Accueil Actu

Des chauffeurs de taxi refusent de conduire Fatima en raison de son chien guide: "Je suis une pestiférée"

Après des mois de galère, Fatima dénonce le comportement de certains taximen. Malvoyante, l'habitante de Koekelberg est accompagnée par son chien guide lors de toutes ses sorties et la présence de son labrador n'a pas été bien accueillie par tous les chauffeurs. Après des refus, des remarques et des attitudes peu conviviales, elle a porté plainte contre Taxi Verts. Son porte-parole de la société bruxelloise réagit et rappelle la réglementation en vigueur.

Depuis un an et demi, Fatima vit avec Roxy, son chien guide. Malvoyante, l'arrivée de son labrador a changé sa vie. 

Gérante dans une grande surface pendant 25 ans, elle a du jour au lendemain dû arrêter de travailler il y a maintenant 16 ans. 

"C’est la médecine du travail qui m’a interdit de continuer. Je suis considérée comme handicapée", confie-t-elle. "Je ne vous raconte pas la dépression car mon travail c’était ma vie. S’arrêter et ne plus avoir de point de repère, quand on vous lâche comme ça, on se demande ce qu’on va faire de la journée. J’ai touché le fond, je peux le dire. Je ne sortais plus de la maison. Si je le faisais, c’était pour une consultation urgente, comme aller à l’hôpital."

En 2020, Fatima s'est renseignée auprès de l'association Entrevues, une école de chiens guides, pour en savoir plus sur ces animaux formés pour accompagner et aider les déficients visuels. Elle choisit alors d'accueillir Roxy. 

"Je n’ai pas choisi d’avoir un guide, c’est une obligation. Ce n’est pas un choix, mais je suis contente de la situation aujourd’hui. Cela s’est imposé à moi. Soit j’avais un guide, soit je sortais que quand j’avais quelqu’un qui pouvait se libérer pour que j’aille faire mes courses. Ou alors je ne faisais plus rien, un choix que j’avais fait à l’époque. Donc si on m’amenait des courses, je mangeais ou alors je prenais des restes", raconte-t-elle.  

Avec Roxy, je suis madame tout le monde

Aujourd'hui, la relation avec son animal de compagnie est "fusionnelle".

"J’ai l’impression qu’elle sait tout ce que je vais faire. Je vais par exemple voir mon papa, fort malade, tous les jours. Quand je sors, je lui dis "Jedo" pour dire "grand-père", et je suis tranquille, elle m’amène jusque chez mon père. C’est merveilleux. C’est quelque chose que je ne pouvais pas m’imaginer faire il y a 18 mois. Je fais les choses sans devoir réfléchir plusieurs jours avant pour savoir comment je vais arriver à destination."

Roxy a donné à la Koekelbergeoise de 58 ans "la liberté de bouger" et de s’épanouir. "Quand je sors de chez moi, je lui donne des destinations (arrêt du bus, magasins,...) Je n’ai plus besoin de m’inquiéter. Je ne dois plus faire attention à tout. S’il y a par exemple une trottinette au milieu du chemin, elle va me les faire éviter. Elle est ma tranquillité d’esprit dans la rue. Je suis sereine. Je suis madame tout le monde. J’aimerais que quand on me regarde, on me voit moi."

Si Fatima dit "revivre" ces derniers mois, elle regrette amèrement l'accueil réservé par certains chauffeurs de taxi quand elle fait appel à la société bruxelloise Taxi Verts. Des refus, des remarques ou des attitudes déplacées, Fatima assure avoir vécu des situations humiliantes pour elle.

"Je galère avec les taxis. Ils m’ont poussé à bout. Cela fait des mois que je téléphone à la centrale qu’on me dit qu’on va faire le nécessaire, et qu’il n’y a absolument rien de fait. C’est pour ça que je me retourne aujourd’hui contre la société de Taxis. Je pourrais passer l’éponge une fois ou deux fois, mais la dernière fois, un chauffeur de taxi est sorti de sa voiture et a commencé à m’injurier, avec des grands signes, hors de lui. Il a dit 'votre chien a sali mon taxi' devant tous mes voisins. Il y a des choses qu’on ne peut pas accepter", fustige-t-elle. "Cela devient normal qu’on puisse dire non, 'madame a un chien guide, je n’ai pas envie'. Certains chauffeurs abaissaient les fenêtres en roulant alors qu’il faisait froid pour évacuer les odeurs. Je suis une pestiférée."

Fatima se sent "discriminée", et elle veut utiliser tous les moyens pour faire disparaître cette injustice. Elle a notamment déjà déposé une plainte auprès de la police, de l'administration communale et d'Unia (le service public indépendant qui lutte contre la discrimination). "Ce n’est pas de temps en temps, c’est récurrent. Quand je téléphone, je sais que je vais avoir un problème."

Accepter les chiens guide, une obligation

Face à ces critiques, Michel Pêtre, le porte-parole de Taxis Verts, a réagi en soulignant que selon la réglementation en vigueur, les taxis ont l'obligation d'accepter les chiens guide des déficients visuels ou d'autres personnes atteintes d'un handicap. "En principe, un chauffeur ne peut même pas refuser de prendre un client quel qu’il soit, sous prétexte que la course serait trop petite. Ce n’est pas particulier pour les non-voyants accompagnés d’un chien d’aveugle cette disposition-là", souligne-t-il.

Michel Pêtre assure par ailleurs que quand cette règle n'est pas respectée, "le chauffeur est convoqué immédiatement pour lui rappeler la réglementation. Et si c’est par exemple la 3e fois qu’on le convoque, on prendra certainement des mesures correctives ou punitives. C’est la réglementation et nous voulons qu’elle soit respectée. C’est toutefois très rare d’entendre parler de ce genre de refus."

Le porte-parole tient toutefois à ajouter que les chauffeurs font parfois eux aussi face à des situations compliquées. "Ce n’est pas toujours facile pour le chauffeur de taxi. Certains chiens sont plus petits, biens dressés, d’autres sont plus exubérants. Cela peut salir et laisser des odeurs dans la voiture. C’est vrai que le chauffeur n’aime pas tellement car après il doit faire nettoyer sa voiture. C’est coûteux. D’autres clients vont ensuite dire que ça sent mauvais dans la voiture. C’est toute une série de choses qui existent."

Des taxis qui refusent des chiens d'assistance, un problème fréquent ? Unia, l'institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination et défend l'égalité des chances, dit recevoir régulièrement des signalements.

"Ce sont des personnes qui nous font état de problèmes quand elles se présentent à un arrêt de taxi. Lorsqu’un taximan se rend compte qu’elles sont accompagnées d’un chien, la réaction est peut-être de dire 'non pas de chien dans mon taxi'. Le chien d’assistance a la particularité d’être un chien capable d’accompagner une personne dans une situation d’handicap (malvoyante, maladie chronique, autisme,…). Des chauffeurs de taxi ne prennent pas en compte cette spécificité. Ce n’est pas un chien comme un autre ou là, il n’y a pas d’obligation de le prendre dans le taxi", indique Florence Pondeville. 

La cheffe de service chez Unia estime ainsi qu'il existe un part d'ignorance chez certains chauffeurs de taxi, qui ne reconnaitraient pas les chiens guide. Elle rappelle également que ces animaux de compagnie ont suivi une formation. 

"On peut comprendre que les taximen peuvent avoir peur que le chien saute sur les fauteuils et se mettent à les griffer. Mais ces chiens ont un comportement spécifique. Ils sont très disciplinés et l’attention est dirigée vers la personne qu’ils assistent et accompagnent. Il n’y a même pas besoin d’adaptation", poursuit-elle.

"Ce n’est pas un chien qu’on promène pour son plaisir. Certains se demandent peut-être si c’est vraiment un chien d’assistance. Il y a toute une série de personnes qui sont porteuses d’un handicap invisible. Pour une personne épileptique, par exemple, on ne voit pas à priori que la personne est porteuse de cette maladie. Le taximan se demandera peut-être si c’est vraiment un chien d’assistance. A partir du moment où ça en est un, elle n’a pas le choix d’accepter."

Que peut/doit faire une personne malvoyante face au refus d'un chauffeur? 

La personne malvoyante qui fait face à un refus devrait donc premièrement "essayer de discuter avec le chauffeur", estime Unia. "A la base d’un refus, il peut y avoir des peurs, des stéréotypes ("c’est un chien qui va salir"), de la méconnaissance... Ce n’est pas un chien qu’on promène pour son plaisir. Il est très important de signaler ce refus en premier lieu auprès de la société de taxi. Tant qu’elle n’a pas de retour, le problème signalé n’existe pas. Il faut signaler. On est encore confrontés à ce genre de refus malgré les lois qui existent, malgré la campagne de sensibilisation qui a eu lieu à Bruxelles sur cette question très spécifique."

Deuxièmement, il peut aussi être intéressant de le signaler auprès de l’administration bruxelloise avant de se tourner vers Unia qui va accompagner la personne dans les différentes démarches pour faire entendre la plainte. "Concernant la plainte déposée par Fatima, on va promouvoir un dialogue avec la société de taxi pour trouver une réparation financière. On s’adapte à la demande de la personne qui parfois veut une réparation financière. Parfois, il faut simplement une reconnaissance ou des excuses".

La législation anti-discrimination prévoit "une réparation financière" à partir du moment où on peut prouver que le refus a eu lieu. "Il faut garder le plus possible les informations qui vont permettre d’identifier la personne pour pouvoir prouver les faits. Il y a aussi des amendes qui peuvent être infligées par l’autorité administrative dans chaque région. Ce sont principalement des sanctions financières qui peuvent peser sur la société ou sur le chauffeur. Nous avons des dossiers contre toutes les sociétés de taxis actives sur le territoire de la région bruxelloise. Nous travaillons toujours dans une optique de dialogue. Ce qui est important est le changement d’attitude. La société doit prendre des mesures, rappeler les règles, faire circuler la charte,…"

À lire aussi

Sélectionné pour vous