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Bruno, 30 ans, infographiste, ne trouve pas de travail: sa vue déclinante pose difficulté

Le jeune homme ne parvient pas à se faire embaucher dans son domaine de prédilection et essuie des refus dans les autres secteurs également. La maladie dont il est atteint ne joue pas en sa faveur.

Atteint d'une maladie dégénérative de la vue, Bruno n'en est pas moins diplômé en infographie. S'il dispose d'une expérience professionnelle en la matière, il est actuellement sans emploi depuis plus d'un an. Il a beau élargir ses recherches à des secteurs éloignés de sa formation, les réponses des employeurs restent négatives. "Malvoyant, sans emplois et sans revenus (à peu de choses près). Je commence à saturer", écrit-il via le bouton orange Alertez-nous.

Des problèmes pour voir dans l'obscurité, un champ visuel rétréci

Bruno a toujours eu des problèmes de vue. Il porte des lunettes depuis sa petite enfance pour corriger son astigmatisme. Il est aussi atteint de rétinite pigmentaire. Une maladie génétique de l'œil dont il a hérité de son père. "C'est vers mes 15-16 ans que j’ai vraiment commencé à m’en rendre compte", se souvient-il.

"La rétinite pigmentaire débute généralement par des problèmes de vue lorsque l’intensité de la lumière diminue, explique l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Des difficultés d’adaptation à l’obscurité sont fréquentes, par exemple lors du passage d’une pièce très éclairée vers une pièce sombre."

"Mon plus grand problème, c’est la vision dans l’obscurité", confirme Bruno.

"Progressivement, le champ visuel se rétrécit avec l’impossibilité de voir les choses en haut, en bas ou sur les côtés", poursuit l'Inserm. "J’ai plusieurs angles morts dans ma vue périphérique", corrobore le Namurois.

Dégénérative, cette maladie entraîne une perte progressive de la vision. "Vers 20 ans, j’ai ressenti une petite baisse. Un pallier très léger. J’ai appris à vivre avec et puis je ne m'en rendais plus trop compte", raconte Bruno.

Bruno s'est dirigé vers le domaine professionnel qui l'attirait le plus

Fan de jeux vidéo, avec un goût pour le dessin depuis l'enfance, Bruno s'est lancé dans des études d'infographie à la Haute École Albert Jacquard de Namur. Une voie a priori pas évidente compte tenu de sa vue, mais qui lui semblait être la bonne : "J’ai voulu faire un métier qui me passionnait et qui me procurait du plaisir sans me soucier du futur", confie-t-il. Et de constater : "Ce n'était peut-être pas le choix le plus stratégique et judicieux possible mais c’est le choix que j’ai fait".

Il a réalisé de nombreux projets, mais pas décroché d'emploi fixe

Son diplôme en poche, Bruno a commencé à chercher du travail à l'âge de 25 ans. Spécialisé dans l'infographie 3D, il a obtenu une dizaine des commandes dans ce domaine. Il a aussi réalisé divers petits travaux (affiches, flyers...) mais n'a pas obtenu de contrat à durée indéterminée. En 2019, il a suivi une formation d'un mois au dessin industriel, proposée par le Forem. "Ça m’a plu et je me sentais doué. Ça m’avait rehaussé l’estime de moi-même", confie-t-il. Mais ses démarches pour trouver un emploi dans ce domaine n'ont pas abouti.

Fin 2019, sa maladie a franchi un nouveau stade. "Du coup je me suis remis en question par rapport à ce choix professionnel", confie-t-il. Bruno a donc élargi le champ de ses recherches d'emploi : magasinier, vendeur, plongeur en restauration... Malgré ses problèmes de vue, Bruno pense pouvoir "se débrouiller", dit-il. "J’ai mes petites astuces, j’ai toujours ma petite lampe de poche sur moi. J’ai de quoi faire une photo. Si je ne sais pas lire, je zoome", explique-t-il.

Toutes les personnes malvoyantes ne sont pas destinées à devenir téléphonistes

Malgré sa bonne volonté, ces recherches-là n'ont pas abouti non plus. "Le temps passe et mon estime personnelle et professionnelle est au plus bas", confie-t-il. Bruno a-t-il frappé à la mauvaise porte ? Y-a-t-il un type d'emploi plus adapté aux personnes malvoyantes comme lui ? "Non !", tranche Christine Stiennon, du service communication de la Ligue Braille. "Contrairement aux idées reçues toutes les personnes malvoyantes ne sont pas destinées à devenir téléphonistes. Il est évident que tout n’est pas possible mais beaucoup de choses le sont, explique-t-elle. Tout dépend de la pathologie visuelle, du potentiel visuel et de l’évolution de la pathologie."

Son handicap officiellement reconnu, à quoi a-t-il droit ?

Sur le plan psychologique, ses recherches infructueuses ont affecté Bruno, qui s'est senti "un peu en dépression" pendant quelques temps. Mais l'aspect financier de sa situation est également problématique. Bruno ne peut prétendre aux indemnités de chômage : il faut avoir travaillé au moins 312 jours au cours des 21 mois précédant la demande, indique l'Office national de l'Emploi (Onem).

Depuis 2019, Bruno est reconnu comme porteur d'un handicap par le service public fédéral (SPF) Santé publique, ce qui lui ouvre la porte à certains droits. Il a commencé à toucher une allocation de remplacement de revenus (ARR) d'environ 1.100 euros, indique-t-il. "C’était un soulagement... Sauf que le mois suivant j’ai reçu une autre lettre m'annonçant que mon allocation de remplacement allait être drastiquement revue à la baisse", raconte-t-il.

Désormais, Bruno ne touche plus que 215 euros par mois. En effet, le montant de cette allocation est calculé selon le revenu du ménage. Or, Bruno habite dans un petit appartement avec sa compagne. "Il y a eu un recalcul par rapport à l’année 2018 de ce que ma compagne gagnait", explique-t-il.

Par ailleurs, Bruno peut faire valoir auprès de ses employeurs potentiels qu'ils bénéficieront d'une prime à l'intégration de l'AVIQ s'ils l'embauchent. Elle offre notamment aux aux entreprises un remboursement de 25% de la rémunération de l'employé pendant un an. "Ces primes sont un plus pour les employeurs qui osent franchir le pas d’engager une personne malvoyante. Mais certains préjugés sont plus forts et la prime n’y change rien", remarque Christine Stiennon.

Bruno s'est adressé au Centre public d'action sociale (CPAS) en vue d'obtenir le revenu d'intégration social (RIS). Il lui a été refusé car le CPAS prend aussi en compte les revenus du/de la partenaire de vie du demandeur d’aide, mariés ou non.

La Ligue Braille lui apporte son soutien pour qu'il puisse sortir de la précarité

Sur le plan professionnel, la situation de sa compagne n'est pas très stable. Ces deux dernières années, elle a enchaîné des contrats à durée à déterminée avec des périodes de chômage. Le couple vit donc dans une certaine précarité, avec environ 1.500 euros pour deux. Bruno, bientôt 30 ans, aimerait pouvoir assumer sa part des factures, sans "papamaman qui donnent un petit coup de pouce de temps en temps".

Après quelques mois difficiles psychologiquement, il repart de l'avant. Il a des rendez-vous avec un coach de la Ligue Braille, pour l'aiguiller sur le plan professionnel. "Chaque situation est unique et les obstacles vers l’emploi sont très spécifiques. En fonction du type et du stade de la pathologie, l’orientation du demandeur d’emploi doit être ajustée, explique Christine Stiennon. Le chemin vers l’emploi est souvent plus long mais la précarité n’est pas une fatalité. Il suffit d’une porte qui s’ouvre".

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