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Cuisinière de formation, Nathalie ne trouve pas de travail malgré la pénurie: "Entre 60 et 70 lettres envoyées"

"J'ai postulé à plus de 60 annonces et toujours rien...". Via notre bouton orange Alertez-nous, Nathalie partage son désespoir. Cette cuisinière qui se dit passionnée ne trouve pas de travail dans la restauration. Le secteur fait pourtant face à une pénurie historique. Elle nous raconte son histoire.

Quelques heures après la parution de notre article, Nathalie nous a indiqués qu'après de nombreux tests, elle a finalement trouvé un travail. "Je signe mon contrat ce vendredi et je commence le 3 avril", nous écrit-elle. (Re)découvrir son histoire:

Nathalie ne compte plus ses lettres de candidature. "Entre 60 et 70", nous souffle-t-elle, non sans une certaine lassitude. À 47 ans, cette mère de famille divorcée tente de sortir la tête de l’eau. "C’est surtout pour mon fils tout ça", poursuit-elle.

Cette habitante de Visé a une formation de cuisinière. "Je cuisine depuis toujours, on peut dire", sourit-elle. A 15 ans, elle commence des études en hôtellerie à Herstal. "J'ai toujours aimé être au contact des gens et faire plaisir. La cuisine, c'est vraiment ce que j'aime", s'exclame-t-elle. Rapidement, elle multiplie les expériences dans des brasseries et restaurants, raconte-t-elle. De la cuisine au service, elle se familiarise avec le secteur et développe de nouvelles compétences. En 2007, diplôme en poche, elle devient gérante d’une taverne située au port de plaisance de Visé. Mais quelques mois plus tard, un "bête accident domestique" vient gâcher tous ses plans. "Je me suis retrouvée avec le tibia explosé. Pendant 3 ans, j’ai été en chaise roulante", nous confie-t-elle.

Son handicap est reconnu. Elle perçoit une aide. N'étant plus en mesure de travailler en restauration, Nathalie suit une formation de "technicien bureautique" durant deux années. Mais sa vocation est autre. Après un stage en secrétariat et dès que sa santé le permet, elle décide de renouer avec son premier amour qu'est la cuisine. En août 2017, elle intègre les cuisines d’un restaurant. Pendant 18 mois, elle œuvre à la préparation de mets. De l’entrée au dessert, elle s’occupe de tout. Seulement voilà, Nathalie le sait: son contrat "article 60" doit prendre fin. C’est ainsi que le 31 janvier 2019, elle quitte, non sans regret, ce poste qui l'enchante. "Je savais que ça devait se finir mais c'est pas facile", livre la mère de famille.


À chaque fois, même rengaine...

Depuis, elle multiplie les démarches à la recherche d’un nouvel emploi. Tous les jours, elle passe des heures à éplucher les petites annonces, convaincue que le job de ses rêves s’y trouve. En vain. De commis de cuisine à cuisinière de collectivité en passant par boulangère: Nathalie postule à une multitudes de postes. "J’envoie ma candidature, on me répond que l’on va me tenir au courant, et puis plus rien. Ça s’arrête là", désespère-t-elle.

Parfois, la mère de famille est appelée pour un entretien. On lui promet de la recontacter rapidement pour un test. Mais à chaque fois, même rengaine. Rien ne se passe. Selon Nathalie, son handicap constitue un frein à son embauche. "Les employeurs ont peur que je ne tienne pas physiquement", lâche-t-elle. Avant d'ajouter: "Avec tous ces déplacements, je mets plus d’essence que lorsque je travaillais, ce n’est pas normal", soupire-t-elle. Malgré tout, Nathalie refuse de baisser les bras. "La cuisine, ce n’est même pas un métier pour moi. C’est une passion", insiste-t-elle. Depuis le 1er février dernier, cette mère de famille perçoit donc des allocations chômage.

 

Les conditions de travail difficiles freinent les candidats

Du côté du Forem, on nous confirme pourtant que le métier de cuisinier est actuellement en pénurie. Et les chiffres le montrent. En 2018, l'Office wallon a diffusé 1.739 opportunités d’emploi pour cette profession. Le nombre d’opportunités d’emploi a augmenté de 54 % en 5 ans et reste stable par rapport à 2017. A la fin de l’année 2018, 2.878 demandeurs d’emploi inoccupés se sont positionnés sur ce métier pour recevoir des offres d’emploi et de formation. Ce nombre est en légère progression par rapport à 2017, nous indique-t-on. 

Pour la plupart, ce sont des mi-temps. Tous les employeurs cherchent des gens pour vendredi, samedi et dimanche. Très peu pour les débuts de semaine

"Le métier de cuisinier est reconnu comme fonction critique sur base des chiffres de 2017. En 2017, on estime à 349 le nombre d’opportunités d’emploi dans le métier qui n’ont pas pu être satisfaites dans des délais raisonnables", précise Stéphanie Tambour, porte-parole du Forem. Plusieurs raisons sont invoquées par l'organisme pour justifier la pénurie de main d'œuvre. D'un côté, les conditions d'exercice de la profession sont présentées comme un frein. En effet, une bonne forme physique, une résistance au stress et un moyen de locomotion sont indispensables. De plus, les horaires coupés "rendent difficile l’adéquation entre la vie professionnelle et la vie privée". Cependant, "il arrive que certains cuisiniers se réorientent vers la restauration de collectivité, avec des horaires plus stables pour concilier la vie professionnelle et la vie de famille", nous éclaire le Forem.

Un avis largement partagé par notre témoin, Nathalie. "Quand j’entends dire que les travailleurs ne sont pas motivés, je ne peux pas me taire. Il faut se rendre compte que ce qu’on nous propose n’est pas toujours évident. Pour la plupart, ce sont des mi-temps. Et en restauration, deux mi-temps c’est presque impossible. Tous les employeurs cherchent des gens pour vendredi, samedi et dimanche. Très peu pour les débuts de semaine", assure-t-elle. 


"La restauration n'est plus la section phare depuis longtemps"

De l'autre côté, il semble que les compétences acquises par les candidats ne soient pas en totale adéquation avec les exigences des recruteurs. "Ce métier qui, en plus de connaissances techniques demande aussi des connaissances des règles d’hygiène et de sécurité ainsi que des connaissances en gestion d’équipe et en gestion de stock", constate le Forem.


Dans les écoles de cuisine, cette tendance est perceptible. Depuis plusieurs années,
 l'Ecole d'Hôtellerie et de Tourisme de Liège voit le nombre d'étudiants inscrits dans cette section décroître. Cette année, 261 élèves suivent la filière. C'est 35% de moins qu'en 1997, année durant laquelle 403 étudiants avaient suivi la formation. "La profession séduit mais elle est concurrencée par la Boulangerie-Pâtisserie", nous explique Abderrahman El Bekali, directeur de l'institut. Concernant le taux d'insertion des étudiants, aucune statistique n'est disponible mais "les échos qui nous reviennent montrent que nos lauréats n'ont pas de difficultés à trouver du travail", nous assure le représentant. 

 

Même son de cloche du côté de l'Institut Roger Lambion situé sur le site du Ceria à Bruxelles. En 1999, 650 élèves étaient inscrits en restauration, contre 580 en 2009. Aujourd'hui, l'établissement ne compte plus que 350 étudiants dans la section "restauration" sur ses 1.239 inscrits au total. "Ce n'est plus la section phare depuis longtemps. Depuis 7 ans, la section boulangerie-pâtisserie est la plus prisée", nous confirme Catherine Ceuppens, directrice de l'institut Roger Lambion.

Depuis quelques années, on assiste à une diminution progressive du nombre d'étudiants en restauration. La directrice Catherine Ceuppens avance plusieurs explications à ce phénomène. Parmi elles, "l'alourdissement des programmes de cours qui ont considérablement augmenté ces 20 dernières années", décourageant ainsi bon nombre de candidats. De la même façon, le développement de nouvelles émissions culinaires davantage portées sur la pâtisserie que la cuisine pourrait en partie expliquer ce revirement.

 

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