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Fraude aux compteurs de gaz à Saint-Gilles: surprise par une facture de 5000€ de Sibelga, la famille Duran clame son innocence

Nery Duran et sa famille sont tombés des nues en recevant une facture astronomique de 5.000 euros de la part de Sibelga, au mois de juin dernier. Le gestionnaire des réseaux gaz et électricité à Bruxelles avait constaté une fraude et réclamait les sommes impayées majorées d'une amende. "À ma grande surprise, j’ai reçu une facture de 4.897,41€" se souvient Nery qui habite un appartement dans un immeuble à Saint-Gilles avec son mari et leurs deux enfants.

Cette femme se bat à présent contre une sanction financière qu'elle juge inique. Elle assure n'être en aucun cas à l'origine de la fraude détectée par Sibelga. "Le problème avec notre compteur date de bien avant que nous vivions dans cet appartement, nous ne sommes pas responsables", clame-t-elle.

La famille Duran n'est pas le seul locataire concerné; Sibelga a constaté une fraude sur quatre compteurs.

Il y a quelques semaines, les Duran ont introduit une plainte auprès du Service fédéral de Médiation de l’Énergie. Et ils ont aussi contacté notre rédaction via la page Alertez-nous.

Nous avons joint le fils, Henry. Le jeune homme met en avant deux arguments en faveur de sa famille.  Premièrement, le constat de fraude aurait dû être fait depuis plusieurs années.  Nous y reviendrons plus loin. Deuxièmement, il prétend que sa famille n’a jamais eu accès au compteur de gaz de son appartement avant d’être sanctionnée. "Nous n’avons pas l’accès au local qui renferme les compteurs. Les gens qui habitent l’appartement juste à côté, dans l’entresol de l’immeuble, disposent par contre de la clé. Ils ont également reçu une amende, plus lourde (10.000 euros) car ils vivent là depuis plus longtemps", spécifie Henry.

"Des consommations aberrantes sur des compteurs de cet immeuble"

Le porte-parole de Sibelga, Philippe Massart, joint par nos soins, explique qu’en décembre 2014, dans le cadre du relevé des compteurs sur le territoire de la commune de Saint-Gilles, Sibelga a identifié des "consommations aberrantes sur des compteurs de cet immeuble". Contrairement à la Flandre et à la Wallonie, le gestionnaire des réseaux gaz et électricité de la Région bruxelloise a l’obligation de relever les compteurs chaque année.  "Nous avons un calendrier fixe par commune et  à Saint-Gilles, le relevé annuel a lieu en décembre. C’est en exécutant ce relevé que nous avons identifié une situation insolite. Mais conformément à la législation sur le respect des données privées, je ne peux en aucun cas dévoiler ce que consommait la famille Duran", raconte Philippe Massart.

Avant le relevé 2014, aucune anomalie n'avait été décelée. MAIS, le relevé précedent datait de... 2011. Les deux années suivantes, l'agent de Sibelga n'avait pas eu accès aux compteurs.

Les compteurs n'étaient accessibles que via le logement de l’entresol. Or aussi bien son occupant que le propriétaire, qui vivrait une majeure partie de son temps à l’étranger, étaient absents lors des visites du releveur. "Oui, je suis au courant qu'ils ne sont pas souvent là", confie Henry Duran.

Dans le cas où les compteurs sont inaccessibles, c'est aux occupants à transmettre l'index de leur compteur après la réception d’un courrier qui est envoyé au bout de deux passages infructueux du releveur. Le porte-parole explique que ce courrier invite les locataires à transmettre les chiffres de leur index par téléphone, internet ou renvoi postal du carton de relevé.

Si l’index du compteur n’a malgré tout pas été transmis, Sibelga procède alors à une estimation sur base de la consommation des années précédentes. Henry Duran prétend "ne pas avoir reçu le courrier nous demandant d’envoyer l’index."

Le local des compteurs à nouveau accessible en décembre 2014

En décembre 2014, après deux ans de visite infructueuse, un releveur de Sibelga sonne enfin un jour où le locataire du logement de l'entresol (celui donnant accès aux compteurs) est présent. Il peut donc enfin procéder au relevé. Son système de traitement des index identifie alors une situation "aberrante" sur le compteur d’électricité de l’habitant de l’entresol.

Concrètement, le releveur dispose d’un petit appareil électronique dans lequel il introduit l'index du compteur qu'il relève. Ces chiffres sont immédiatement transmis au système informatique central qui vérifie aussitôt leur cohérence avec les relevés antérieurs ou avec les index communiqués par les clients lorsque les releveurs n’ont pas eu accès aux compteurs. C'est ainsi qu'une incohérence a pu ainsi être instantanément repérée.  

Quelques jours plus tard, le 31 décembre, un autre technicien de Sibelga chargé, lui, de comprendre les "aberrations" se rend sur place. Il détecte une "manipulation frauduleuse".  "Il a informé immédiatement par téléphone notre service fraude qui lui a demandé de faire l’état des lieux de tous les compteurs de l’immeuble. De cette vérification, il a constaté que trois autres compteurs avaient fait l’objet de fraudes évidentes" poursuit Philippe Massart. Parmi ces trois autres compteurs, celui de la famille Duran.

En janvier, le service fraude a tenté à trois reprises d’intervenir dans l’immeuble pour saisir et remplacer les compteurs fraudés mais a dû attendre le 3 février 2015 car, l’occupant de l’entresol se trouvait à chaque fois absent. Sibelga ne pourrait-elle pas prévenir de son passage afin d'éviter ces contretemps?

300 à 500 dossiers de fraudes de compteur par an

Sibelga admet ne pas envoyer d’avertissements pour prévenir du passage de ses releveurs, invoquant le grand nombre de compteurs: 1,2 million au total. Elle précise toutefois que, malgré cette absence, les releveurs se voient ouvrir la porte dans 75 à 80% des cas.

Annuellement, 300 à 500 dossiers de fraude sur compteur sont ouverts par Sibelga. Une estimation qui varie d’une année à l’autre. "Il n’y a aucun lien entre le nombre de fraudes et le contexte socio économique. Autrement dit, et contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de corrélations entre pauvreté et fraude", insiste Philippe Massart.

À la question, est-il facile de trafiquer un compteur ? Il répond: "Les compteurs sont des instruments de mesure qui font l’objet d’un cadre légal défini par le service métrologie du SPF Economie. Ces instruments ne sont pas conçus comme des bunkers ou des coffres-fort. Pour des raisons de déontologie, il ne nous appartient pas de commenter la facilité ou la difficulté de violer l’intégrité de ces instruments." 

Comment Sibelga calcule-t-il le montant du préjudice ?

Revenons à notre affire. Sibelga a donc constaté que des compteurs avaient été fraudés. Ils indiquaient sans doute une consommation excessivement faible. Pour chiffrer le montant du préjudice et calculer la consommation impayée par la famille Duran entre décembre 2012 et décembre 2014, Sibelga a attendu plus de trois mois (jusqu’au 26 mai 2015) avant d’effectuer un relevé des nouveaux compteurs installés en février.  Sibelga regarde alors la consommation, cette fois exacte, relevée par les compteurs. "Sur base des index relevés, nous procédons à une évaluation des consommations réelles". La consommation est extrapolée à 12 mois en tenant compte des degrés/jours(méthode d’extrapolation légale qui prend en compte le facteur météorologique jour par jour). "Une amende est également appliquée (652 euros)", déclare Philippe Massart.

Et c'est après ces mesures et calculs qu'une facture de 5000 euros est finalement arrivée dans la boîte aux lettres de la famille Duran. La mère de famille nous fait part de son mécontentement quant à la méthode de calcul utilisée par Sibelga. "Ils se basent sur un calcul complètement erroné en prenant comme référence les mois durant lesquels il fait plus froid, comme février et mars, ce n’est pas très professionnel", fustige-t-elle.  

"La consommation de février à mai 2015 ne correspond peut-être pas à ce qu’il y avait avant. Le logement est peut-être aussi davantage occupé. Extrapoler en prenant en compte des mois "froids", est aussi une possibilité de contestation. Nous aurons des discussions avec Sibelga là-dessus", nous a expliqué Philippe Devuyst, le médiateur francophone du service de Médiation de l’Énergie qui a reçu la plainte de la famille Duran. "Notre objectif sera d’arriver à faire diminuer la facture du consommateur et nous arrivons fréquemment à le faire. Quant aux 652 euros d’amende, ils ne reviennent jamais sur ce point car, s’ils retirent ce montant, ils acceptent de dire qu’il n’y a pas eu de fraude", poursuit le médiateur.

Un argument de poids

Selon Philippe Devuyst, le fait que l’accès permanent au local des compteurs n’ait pas été rendu possible est un argument de poids pour défendre la famille Duran. "Cet aspect-là est important puisque l’origine de la fraude ne vient pas forcément de cette famille. Comme il y a d’autres cas dans l’immeuble, il est possible qu’une autre personne ait tenté de camoufler sa propre fraude. Nous avons déjà rencontré ce cas de figure", avance-t-il. "Il faut évidemment que cet élément de preuve soit suffisamment probant sans quoi Sibelga ne va pas l’accepter."

Philippe Massart, le porte-parole de Sibelga enchaîne dans ce sens en affirmant que "le client peut faire valoir que lui-même n’a jamais pu avoir accès à ses compteurs vu l’accès compliqué au local des compteurs. Nous pensons que la famille Duran est victime des agissements d’un autre occupant de l’immeuble, notamment l’occupant de l’entresol qui est vraisemblablement l’auteur des fraudes. Nous invitons la famille Duran à prendre contact en direct avec notre service "plaintes"." Une réunion avec le service "plaintes" pourrait alors être organisée avec l'objectif d'entendre et recevoir les explications de la famille. Sur base des pièces et informations fournies, Sibelga prendra des décisions fondées également "sur la bonne foi des clients." Le gestionnaire bruxellois ne dispose ni d’un pouvoir de police ou d’un pouvoir judiciaire pour enquêter sur les origines de la fraude et leurs auteurs.

Une procédure juridique ultérieure est possible

Le Service de Médiation de l’Energie, qui traite actuellement la plainte de la famille Duran, a bloqué la dette de 5000 euros en attendant une réaction du gestionnaire des réseaux gaz et électricité à Bruxelles. Un dossier de ce type peut généralement se prolonger six mois.

"Le dossier est actuellement toujours en analyse et nous nous efforçons toujours de trouver des solutions en faveur des consommateurs", commente Mathieu Burattin, gestionnaire de dossiers pour le Service de Médiation de l'Énergie. "Toutefois, le médiateur n'est pas un juge et ne peut donc pas contraindre l’entreprise d’énergie en question à donner raison au plaignant. Par conséquent, après la médiation par notre service, une procédure juridique ultérieure est toujours possible."

Le plaignant pourra ainsi saisir les cours et tribunaux compétents.

Concernant la recherche des origines de la fraude et des auteurs, tout dépend si l’affaire est traitée devant un tribunal pénal ou civil. "En effet, le pénal sert à sanctionner l'auteur. C’est le procureur du Roi (après une information) ou la juridiction d’instruction (après une instruction) qui peut renvoyer le suspect devant le juge pénal", précise Mathieu Burattin. "En revanche, en cas de procédure civile, il faudra démontrer que la partie adverse est responsable du dommage que l’on a subi."

Les juridictions civiles trancheront ensuite, par application des règles de droit, les litiges apparaissant entre les particuliers et/ou les entités juridiques (personnes morales) que sont notamment les sociétés et les associations.

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