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Pourquoi l'industrie du tabac paie-t-elle des chercheurs pour dire que la cigarette électronique est moins nocive que la cigarette normale?

Les entreprises du tabac craignent de rater le tournant de la cigarette électronique. Face à ce nouveau marché, ils investissent des milliards pour créer leurs produits, et financent des études qui montrent leurs avantages, même si cela se fait aux dépens de la cigarette traditionnelle. Pour les médecins, ils essaient surtout de banaliser l’acte de fumer, avec un produit dont on ne connaît pas encore tous les effets.

Après avoir fumé des cigarettes classiques pendant vingt ans, Claude a complètement été charmé par la cigarette électronique. "Ça a changé ma vie, j’ai commencé il y a cinq mois et je me sens beaucoup mieux. Je ne tousse plus comme un rachitique", explique ce Chapellois. Via la page Alertez-nous, il a tenu à nous transmettre une étude scientifique. Elle rapporte que la vapeur des cigarettes électroniques contient 1.500 fois moins de toxines que la fumée d’une cigarette traditionnelle. Le résultat n'est guère surprenant. Par contre, plus étonnante est la société qui emploie les auteurs de cette étude: Lorillard Tobacco Company, membre du groupe Reynolds. Pourquoi le fabricant des célèbres cigarettes Camel et Pall Mall financerait-il une étude favorisant un produit à première vue concurrent? Comment les cigarettiers se renouvellent face à un marché du tabac de plus en plus réglementé? Essaieraient-ils de banaliser l’acte de fumer grâce à un nouveau produit, moins nocif?


"J’attrapais une bronchite chaque hiver, ma vie a complètement changé"

Claude a commencé à fumer à l’âge de 12 ans. Après plus de vingt ans de tabagisme, les effets de la cigarette se faisaient sentir chaque jour. "Tous les matins je toussais à en cracher des glaires. Et vu que je suis fragile des bronches, j’attrapais une bronchite à chaque hiver", explique-t-il. "Je voyais que ma santé se dégradait, j’ai donc essayé des gommes, des patchs... mais rien n’a marché", précise le père de famille.

"Il y a cinq mois, je suis tombé sur des études sur la cigarette électronique, elles montraient que les composants utilisés étaient moins nocifs, alors j’ai essayé", précise Claude. D’après lui, c’est grâce à ce nouveau système qu’il a pu arrêter la cigarette classique. "L’e-cigarette permet d’avoir une dose de nicotine, sans inhaler tous les autres produits toxiques. En plus, on garde l’habitude d’apporter une cigarette à sa bouche, sauf qu’il n’y a pas de tabac", explique Claude.


"Marlboro a investi 2 milliards et engagé 300 scientifiques pour l’e-cigarette"

La dernière étude que Claude a consultée, et qu'il nous a relayée, l’a conforté dans son choix. "Elle montre que la vapeur d’une cigarette électronique contient 1.500 fois moins de toxines que la fumée d’une cigarette classique", se réjouit-il.

Si les cigarettiers financent des études qui montrent les atouts de la cigarette électronique, c’est parce qu’ils investissent énormément d’argent dans ce domaine. "Philip Morris, le fabricant de Marlboro et L&M, a investi deux milliards et engagé 300 scientifiques pour développer sa cigarette électronique", précise Anne Boucquiau, la responsable du département prévention de la Fondation contre le cancer.

A y regarder de plus près, on constate que chaque fabricant possède son propre produit électronique. Chez Reynolds, l’e-cigarette porte le nom de Vuse. Chez Altria, c’est Green Smoke et MarkTen. Pour British American Tobacco, c’est Vype. "Ils ont peur que le marché leur échappe, un peu comme pour Kodak et la photographie numérique. Ils mettent beaucoup de moyens pour s’imposer", explique Anne Boucquiau. En France, l’Office de prévention du tabagisme a constaté une diminution des ventes de cigarettes de 7,6%. Un repli que l’organisme attribue à l’e-cigarette.


"Ils banalisent l’acte de fumer en disant que ce n’est plus toxique"

Pour le psycho-tabacologue Martial Bodo, le but de cette stratégie est évident. "Les fabricants veulent faire revenir par la petite porte l’enfumage global", estime-t-il. "Face à toutes les réglementations sur le tabac, ils essaient de renouveler le marché avec un nouveau produit. En disant aux gens que fumer n’est plus toxique", ajoute le tabacologue de l’Institut Bordet à Bruxelles.

Active dans la prévention du tabagisme, Anne Boucquiau considère que les études montrant les avantages de la cigarette électronique peuvent être dangereuses. "Le danger est de normaliser l’acte de fumer, et de faire croire que ce n’est pas toxique", dit-elle. "Il y a aussi le risque de rendre la cigarette plus attractive chez les jeunes. Ça pourrait être une porte d’entrée vers d’autres produits plus néfastes", ajoute-t-elle.


La cigarette électronique a séduit environ 110.000 utilisateurs en Belgique

En Belgique, la Fondation contre le cancer a interrogé un panel de citoyens pour évaluer le nombre de fumeurs de cigarette électronique. Sur les 4.007 personnes interrogées, seulement 1% d’entre elles utilisent de façon occasionnelle ou régulière une cigarette électronique. En France, le nombre de consommateurs monte à 6% de la population.

Petit à petit, les efforts des cigarettiers commencent donc à porter leurs fruits. Et leurs cigarettes électroniques séduisent de plus en plus d’utilisateurs, à l’image de Claude. "C’est un phénomène nouveau, qui a déjà attiré énormément d’acheteurs en France et en Grande-Bretagne", explique Anne Boucquiau, de la Fondation contre le cancer. "Le nombre de consommateurs est encore contenu en Belgique, mais la tendance est clairement à la hausse", ajoute-t-elle.


"Est-ce que vous donneriez une cigarette électronique à un enfant?"

Face aux résultats des études sur la cigarette électronique, Anne Boucquiau reconnait que le produit est moins nocif. "Les risques sont plus réduits, et les effets sont moins irritants", affirme le médecin. "Il faut dire que le tabac classique est tellement nocif, qu’il n’est pas difficile de faire moins toxique", ajoute-t-elle.

Les médecins que nous avons contactés restent perplexes lorsqu’on leur dit que la cigarette électronique n’est quasiment pas toxique. "Il me semble difficile à croire qu’il est tout à fait inoffensif de respirer la fumée d’une molécule chimique qui a été chauffée", estime Martial Bodo. "D’ailleurs, est-ce que vous donneriez une cigarette électronique à un enfant? Je ne pense pas", interpelle le tabacologue.


"L’e-cigarette, c’est comme sauter du 15e étage au lieu du 30e"

Pour Martial Bodo, un autre danger est de faire croire aux utilisateurs qu’ils ont arrêté de fumer. "Utiliser une cigarette électronique, c’est continuer à fumer! C’est peut-être moins nocif, mais c’est exactement le même comportement, la même habitude, et l’utilisateur inhale une vapeur ou une fumée", explique-t-il. "Utiliser une e-cigarette, c’est un peu comme sauter du 15e étage au lieu du 30e", estime-t-il.


Un moyen décrié d’arrêter, ou de changer sa consommation

Habitué à voir défiler les patients, Martial Bodo considère qu’il faut agir à plusieurs niveaux pour augmenter ses chances d’arrêter le tabac. "Il faut d’abord jouer sur la motivation. Le patient doit être volontaire, la démarche doit venir de lui, et pas d’une pression sociale ou extérieure", explique-t-il. "Il peut aussi être utile d’utiliser une aide pharmaceutique pour lutter contre l’addiction. Et enfin, il faut agir sur la façon de penser, et remplacer l’envie de fumer par d’autres activités, comme manger des fruits, prendre l’air, etc.", ajoute le médecin.

Dans d’autres cas, comme pour Claude, la cigarette électronique est un moyen d’éviter les effets très nocifs du tabac. Grâce à un produit visiblement moins toxique, mais dont tous les effets ne sont pas encore connus, il semble avoir amélioré son hygiène de vie. "C’est un choix, car il y a plusieurs profils d’utilisateurs de l’e-cigarette. Certains l’utilisent comme transition, d’autres l’adoptent pour modifier leur consommation", estime le tabacologue Martial Bodo.

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