. D’autant plus que ces victimes sont parfois confrontées à ce qu’on appelle une victimisation secondaire : quand celle-ci n’est pas écoutée, pas crue, remballée sans plus. "C’est encore pire si elle entend des discours qui la tiendrait responsable de ce qui lui est arrivé. C’est une victime pour laquelle le vécu de violences va encore devenir plus lourd et elle va être victimisée une deuxième fois, ce qui peut aussi aggraver les séquelles psychologiques pour elle", déplore Irene Zeilinger.

Pour cette spécialiste de la question, "Il y a encore de grandes lacunes, que ce soit au niveau du suivi à la police, au niveau du suivi des parquets, aussi parce que les professionnels sont parfois mal formés, n’ont pas les moyens et sont en sous-effectifs par rapport au volume du problème".

Maintenant, on part du principe qu’on croit la victime, alors que dans le passé, ce n’était pas toujours le cas

L’importance de bien former les policiers est aussi pointée par Claire Cervello. L’inspectrice est également la responsable de la section EVA (Emergency Victim Assistance), la cellule spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales et de violences sexuelles au sein de la zone de police Bruxelles Capitale Ixelles. "Ce n’est pas comme un fait de coups et blessures, ou un vol de voiture où on constate le vol, on prend les éléments nécessaires et c’est terminé. Il y a toute une charge émotionnelle, tout un aspect psychologique qu’il faut aussi prendre en compte". Dans ces affaires, les auditions sont particulièrement compliquées et prennent du temps, "il faut créer un climat de confiance avec la victime, pour qu’elle soit prête à tout expliquer, parce que ce n’est pas toujours évident de venir déballer toute sa vie, tout ce qui s’est passé, tout ce qu’elle a accepté de subir. Bien souvent, elles ont accepté beaucoup avant de venir déposer plainte", poursuit-elle.


Claire Cervello

Et dans une société qui laisse aujourd’hui plus de place à la reconnaissance et à la condamnation des violences de genre, les choses heureusement évoluent, et la prise en charge aussi. Irene Zeilinger de l’asbl Garance, note de manière positive le fait que "dans le nouveau plan d’action national contre les violences conjugales et les violences faites aux femmes, il y a une mesure prévoyant une formation plus en profondeur des policiers par rapport à ces questions". Claire Cervello voit aussi des progrès : "Il y a une meilleure sensibilisation et puis c’est beaucoup plus reconnu au niveau sociétal. Maintenant, on part du principe qu’on croit la victime, alors que je pense que dans le passé, ce n’était pas toujours le cas".

Quels premiers conseils prodiguer aux victimes de violences ?

Être victime de violences conjugales, de harcèlement ou de tout autre forme de violences faites aux femmes, ça coûte psychologiquement, mentalement, émotionnellement et physiquement, rappelle Irene Zeilinger, qui ajoute: "Il faut avant tout qu’elles pensent à prendre soin d’elles, il faut leur dire que ce n’est pas de leur faute, qu’elles ne sont pas seules". Des associations sont spécialisées dans le soutien aux victimes de violences conjugales et elles peuvent leur apporter aide et assistance. Il y a notamment le numéro de l’écoute violences conjugales : 0800 30 030, accessible tous les jours de la semaine. Il y a aussi une fonction chat, si on n’a pas la possibilité de parler au téléphone, par exemple si on est surveillé.

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