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Roland reçoit une facture de 5.000€ pour la musique de son "Mambo club" pourtant fermé pendant plus d'un an

À 68 ans, Roland n’a qu’un mot d’ordre : divertir et faire danser les gens. Ce restaurateur et gérant de boîte de nuit dans la région de Gembloux reprend progressivement ses activités après une longue interruption en raison de la crise du coronavirus. S’il se réjouit de retrouver ses clients fidèles, il doit faire face aux factures qui s’accumulent. L'une elles le "sidère" particulièrement: celle de la Sabam. 

"Help, help, help!", nous écrit Roland, restaurateur à Gembloux. Après la crise du Covid, la vie reprend progressivement son cours. Mais pour de nombreux secteurs, l’arrivée des factures est compliquée à gérer. Surtout lorsqu’elles ne se justifient pas, estime ce patron de 68 ans. 

Depuis 1982, Roland a l'habitude de gérer ses affaires. À cette époque, aux côtés de son associé, Roland souhaite offrir un lieu de divertissement aux personnes de 50 ans et + dans la région de Gembloux. Après une brève prospection du marché, une idée lui vient. Et s’il ouvrait un complexe associant restaurant, animation musicale et discothèque? C’est ainsi que naît le Coco Grill. L’établissement permet de se restaurer tout en profitant de spectacles de cabaret. Le tout "dans une ambiance festive et chaleureuse", nous décrit Roland.

La sandwicherie nous a permis de survivre

Le patron a pensé à tout et au fil des années, le concept trouve sa clientèle. Le "Mambo Club", une discothèque attenante au restaurant, accueille également ceux qui veulent prolonger la soirée sur la piste de danse. "Nous sommes situés dans un zoning industriel où l’on ne dérange personne", nous confie-t-il. 

Afin de pérenniser son affaire, le sexagénaire ouvre aussi une sandwicherie, destinée à satisfaire les travailleurs pressés durant la semaine. "Tout marchait bien", se souvient Roland. 

Mais c’était sans compter sur la crise du coronavirus et ses répercussions économiques. Comme de nombreux secteurs, Roland a dû mettre en pause son activité. Durant plusieurs mois, seule la sandwicherie a pu rester ouverte et servir des travailleurs, chaque jour un peu moins nombreux en raison de l’instauration du télétravail. "On a eu moins de 50% de clients par rapport à d’habitude. La sandwicherie nous a permis de survivre. Car il faut continuer à payer les assurances et les factures", nous explique le gérant qui assure avoir perdu près de 60% de son chiffre d'affaires sur sa sandwicherie. 

Depuis plus d’un an, la discothèque est fermée

Depuis cette fermeture, les factures sont la bête noire de Roland et de son associé. Il y a quelques semaines, c’est la sidération. Roland reçoit une facture de la Sabam, via Unisono. La Sabam, c'est la société qui gère les droits des artistes. Avant de diffuser de la musique au sein de leur établissement, les bars, hôtels, salles de sport, salons de coiffure etc. doivent obtenir l’autorisation de diffuser de la musique protégée. Cela passe par une sorte de redevance.

Roland a donc souscrit deux adhésions à la Sabam, l’une pour son restaurant et l’autre pour sa discothèque. Chaque année, il reçoit ainsi deux factures annuelles.

Cette année, la société lui réclame 5.000€ de droits de musique pour sa discothèque. La facture pour son restaurant devrait également lui parvenir d’ici peu. Pour ce restaurateur, cette situation n’est pas acceptable. "La discothèque a été fermée pendant plus d'un an. Et la Sabam nous demande 5.000€ alors que nous n’avons diffusé aucune musique. C’est une honte !", s’exclame le restaurateur.

Une situation financière compliquée

La facture reçue par Roland indique une période: "du 1er janvier au 31 décembre 2021". "La Sabam, c’est pire que le Fisc", s’énerve-t-il. Avant d’ajouter: "Ça me sidère. Je ne veux pas payer pour de la musique que je n’ai pas diffusée. En France et au Luxembourg, la Sacem a aidé les artistes qui n’ont pas eu de factures à payer". 

Aujourd’hui, l’établissement de Roland présente une situation financière compliquée. "Il y a plein de choses à payer. Par exemple là, il faut payer notre revenu cadastral de 32.000 euros car nous sommes propriétaire du bâtiment. Heureusement que l’on a eu quelques aides et qu’au niveau fédéral, ils patientent", souffle le gérant. 

Habituellement, 5 personnes sont employées à temps plein. Durant la crise, toutes ont été mises au chômage temporaire. Déterminé à être exempté de factures de la Sabam, le sexagénaire a engagé un avocat. "On va voir ce que les tribunaux vont dire. Le gros problème ici c'est que tout le monde est dans le même panier. Les discothèques sont fermées depuis mars mais les gérants doivent quand même payer", s'offusque le défenseur. 

Aucune raison que l'Horeca paie pour quelque chose qu'il n'a pas consommé

Pour Luc Marchal, vice-président de la Fédération Horeca-Wallonie, cette situation n'est pas non plus acceptable. "Il n'y a aucune raison que l'Horeca paie pour quelque chose qu'il n'a pas consommé. Nous ne voulons pas que les artistes soient lésés bien sûr car beaucoup sont dans la crise. Mais ce n'est pas à nous de payer", résume le vice-président. 

Le problème des cotisations avec Unisono s'est déclaré rapidement durant la crise du coronavirus. Dès que le secteur a été mis à l'arrêt, tant pour les discothèques que pour l'Horeca, il a fallu repenser ces contrats noués avec la société des artistes.

"Pour le monde de la nuit, nous avions conseillé aux travailleurs de suspendre leur contrat le temps de la fermeture et d'en refaire un à la réouverture. Il y a le problème des frais de dossier qui s'ajoutent à la création d'un nouveau dossier mais à côté des 5.000€ demandés, ce n'est rien", constate Luc Marchal. 

De son côté, Roland nous explique d'avoir malheureusement pas reçu ce conseil de la Fédération. Il n'a donc pas suspendu son contrat durant la crise. Pour les gérants qui, comme lui, n'ont pas annulé leur contrat, le vice-président de la fédération Horeca-Wallonie conseille de "contester la facture". 

Des mois de réduction accordées

Durant la crise sanitaire, des discussions ont été engagées entre les trois fédérations Horeca régionales et Unisono, la plateforme unique pour obtenir un licence pour l’utilisation de musique. Et des mesures d'aide ont été prises. 

En avril 2020, la Sabam, société qui gère les droits d'auteurs, favait octroyé un mois de déduction dénommée 'contribution de solidarité' pour aider les entreprises qui avaient été fermées d'autorité. Autrement dit, sur leur facture de 2020, un mois leur avait été déduit. "On ne s'attendait pas à vivre une année comme cela. Donc à l'époque, on avait négocié un mois de réduction sur les factures", se souvient Geneviève Bossu, juriste pour la Fédération Horeca Wallonie.

En 2021, de nouvelles discussions ont été entreprises. Cette fois, le gouvernement fédéral a débloqué 19 millions d'euros pour les pertes en droits d’auteur. Parmi eux, 16 millions ont été attribués en faveur de la Sabam afin d'indemniser en partie les auteurs et octroyer un geste commercial entre autres à l'horeca. Grâce à ces fonds, une réduction allant de 4 à 5 mois a été accordée aux établissements horeca.

À chaque fois, c'est au restaurateur de demander le droit à ces rabais en introduisant son dossier via le site d'Unisono. "La procédure est simple mais ce n'est pas quelque chose d'automatique", commente la juriste.

D'un côté l'Horeca et de l'autre, les discothèques

Et quid des discothèques? Ont-elles été oubliées par ces mesures d'aides? Pour nous éclairer, nous nous tournons auprès de la Sabam. Olivier Maeterlinck, son porte-parole, répond à nos questions. Rapidement, on comprend que la situation de Roland est un cas isolé. Le contrat qu'il a contracté avec Unisono reprend le tarif "café dansant" et non "discothèque". Considéré comme un café, Roland n'a donc pu bénéficier de la suspension du forfait mensuel qui a été accordé aux discothèques fermées depuis mars 2020, nous explique-t-on.

Olivier Maeterlinck nous explique qu'Unisono distingue deux types de tarification dans la gestion de ses contrats. D'un côté, les établissements horeca qui, eux, reçoivent une tarification annuelle. Pour ces établissements, un accord a bel et bien trouvé entre Unisono, le gouvernement et les fédérations Horeca. Comme détaillé plus haut, la première année de la crise sanitaire, soit 2020, un mois de réduction avait été accordé aux établissements. Pour 2021, cette ristourne peut atteindre 5 mois. (Vous pouvez retrouver le détail des conditions ici).

Vouloir compenser les pertes à 100% est utopique

Mais pour les discothèques, les facturations mensuelles ont été arrêtées depuis avril 2020. Elles ont repris dès ce mois d'octobre, date de réouverture de ces établissements. Si Roland avait signé un contrat reprenant la dénomination "discothèque" pour son établissement, il n'aurait pas reçu de facture. Suite à notre intervention et afin d'aider le gérant, Unisono a pris contact avec lui afin de voir dans quelle mesure son contrat doit être adapté.

Les aides accordées ont pour but de limiter les pertes d'une part pour les établissements horeca et d'autre part, pour les auteurs, compositeurs et éditeurs. "Comme l’Horeca, nous avons demandé au gouvernement fédéral de compenser les droits d’auteurs perdus. Le gouvernement a aidé les sociétés de gestion collective en débloquant 19 millions d'euros. Les auteurs seront ainsi compensés pour une partie des pertes de droits d’auteurs", explique Olivier Maeterlinck. Avant d'ajouter: "cette compensation vient en aide à nos auteurs, qui se trouvent dans une situation financière très précaire suite aux mesures covid. Elle est saluée par les auteurs. Vouloir compenser les pertes à 100% est utopique. Nous comprenons que le gouvernement ne sache pas tout compenser.".

De son côté, Roland ne cache pas son plaisir à avoir pu rouvrir les portes du Mambo Club le 1er octobre dernier. Même si les clients sont encore timides (environ 30% de fréquentation en moins par rapport à d'habitude), le sexagénaire garde espoir. "C'était tellement gai!", sourit-il.

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