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"Si je ne rentre pas, c'est la faillite assurée": bloquée au Maroc depuis 2 mois, Naziha ne peut pas rouvrir son magasin à Bruxelles

La Belgique a entamé son déconfinement, l'horizon semble s'éclaircir pour bon nombre de ses citoyens. L'activité reprend petit à petit, les commerces peuvent de nouveau accueillir leurs clients. Et selon l'Ambassade de la Belgique au Maroc, 2.000 Belges ont également pu rentrer au pays après des semaines bloqués au Maghreb. Pourtant le calvaire continue pour Naziha et son mari Fouad. Bloqués à Tanger depuis le 10 mars, le couple ne sait toujours pas quand il pourra rentrer en Europe. Entre la faillite qui menace son commerce à Bruxelles et les soucis de santé, l'inquiétude n'en finit pas de monter.

Après avoir sévèrement touché la Chine puis l'Italie, le coronavirus s'est rapidement répandu à travers l'Europe puis le monde. À la mi-mars, les mesures de confinement et les fermetures de frontières se sont multipliées. Au Maroc, la suspension des vols vers l'Europe empêche le retour de nombreux Belges. Leur calvaire dure depuis plus de deux mois et malgré les négociations entre les autorités belges et marocaines, certains qualifient les opérations de rapatriement de véritable fiasco.

Les parents de Zineb font partie des Belges toujours coincés au Maroc. Inquiète pour leur situation, elle nous a écrit via le bouton orange Alertez-nous : "Mes parents sont bloqués au Maroc depuis plus de 2 mois. Ma mère est gérante d'une boutique de prêt-à-porter pour homme. Si elle reste bloquée, elle risque de tout perdre".

Fermeture des frontières

Naziha et Fouad se rendent régulièrement à Tanger au nord du pays. Le 10 mars, au moment d'embarquer dans l'avion, ils sont loin d'imaginer que leur voyage prévu pour quelques jours, durera finalement plusieurs mois. Quelques jours après leur arrivée, les autorités marocaines suspendent les vols à destination et en provenance de l'Europe pour tenter d'endiguer la propagation du coronavirus. Seulement, de nombreux résidents européens comme Naziha et Fouad se trouvent sur le territoire et doivent impérativement rentrer.

Assez rapidement, les 18 et 19 mars, 7 vols de rapatriement sont organisés. De nombreuses personnes peuvent rentrer chez elles. Selon le ministère des Affaires étrangères belge, "de nombreux vols commerciaux additionnels sont également organisés jusqu'au 22 mars, permettant à des milliers d'Européens de regagner le continent".

Mais Naziha et Fouad ne figurent pas sur la liste d'enregistrement de ces vols. "Des mesures très restrictives", selon le cabinet du ministre des Affaires étrangères Philippe Goffin, ont été mises en place sur le territoire marocain. "Ce qui fait qu'un grand nombre de Belges qui ont aussi la nationalité marocaine se sont retrouvés coincés". En effet, en vertu du droit international, le Maroc estime que les personnes ayant la double nationalité belgo-marocaine présentes sur le territoire répondent aux lois du pays comme tout autre marocain, rapporte le cabinet du ministre belge. Ils doivent par conséquent rester sur place.

Négociations pour des vols humanitaires

Le 22 mars, la situation se complique encore. L'espace aérien marocain est définitivement fermé. Plus aucun avion ne transite entre le pays maghrébin et le continent européen. "Le Maroc a fermé son espace aérien presque du jour au lendemain, ça s'est fait très soudainement", confie-t-on au ministère.

Ce dernier entreprend alors des négociations avec le pays d'Afrique du Nord. Un compromis est trouvé et permet de dégager trois critères impérieux qui justifieront la nécessité d'un retour en Belgique pour les personnes présentes au Maroc : "La fragilité liée à la santé, la fragilité liée à une séparation familiale, et la fragilité liée à une situation socio-économique ou professionnelle".

Ils habitent en Belgique, ils paient des impôts en Belgique, ce n'est pas normal

Pour pouvoir obtenir leur billet retour, les Belges doivent alors se manifester auprès de l'Ambassade de Belgique au Maroc. Près de 6.100 demandes sont réceptionnées dont celle de Naziha et Fouad. Leur fille Zineb raconte : "Il fallait envoyer un mail pour signaler leur situation. Nom, prénom, date de naissance, numéro de registre national, les raisons pour lesquels ils devaient rentrer…"

Selon elle, ces justifications étaient de trop. Elle estime qu'en tant que Belges, ses parents auraient dû être naturellement autorisés par le Royaume du Maroc à rentrer chez eux : "Ils habitent en Belgique, ils paient des impôts en Belgique, ce n'est pas normal. Mais bon, on a justifié, on a expliqué qu'ils devaient reprendre leur travail".

Malheureusement pour le couple bruxellois, ces explications ne suffisent pas. Après une longue attente, un mail leur est transmis. La liste des destinataires laissée publique montre que des centaines de personnes ont reçu ce même message générique :

"Madame, Monsieur,

Vous vous êtes signalé/e auprès de l’Ambassade de Belgique à Rabat afin d’être pris/e en considération pour un rapatriement à caractère humanitaire vers la Belgique à l’initiative de l’Etat belge suite à la fermeture des frontières et de l’espace aérien marocain et à l’annulation des vols commerciaux.

Il a été convenu avec les autorités marocaines que pourraient prétendre à un rapatriement les Belges, résidant en Belgique, se trouvant en séjour temporaire au Maroc et ayant fourni un document justificatif probant d’une condition médicale ou sociale impérieuse. Une liste de compatriotes répondant à ces critères a été soumise aux autorités marocaines pour approbation.

Nous sommes au regret de vous informer que vous n’avez pas été retenu/e. Soit vous ne répondez pas aux critères énoncés ci-haut, soit vous n’avez pas fourni de document justificatif probant."

Les Belges pouvant prétendre à un rapatriement dit "humanitaire" sont donc triés sur le volet. Le porte-parole du ministre des Affaires étrangères compte "6.000 demandes mais parmi elles, seules 3.400 concernaient des Belges. Et sur 3.400, environ 1.400 ont pu mettre en avant un justificatif pour un rapatriement humanitaire".

"Condition médicale ou sociale impérieuse"

La décision laisse un goût amer pour Naziha, Fouad et leur fille Zineb qui les aide à constituer leur dossier. "Je n'ai su qu'après qu'il fallait envoyer des attestations, tout justifier", regrette-t-elle. Pourtant, les raisons qui justifient la nécessité de leur retour ne manquent pas.

"On a un refus de pouvoir rentrer chez soi alors que j'ai deux adolescents restés seuls à la maison pendant cette période de confinement", s'alarme Naziha. Certes, ces deux adolescents sont âgés de 19 et 23 ans et peuvent être indépendants mais ils sont toujours à la charge de leurs parents. Une séparation familiale qui constitue l'un des critères admissibles pour un rapatriement humanitaire mentionnés par le Service public fédéral des Affaires étrangères.

Ensuite, à 57 et 63 ans, Naziha et Fouad ont tous deux une santé fragile. Dans un second mail envoyé à l'Ambassade, le couple a joint des certificats de leur médecin traitant en Belgique. Le praticien qui les suit depuis 2004 juge "indispensable" un suivi stricte pour traiter l'hypertension artérielle de Fouad et le diabète de type 2 de Naziha. Il s'agit de nouveau d'un critère valable pour le rapatriement vers la Belgique.

Il va falloir régler tout ce qui est à payer quand on a un commerce et pour l'instant il y a zéro entrée d'argent

Enfin, Naziha répond également à une situation économique critique, le troisième critère de rapatriement. Le commerce de prêt-à-porter qu'elle gère à Bruxelles fait l'objet d'une réorganisaiton judiciaire. "Les magasins ont pu ouvrir, j'ai une boutique mais elle reste fermée parce que je ne peux pas travailler. J'ai énormément de travail et je suis bloquée ici à ne rien faire, à tourner en rond. Si je ne suis pas à Bruxelles pour ouvrir mon magasin, c'est la faillite assurée", s'inquiète Naziha.

En Belgique, Zineb fait toujours des pieds et des mains pour venir en aide à ses parents mais la situation ne bouge pas et les dettes menacent de s'accumuler : "Le propriétaire réclame son loyer, ce qui est normal. C'est un effet boule de neige, il va falloir régler tout ce qui est à payer quand on a un commerce et pour l'instant il y zéro entrée d'argent. On est terrorisés. Elle est bloquée là-bas et on ne sait pas jusqu'à quand".

Embarquement, dernier appel

Les Belgo-marocains contraints de patienter dans l'incertitude comme Naziha et Fouad pourraient se compter par centaines à en croire les différents groupes qui fleurissent sur les réseaux sociaux.

Éducateur dans les milieux populaires, Mohsin Mouedden se présente comme militant des droits humains depuis plus de 25 ans. Face à l'afflux de personnes qui se sont tournées vers lui pour tenter de regagner d'urgence la Belgique, Mohsin a créé des groupes sur Facebook qui comprennent aujourd'hui près de 5.000 membres. "Il y a de grosses souffrances, des gens totalement désemparés. Ils ne savaient pas à qui s'adresser, ils trouvaient portes closes du côté de l'Ambassade de la Belgique ou du Maroc", justifie Mohsin.

Il déplore des problèmes de communication et de respect de la vie privée : "Il y a eu des carences terribles au niveau de l'administration à l'ambassade de Rabbat. Des mauvaises manipulations informatiques qui ont fait que du jour au lendemain des mails se sont retrouvés visibles". Il fait référence au message de refus comportant une liste de centaines de destinataires laissée publique que nous avons cité précédemment.

Mohsin affirme que, dépassé par le nombre important de demandes de rapatriement, le ministère n'aurait pas correctement analysé les dossiers. "On a des gens en très bonne santé qui sont rentrés et des gens avec des pathologies très lourdes, des bébés qui ont été refusés malgré toutes les explications. 1.063 e-mails de refus catégoriques alors qu'au sein de ces 1.063 personnes des gens ont quand même été rapatriés".

Attendre que le Maroc entame le déconfinement et autorise la reprise des vols

Vendredi 15 mai, l'Ambassade de Belgique au Maroc a salué sur les réseaux sociaux "un dernier vol qui a permis le retour de 274 passagers". "Grâce à cette opération exceptionnelle, ce sont près de 2.000 personnes en situation d'urgence qui ont pu rentrer au pays". Naziha et Fouad n'en faisaient toujours pas partie. Leurs mails accompagnés des documents justifiant l'urgence de leur situation n'a, pour l'heure, toujours pas eu de réponse.

Comme eux, combien de Belges restent bloqués au Maroc ? Les témoignages continuent d'affluer sur les groupes constitués sur les réseaux sociaux. Le seul conseil que le ministère des Affaires étrangères peut leur donner est de patienter : "On est dans la phase de déconfinement, il y a de plus en plus de pays qui envisagent cette phase là ou l'ont déjà entamée. Il est certain que le Maroc l'entamera également. Un déconfinement qui se traduira notamment par une reprise des vols commerciaux, probablement graduelle", tente difficilement de rassurer le cabinet du ministre des Affaires étrangères Philippe Goffin.

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