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Choqué par la violence d'un film, Nicolas quitte le cinéma en pleine séance: qui détermine les restrictions et avertissements à diffuser?

Au cinéma, tous les films ne peuvent être visionnés par tous. Des restrictions d'âge s'appliquent afin de protéger les plus jeunes. Chaque film fait donc l’objet d’un débat au sein d'un organisme appelé "Commission intercommunautaire de contrôle des films". Quel est son rôle? Quels sont les critères établis? RTL INFO dresse le bilan de cette initiative peu connue par le grand public.

Nicolas n’en revient pas. Alors qu’il pensait visionner le nouveau film "Annabelle" en famille, l’entrée au cinéma leur a été refusée. La cause: le film est déconseillé aux moins de 16 ans, sa sœur n’en a que 14. On leur propose donc "Anna", le dernier film de Luc Besson. Et là, c’est la désillusion. "Les premières minutes du film, c’est de la boucherie pure et simple", insiste Nicolas. Il nous raconte qu’en plus de scènes de violence, "le film comprend des moments érotiques". 

Choqué, il quitte la salle en pleine séance et alerte le gérant. "Il a envoyé une personne qui a elle-même constaté la présence de scènes très violentes", nous affirme-t-il. 

"Le conseil supérieur de l’audiovisuel interdit le film 'Annabelle' aux moins de 16 ans mais laisse le dernier film de Luc Besson en tout public. C’est scandaleux", poursuit le Liégeois. Contrairement à ce que pense Nicolas, ces compétences ne dépendent pas du CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) mais de la "Commission intercommunautaire de contrôle des films" de Belgique. À noter que le CSA régit les programmes proprement dits et les règles qui s'appliquent à la télévision.


Plusieurs questions se posent alors: comment sont classifiés les films qui sont diffusés dans nos salles de cinéma ? Qui décide de la restriction d'âge à appliquer ?

En Belgique, l’accès aux salles obscures est régi selon la loi Vandervelde. Cette dernière a été établie en 1920 par le ministre de la justice Emile Vandervelde. A cette époque, le média cinématographique voit le jour et suscite des craintes. Pour protéger les mineurs, le ministre impose que tout film destiné à être visionné par des mineurs de moins de 16 ans obtienne au préalable l’aval de la "Commission intercommunautaire de contrôle". On ne parle donc pas d’une loi de censure cinématographique qui serait contraire au principe constitutionnel de la liberté de la presse.


Chaque film qui est à l'affiche au cinéma est visionné et évalué

Près de 100 ans plus tard, cette loi est toujours (étonnamment) d’application. Concrètement, elle impose que l'accès aux salles de cinéma soit en principe interdit aux mineurs de moins de 16 ans, sauf pour les films ayant obtenu le visa "enfants admis", décerné par une commission de contrôle.

A l'origine, cette commission était une compétence fédérale. Le 1er juillet 2014, cette dernière a été transférée aux Communautés. Pour assurer l’uniformité pour la Belgique, un accord de coopération a été conclu entre toutes ces entités fédérées. Depuis, il a été décidé que toute la commission soit gérée au niveau de la Communauté flamande. Pour répondre à nos questions, on nous renvoie donc vers le département "culture, jeunesse et médias" de la Communauté flamande. 

Aujourd’hui, cette Commission visionne puis évalue chaque film dont une sortie en salle est prévue. Cela représente près de 350 films par an. "Les membres de la Commission sont composés de différents profils et sont toujours nommés par le ministre fédéral de la Justice", nous explique Lieve Caluwaerts, responsable de la "Team média" au département de la culture, de la jeunesse et des médias. Des membres tant au niveau francophone que néerlandophone constituent cette Commission.

La Commission détermine ensuite s’il faut interdire l’accès au film pour les mineurs de moins de 12 voire de moins de 16 ans. À ce titre, elle émet plusieurs labels. "EA" signifie que le film est "enfants admis", il n’y a donc pas de restriction d’âge. "12+" signifie que le film est réservé aux personnes ayant plus de 12 ans tandis que le label "ENA" accompagne une oeuvre qui ne peut être visionnée par les mineurs de moins de 16 ans. Les cinémas ont ensuite l’obligation de communiquer à leur clientèle le label émis par la Commission. 

On constate donc que le film "Annabelle" est classé "ENA" tandis que l’oeuvre de Luc Besson est étiquetée "EA". Si l'on en croit une note publiée dans le catalogue de l’exposition "Enfants non admis, la Commission de contrôle des films" édité par "Les Archives de l’Etat", la Commission se base sur plusieurs critères. La classification se fait selon 6 contenus qui pourraient être inappropriés pour les mineurs: violence, angoisse, sexe, discrimination, drogues dures et consommation abusive de drogues douces et/ou d’alcool, langage verbal grossier.

Au fil des années, ces derniers ont bien évidemment évolué. Dans les années 30, les films dans lesquels un baiser durait plus de 5 secondes étaient interdits aux mineurs. Au fil du temps, la Commission est devenue plus indulgente (elle a évolué en même temps que la société). "La sexualité est jugée acceptable tant qu’elle reste subordonnée au message esthétique ou sociétal du film. Le sexe à l’état pur est, quant à lui, renvoyé au cinéma pornographique", peut-on lire dans le catalogue de l’exposition.

Les actes de violence sont également contrôlés par cette Commission. Cette dernière entend préserver les jeunes des chocs émotionnels et des traumatismes nerveux. Là encore, alors que dans les années 20, tout film illustrant un revolver était considéré comme inapproprié pour les mineurs, les armes sont désormais bien plus tolérées par la Commission.


Et le rôle des cinémas dans tout ça?

Dans les faits, la classification s'avère souvent subjective, comme nous l'explique Lieve Caluwaerts. Selon les pays, les restrictions sont très disparates. Le film "Anna" de Luc Besson n'a aucune restriction en Belgique, ni en France. En Suisse cependant, il est déconseillé aux moins de 16 ans, au même titre que le film "Annabelle".  Même constat du côté de l'Allemagne. "Une classification n'est pas de la science exacte. Cela reste une estimation", nous fait savoir Lieve Caluwaerts.

Concrètement, comment se traduit ensuite cette classification? Le groupe belge Kinepolis nous indique ne jamais intervenir dans cette catégorisation. "Kinepolis reçoit toutes les informations du distributeur du film, y compris la classification. Cette information est reprise sur notre site web et toute la communication marketing autour du film", nous indique Anneleen Van Troos, responsable presse du groupe. Seuls les distributeurs de films sont en contact avec la Commission. Les cinémas reçoivent les instructions des distributeurs et les répercutent sur leurs affiches et instructions en salles. 

Lorsqu'un enfant se présente pour visionner un film déconseillé à partir d'un certain âge, Kinepolis effectue un contrôle. "Nous effectuons un contrôle à la caisse et à l’entrée des salles. Nos employés demandent l’âge de quelqu’un quand ils ont un doute et l’accès est interdit si nécessaire", nous précise Anneleen Van Troos. S'il le faut, le jeune client est dirigé vers un autre film qui ne présente pas de restrictions d'âge. 

Arrive-t-il que des personnes demandent de revoir la restriction d’âge après avoir visionné un film qu’elles estiment violent ou inapproprié pour les enfants ? "Cela arrive", nous indique Kinepolis. "Nous recevons des remarques, que nous envoyons au distributeur, qui est le responsable du film. Mais en général, ce genre de remarques et plaintes sont plutôt rares", éclaire Anneleen Van Troos.


Une législation inadaptée

À l'heure actuelle, un réalisateur/producteur ne peut s'opposer à l'avis donné de la Commission. Mais cela va changer. Car la loi belge est considérée comme "obsolète". "Cette législation presque centenaire n'est clairement plus adaptée à l’évolution des contenus et des modes de vie actuels", écrit la Fédération Wallonie-Bruxelles sur son site internet

Elle va donc être réformée. Dès la fin de l’année 2019, chaque long métrage devrait se voir attribuer un ou plusieurs pictogrammes s'il contient du contenu jugé inapproprié pour certaines catégories de publics. Cette réforme implique la suppression de la Commission. 

Cette réforme se base sur un système de classification des contenus audiovisuels, connu aux Pays-Bas sous le nom de "Kijkwijzer". Ce dernier permet de classer les films sur la base d'un questionnaire en ligne à remplir par les distributeurs. Les questions portent sur le contenu de la production et sur six critères qui pourraient être inappropriés pour les mineurs. Un logiciel analyse ces réponses et propose ensuite automatiquement une classification des productions cinématographiques.       

Les films seront classés selon l'âge (tous les âges, 6+, 9+, 12+, 16+) et recevront éventuellement des pictogrammes mentionnant le caractère inapproprié du contenu (violence, angoisse, sexe, discrimination, drogues dures et consommation abusive de drogues douces et/ou d'alcool, langage verbal grossier).

Concrètement, à quoi cela va ressembler? 

Le distributeur sera chargé de remplir le questionnaire. Pour cela, il va devoir suivre une formation afin d'être reconnu comme encodeur. "En vue de réaliser des classifications fiables, il faut avoir une certaine connaissance du système , du développement cognitif des enfants et de leur monde", précise la Fédération Wallonie-Bruxelles sur son site internet

Edith Pirlot, juriste au Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel (CCA), nous détaille le contenu de ce questionnaire. "Il est divisé en 6 catégories (expliquées ci-dessus). Si l'on prend l'exemple du contenu lié à la violence, le distributeur doit mentionner si son film contient des scènes de violence. Si oui, à quel degré? Voit-on des blessures? Sont-elles ouvertes? Voit-on du sang? Pire, du sang qui gicle, etc. En fonction de ça, le logiciel analyse et donne la classification qu'il faut mentionner", précise-t-elle. 

Et si le distributeur du film a, volontairement ou non, commis une erreur d’encodage ? Dans ce cas, tout citoyen pourra déposer un recours. Une commission des plaintes pourra ensuite imposer une reclassification, et même une amende. "La commission des plaintes se compose de 18 membres. Chaque plainte est traitée par 4 membres de la commission, qui respectent la diversité linguistique", indique la Fédération Wallonie-Bruxelles. Avant de préciser: "Les membres sont des experts (protection de la jeunesse, psychologues des jeunes ou des enfants, juristes, magistrats) et des représentants de la société civile (ligue des familles, associations de parents, enseignants, …)".

La plainte émise par un citoyen devra ensuite être traitée dans les trois jours. Le film est visionné par les membres de la commission qui remplissent le formulaire. Ce dernier est ensuite comparé à celui qui a été remis par le distributeur. "S’il apparaît que le formulaire n’a pas été correctement rempli, le distributeur peut recevoir une amende et une communication est publiée, si l’exploitant n’a pas communiqué correctement, il peut recevoir une amende", nous indique Edith Pirlot, juriste au Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel (CCA).

Permettre aux distributeurs d'encoder eux-même la classification de leurs propres films ne va-t-il pas poser problème? "Cela ne devrait pas", nous répond Edith Pirlot, juriste au Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel (CCA). "Les distributeurs sont bien conscientisés. Ils savent que ce n'est pas dans leur intérêt de traumatiser les enfants en leur permettant de voir des films qui ne sont pas de leur âge", explique la juriste.


Plus d'interdiction mais une recommandation

Ce changement de législation induit donc que l'on passe d'un système d'interdiction à un système de recommandation. Jusqu'à présent, les exploitants de salles de cinéma devaient vérifier les âges des spectateurs pour s'assurer qu'ils pouvaient visionner les films demandés. Ils étaient alors soumis à des amendes si cela n'était pas fait. Or dans les faits, ce contrôle était compliqué et peu adapté. "Dans certaines salles, c'est une borne qui vous ouvre les portes de la salle. On pouvait très bien acheter un billet en ligne à un enfant, échapper aux contrôles, et se rendre dans un film inapproprié pour les jeunes. Le système d'interdiction n'était donc pas adapté", avoue Edith Pirlot. 

Avec le système appelé "Kijkwijzer", l'interdiction n'existe plus. On parle désormais de recommandation. Un exploitant de salles ne pourra plus interdire à un enfant de visionner un film qui n'est pas adapté à son âge. Ce sera désormais le rôle des accompagnants de s'assurer de 

"Bien sûr, les exploitants donneront des conseils. S'ils voient qu'un enfant veut visionner un film de -12 ans, ils lui expliqueront que ce n'est pas approprié. Mais ils ne pourront plus interdire l'entrée", conclut la juriste.

Il faudra attendre janvier 2020 pour que cette nouvelle classification voie le jour. En attendant, des formations, réunions et campagnes d'information sont prévues.

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