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Ekivrac: à 29 ans, Géraud dirige un réseau de 9 magasins en Wallonie pour "être un acteur du changement"

Géraud Strens a créé le réseau Ekivrac tout en faisant ses études. Il s'agit de grandes épiceries "où l'on trouve de tout", et qui privilégient les produits locaux et avec le moins d'emballage possible. Tout a commencé à Braine-le-Comte il y a 6 ans. Retour sur une success story hennuyère.

Indéniablement, depuis une dizaine d'années, les habitudes de consommation changent, en Belgique comme ailleurs. Alertée par les dérives de la grande distribution en quête de rentabilité accrue, par les divers dégâts environnementaux d'une consommation de masse irréfléchie, l'opinion publique perçoit de plus en plus la nécessité de s'adapter.

Géraud ne savait pas, en terminant ses études, qu'une telle révolution était en marche. Et qu'il allait y contribuer, à son niveau, en ouvrant une épicerie pas comme les autres à Braine-le-Comte (Hainaut). En 2021, il est à la tête d'un réseau de 9 magasins Ekivrac en Wallonie, qui comme leur nom l'indique, prônent le commerce 'équitable' (bio et local), et l'achat de produits non-emballés ('vrac'). Un réseau qui va encore grandir dans les années à venir. C'est la belle histoire du jour.

Un comptable qui rêvait d'un autre monde

Tout a commencé par des questionnements sur son avenir, alors qu'il terminait des études et en commençait d'autres. "J'ai fait un bachelier en comptabilité, puis j'ai entamé un Master en Sciences de Gestion, que j'ai voulu terminer en cours du soir, mais qui n'a jamais été fini, en fait, car la gestion de l'entreprise a pris le pas sur le reste", reconnait Géraud. 

C'était "il y a 6 ans". A la fin de ses études de comptabilité, "j'ai commencé le projet Ekivrac dans ma tête".

D'où lui vient cette idée d'un nouveau genre d'épicerie ? "Ça vient d'assez loin, en fait. Durant mes cours de sciences économiques, de compta, j'ai eu une grosse remise en question par rapport à l'économie actuelle. Je trouvais que le modèle économique dans lequel on vit, n'était justement pas viable. J'ai commencé à me documenter sur une économie alternative, et j'en suis arrivé à la conclusion qu'il y avait de gros problèmes par rapport à tout ce qui était agroalimentaire et distribution, commerces".

Partant de ce constat, il a réfléchi à "un modèle alternatif, beaucoup plus durable".

"Des brainstormings avec moi-même"

Reste à transformer une réflexion en projet, puis un projet en magasin. "J'ai fait germer le projet dans ma tête, j'ai fait des brainstormings avec moi-même, pour voir ce que je voulais effectivement comme résultat, comme prototype. Le but du jeu était d'avoir un magasin dans lequel je pouvais rentrer, et ne me poser aucune question: avoir confiance dans tous les produits que j'achetais, et dans la manière dont l'activité du magasin se déroulait". A savoir: privilégier au maximum les produits locaux, et limiter autant que possible les emballages.

La concrétisation, c'est avant tout "chercher des marques, des produits que je pouvais vendre dans ce magasin, organiser son fonctionnement". Géraud avait de l'ambition: "J'avais une vision, celle d'avoir des commerces de ce style partout en Belgique. Mais je savais que je devais commencer petit, que je devais tester. Je pensais, à l'époque, que j'étais un peu le seul à être attiré par ce genre de commerce alternatif, et que j'allais devoir attirer les clients".

"J'ai joué tapis"

Notre jeune entrepreneur avait son idée, il fallait encore construire un magasin, près de chez lui, à Braine-le-Comte. "On a eu différents soutiens. Le bâtiment, il était à disposition. Il fallait juste faire tous les travaux, que j'ai faits moi-même, d'ailleurs, car je n'avais pas énormément de fonds. J'ai mis toutes mes économies, j'ai joué 'tapis', je suis allé à la banque où j'ai fait un emprunt pour financer le projet. J'ai dû faire plusieurs banques, j'ai eu plusieurs refus car j'étais jeune et je sortais des études, mais pour finir ça a été accepté grâce à des aides et des garanties publiques. Parallèlement, via le crowdfunding, j'ai rassemblé de l'argent, via des parts de coopérateurs et des contreparties".

Il restait à trouver les fournisseurs, à monter l'offre, "grâce à quelques personnes du milieu qui m'ont aidé" et "en cherchant à gauche et à droite, en passant des coups de fil". Le reste, donc "la conception du magasin, le marketing", c'est Géraud qui a travaillé dessus afin de maximiser les chances de réussite de son premier établissement, "ouvert le 15 avril 2016, 80 m2, vraiment pas grand", le début de la grande aventure. Alors qu'il "ne s'y attendait pas", le magasin a connu "un succès immédiat".


 

"Je voulais prendre le contrepied"

Braine-le-Comte, paisible commune du Hainaut de 22.000 habitants répartis sur plusieurs territoires, à la frontière avec le Brabant wallon, ne semblait pourtant pas être l'endroit idéal pour lancer un commerce d'un nouveau genre. "Justement, je voulais prendre le contrepied. Je voulais que le bio soit accessible à tout le monde. Etant du Hainaut, de la ville de Braine-le-Comte, je me suis dit: 'Je commence là', pour faire un modèle qui n'est pas un modèle cher comme on peut trouver dans certaines communes de Bruxelles, mais un modèle qu'on peut reproduire partout en Belgique".

Il a donc fallu travailler sur les prix. "A produit équivalent, à qualité équivalente, on n'est pas plus cher" qu'une grande surface. Bien entendu, difficile de comparer l'assortiment d'un Ekivrac à celui du géant Colruyt. "C'est clair, si on compare les produits conventionnels avec les produits bio, il y a une différence de prix, car ce n'est pas le même travail".

La charte d'Ekivrac est aussi de trouver "le plus local possible", tout en restant réaliste, et donc en proposant tout de même des produits qui viennent de plus loin, "comme les bananes et les noix de cajou". L'enseigne se vante d'avoir "plus de 2.000 références, donc 1.000 produits belges et 700 produits issus de pays limitrophes".

Success story

Et le succès est au rendez-vous. "On était lancé, les banques étaient plus faciles à convaincre. En 2017, on a ouvert à Casteau, qui se trouve aussi dans le Hainaut". Nivelles en 2018 et l'année d'après, la création du projet de franchise avec La Louvière et Soignies. En 2020, quatre magasins ont été ouverts: Braine l'Alleud, Genappe, Le Roux et Wavre. De nouvelles ouvertures sont attendues en 2021 et 2022.

Tous ces magasins sont en bénéfice, et l'avenir s'annonce bien. "D'abord la Wallonie, mais Bruxelles n'est pas à exclure dans une deuxième phase, puis la Flandre si les clients sont prêts".

Se développer, ça a beaucoup de bons côtés. "Au plus on grandit, au plus on peut faire des économies d'échelle. C'est vrai qu'on bénéficie désormais de l'image de marque du magasin, qui rayonne, des procédures et des innovations qu'on peut s'échanger, etc. Mais on va maintenir la cohérence de notre concept, le but n'est pas d'en faire une grosse chaîne que les clients pourraient alors critiquer. On reste très proche des clients, on travaille toujours avec des producteurs autour des points de vente, et on ne leur met pas la pression".

Actuellement, "on est plus de 45 collaborateurs".

Les choses ont-elles changé en 5 ans ?

Tout va très vite aujourd'hui, mais ce n'est pas pour autant que dans un rayon de 25 km, un Ekivrac peut s'approvisionner en fruits, légumes et viandes bio et de qualité. "Ça s'améliore, mais c'est clair qu'il y a encore un manque. On essaie de booster l'agriculture bio: les producteurs qui viennent nous voir et qui ne sont pas bio, on leur dit: 'vous vous convertissez vers le bio, et dès que vous avez fait la demande et que vous êtes en conversion, on vous garantit de nous approvisionner chez vous'. C'est notre manière de soutenir les producteurs. Le secteur a encore besoin de beaucoup d'incitants et de motivation, mais on sent une effervescence, on voit de plus en plus de produits émerger".

Géraud, à seulement 29 ans, fait donc partie du cercle vertueux qui nous oriente vers de meilleures habitudes de consommation, de production, de fabrication, d'élevage, de culture. "C'est ce que j'espère, mais en toute humilité, je ne peux pas faire le constat moi-même. On veut être un acteur du changement, un modèle, un exemple. Et je vois des pratiques dans la grande distribution qui changent, je ne sais pas si c'est à cause de nous ou d'autres. On a sans doute contribué à faire changer les choses dans la durabilité de l'alimentation".


 

Que font les grandes surfaces ?

Comme le dit Géraud, la grande distribution a pris conscience, il y a quelques années déjà, d'une volonté d'une partie de la population de participer à une transition vers une consommation responsable, raisonnable, durable. Ça passe en partie par des achats en vrac, qui évitent les emballages à usage unique et le gaspillage. On a fait un rapide coup de sonde auprès des principaux acteurs, pour voir où ils en étaient en 2021.

Colruyt "croit fortement à la vente de fruits et légumes en vrac", précisant qu'il le fait depuis longtemps et que depuis 2019, "il n'y a plus de sachet à usage unique dans les rayons fruits et légumes du groupe". Colruyt propose également depuis toujours "un bonbonbar et un choklabar, des assortiments de bonbons et de chocolats, donc, qui s'adaptent au calendrier (pour l'instant, ce sont les œufs de Pâques)". Pour aller plus loin, il faut se tourner vers sa filiale Bio-Planet: "Nous y déployons un assortiment vrac de noix et céréales, mais progressivement (10 magasins actuellement), pour nous assurer que cette façon de procéder ne lèserait en rien la qualité des produits. Dans notre magasin rénové de Braine l'Alleud, il y aura des grains de café en vrac, des produits d'entretien et bientôt des savons", nous a expliqué la porte-parole. Niveau boucherie, un pas en arrière a été fait lorsque le géant belge de la distribution a quitté le concept de commande sur papier, passant au préemballé (frigolite, plastique), "mais nos bouchers sont là pour des demandes particulières ou sur mesure".

Carrefour a lancé une campagne 'Act for Food', qui contient des mesures liées aux emballages. "Bien sûr, nos fruits et légumes ont toujours été disponibles en vrac. Pour les autres produits, depuis quelques années, on installe des murs de vrac pour tout ce qui est noix, pâtes, riz, épices, etc", nous a expliqué la porte-parole. Le groupe d'origine française précise que "le vrac est une demande de nos clients, c'est pourquoi nous poussons plus de fruits et légumes sans emballage dans nos rayons quand c'est possible, et nous prévoyons d'étendre les produits disponibles en vrac dans les années à venir".

Delhaize "voit de plus en plus des évolutions vers le vrac, car c'est une demande des clients, et une tendance vers laquelle on veut aller pour la partie 'durabilité'. Depuis deux ou trois ans, on regarde toujours si on peut enlever des emballages superflus, et proposer des produits en vrac". Actuellement, "près de 70% de nos produits sont disponibles en vrac", et ça ne fait pas si longtemps, car auparavant les clients appréciaient le côté pratique du préemballé. "On ne distribue plus de sacs en plastique, tout est désormais en papier ou en coton. Pour ceux qui veulent des produits préemballés, on essaie de mettre du carton recyclable facilement". Le grand groupe belge "teste aussi dans des magasins des silos avec des céréales, des pâtes, des graines, du riz". Et, primeur pour RTL info: "Il y a un test avec Ecover (produits d'entretien et savons liquides plus respectueux de l'environnement), les clients peuvent venir avec leur propre contenant". Delhaize "fait souvent des tests, parfois ça ne marche pas, comme un distributeur pour moudre des grains de café qui faisait beaucoup de crasses, ou le chocolat en vrac". Et il rappelle que "l'emballage n'est pas là par plaisir, il a souvent un rôle important au niveau de la préservation de la qualité et du goût d'un produit, de la santé des consommateurs".

Aldi "a déployé beaucoup d'efforts ces dernières années" dans son assortiment de produits frais. "La gamme s'est élargie et depuis mars 2020, en plus des choux-fleurs, avocats et melons, nous proposons à nos clients des oignons, carottes, aubergines, courgettes, pommes, bananes, etc". Ce qui permet à Aldi "d'éviter 167 tonnes d'emballages par an". Le but d'Aldi, "d'ici 2025, est d'avoir au moins 40% de nos fruits et légumes en vrac" ; mais l'enseigne "n'envisage pas d'étendre la gamme de vrac vers d'autres catégories". Cependant, elle compte proposer "des emballages 100% recyclables, compostables ou réutilisables pour tous les produits de marque propre Aldi d'ici à la fin 2025".

Chez Lidl, "depuis de nombreuses années, nous proposons toute une série de produits en vrac: une cinquantaine de références dans le rayon des fruits et légumes ; quelques références de fruits à coques (noix de cajou, pistaches) ; des viennoiseries et du pain".

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