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Eric, indépendant bruxellois, a tout perdu et dort dans sa camionnette: "Mes filles voulaient me donner leur tirelire"

Eric, indépendant bruxellois, a travaillé durant une décennie dans la vente. Mais à cause de la crise du covid et à la suite d'une séparation amoureuse, le cinquantenaire a tout perdu. Démuni, le père de deux enfants passe ses nuits dans son véhicule. Il nous raconte comment sa vie a basculé en quelques mois.

"Je m'appelle Eric. Je n’ai plus rien", débute le Bruxellois via le bouton orange Alertez-nous, avant de nous détailler les faits. Indépendant depuis de nombreuses années dans la vente de produits écologiques, il se retrouve dans une situation difficile après avoir fait faillite suite à la crise du covid. Désormais sans domicile, l'homme de 54 ans dort dans sa camionnette.

Avant que tout bascule, cela fait une décennie qu'Eric travaille à son compte. Il distribue des produits d'entretien écologiques dans l'horeca, ce qui épanouit l'homme qui souhaite agir pour l'environnement.

Jusqu'en 2019, son affaire fonctionne bien, nous dit-il. "J'étais spécialiste en hygiène écologique et sécurité alimentaire depuis 10 ans."

Son business "roule"... Eric envisage même d'engager du personnel. Mais début 2020, tout s'effondre. La pandémie de covid débute et ses conséquences ne tardent pas à avoir de lourds impacts. "C'était la catastrophe. Tous les restaurants ont fermé et j'ai perdu mon chiffre d'affaires."

Au début, comme de nombreux Belges, Eric pense que cette situation va durer 2 ou 3 mois. "Mais ça a pris deux ans."

Les mois passent et les difficultés s'accumulent. L'indépendant, dont les principaux clients font partie du secteur horeca, tente de trouver des solutions. "J'ai essayé de vendre mes produits dans les magasins, dans les supermarchés bio. Ça marchait un peu, mais ça ne suffisait pas."

"J'ai reçu zéro centime"

Très vite, les usines dans lesquelles Eric s'approvisionne en produits lui imposent le paiement comptant avant livraison, raconte-t-il. "Avant la crise du covid, j'avais des délais de 60 jours. Le peu de trésorerie que je possédais a commencé à fondre comme neige au soleil. Mon code d'entreprise ne m'a pas permis d'obtenir des aides financières du gouvernement pour passer ce cap, contrairement à l'horeca et d'autres secteurs. Moi, j'ai reçu zéro centime", affirme le Belge.

Au début, Eric arrive à s'en sortir grâce à ses économies, mais, rapidement, l'argent vient à manquer. "J'ai injecté dans mon entreprise, j'ai acheté des produits pour pouvoir continuer".

La crise se poursuit et le travail se fait rare. Eric voit ses gains divisés par cinq. "Ça a commencé à devenir très compliqué."

Le Bruxellois raconte qu'il entre en dépression à ce moment-là. "Le déclin a continué. Je n'en pouvais plus. Je ne dormais plus. Je ne pensais qu'à ça. C'était mon plan de carrière, mon investissement personnel."

Je suis passé d'une vie très confortable à une vie sans logement

L'épreuve difficile qu'Eric traverse finit par avoir des répercussions sur sa vie privée. "Au mois de mai, ma compagne, avec qui je vivais depuis 5 ans à Laeken, n'a pas supporté mon état. Suite à une dispute, elle m'a jeté dehors."

Eric se retrouve donc à la rue du jour au lendemain. Il n'a pas d'autre choix que de dormir dans sa camionnette. Pendant quelques jours, sa petite soeur l'accueille chez elle. Mais cette dernière étant handicapée, la situation n'est pas adaptée, explique Eric. "C'était très compliqué, donc je suis retourné dans mon véhicule."


  Eric R.

De temps en temps, l'homme de 54 ans passe la nuit chez un ami à La Hulpe. Mais à cause du prix du carburant, ces déplacements sont occasionnels. "Comme je n'ai plus de revenu, je ne peux pas me permettre d'y aller tout le temps."

La plupart du temps, Eric se gare dans son ancienne rue "ou un peu plus loin en fonction des places."


  Eric R.

"Je reçois mes filles dans la rue"

Eric est père de deux filles nées d'une précédente union, dont il a la garde alternée. Sans domicile, il n'a plus de chambre pour ses enfants de 8 et 10 ans alors qu'elles vivaient chez lui une semaine sur deux.

Depuis le mois de mai, il les voit de 16 à 20 h après l'école. "Je me dois de continuer à m'occuper de mes enfantsLa mère de mes filles travaille et ne peut pas aller les chercher à l'école lorsque c'est ma semaine de garde. Mais je reçois mes enfants dans la rue ou dans des parcs depuis des mois." 

Mes filles font leurs devoirs dans ma camionnette

Durant sa semaine de garde, il doit se débrouiller pour nourrir ses filles avant qu'elles ne retournent passer la nuit chez leur mère. "Je leur donne à manger dans ma camionnette et elles y font leurs devoirs", détaille-t-il.

 
  Eric R.
 

Mais Eric l'avoue, les conditions sont difficiles. Ses filles mangent parfois juste des céréales le soir, car il n'a pas les moyens de les nourrir correctement, dit-il. "Je n'ai plus d'argent pour acheter à mangerJ'ai réussi à avoir des colis alimentaires auprès du CPAS, mais je n'ai rien pour réchauffer les plats. Ça fait des mois que je mange froid. Parfois, le soir, je donne des cornflakes ou des petits sandwiches du colis alimentaire à mes filles."

Pourtant, le père explique qu'avant de se retrouver dans cette situation, il accordait beaucoup d'importance aux repas de ses enfants. Il tenait à ce qu'elles se nourrissent sainement. "Quand je vivais dans l'appartement, je veillais à ce qu'elles mangent de façon équilibrée."

"Je suis passé d'une vie très confortable à une vie sans logement. Je dors sur un petit matelas d'enfant. Heureusement, la mère de mes filles me permet de laver mon linge chez elle afin de pouvoir être décent."

La faillite

L'indépendant nous confie qu'il va devoir déposer le bilan de son activité prochainement "et clôturer ses comptes". Une situation "doublement catastrophique", selon lui, car dès la faillite prononcée, son véhicule sera saisi. "Là, je vais 'vraiment' me retrouver à la rueJ’ai cotisé toutes ces années pour rien", lâche l'homme désemparé.

Eric ne sait plus "vers qui se tourner". Il sollicite une aide bancaire, mais sans succès.

Il s'inscrit comme demandeur d'emploi chez Actiris et passe ses journées à chercher du travail. "Je me mets dans un endroit où il y a une connexion internet et je postule. J'envoie 20 à 30 mails par jour et je passe des coups de fil. C'est une situation très difficile à gérer. Je vais sans doute devoir me reconvertir."

Il fait appel au CPAS

Avant d'être indépendant durant 10 ans, Eric a travaillé comme employé. Il a donc droit au chômage, nous dit-il. Mais tant que son dossier n'est pas enregistré comme dépôt de faillite, "c'est le CPAS qui doit intervenir", précise-t-il.

Il fait donc appel au Centre public d'action sociale de Laeken dans l'espoir d'obtenir un logement pour lui et ses filles et un peu d'argent "le temps de retrouver un travail".

"J'étais très gêné de faire cette démarche, car j'ai travaillé toute ma vie."

Mais selon ses dires, les démarches pour obtenir l'aide du CPAS sont longues et certains détails compliquent la situation...

"Un soir, j'ai garé ma camionnette devant chez un ami car il m'avait invité à me laver et à pouvoir manger dignement. J'ai dormi dans mon véhicule stationné dans sa rue. Quand j'ai expliqué ça au CPAS, ils m'ont dit que dans ce cas-là, ce n'est plus au bureau de Laeken que je dois m'adresser, mais à celui de la commune de mon ami", raconte-t-il.

"Et je suis toujours domicilié chez mon ex-compagne à Laeken, tant que je n'obtiens pas mon adresse de référence. Ils estiment peut-être que je vis encore dans l'appartement, mais ce n'est pas du tout le cas."

"Je suis retourné au CPAS une nouvelle fois pour leur fournir les preuves qui attestent que je dépose le bilan, que je suis endetté, que je n'ai plus de revenu, que j'ai des enfants dont j'ai la garde une semaine sur deux", affirme Eric qui ne comprend pas ce qui "bloque" dans son dossier.

Quelles sont les conditions pour obtenir de l'aide?

Après avoir introduit son dossier au Centre public d'action sociale, Eric doit-il rester dans les environs de son ancienne adresse pour obtenir de l'aide? Nous avons posé la question au CPAS de Bruxelles... 

"Ce Monsieur devrait pouvoir disposer d’une adresse de référence, qui est décidée en fonction du lieu où se trouve généralement la personne sans domicile". Ceci est établi par une enquête sociale menée par un·e assistant·e social·e, nous précise le CPAS de Bruxelles. C’est l’enquête qui établit "le lien de rattachement entre un sans-abri et le territoire de la ville de Bruxelles."

Le CPAS nous précise que dans ce cas en l’espèce, il semble que la période de congé n’a pas permis à l’assistant·e social·e en charge de suivre le dossier jusqu’au bout. "Celui-ci est en cours de révision en vue de prendre une décision dans les plus brefs délais."

Le Centre public d'action sociale de la capitale souligne qu'il a "une politique volontariste dans l’octroi de ces adresses de référence, sachant qu’elle est indispensable pour que la personne puisse avancer".

"C’est du cas par cas"

Le CPAS de la ville indique que, en vue d’une aide financière, il faut avoir sa résidence à Bruxelles, ou à défaut, s’y trouver habituellement. Il faut démontrer l’état de besoin, dans le cadre de l’enquête sociale. Celle-ci établit les besoins et les ressources des ménages, afin de prendre une décision sur le type et le montant de l’aide.

D’autres aides peuvent être délivrées : guidance, surendettement, carte médicale… En ce qui concerne un logement, le CPAS accompagne les personnes en difficulté et dispose de certains outils et capacité, notamment pour orienter et/ou assurer un hébergement dans des situations d’urgence (logement de transit, maisons d’accueil…). "C’est du cas par cas", précise-t-il.

En revanche, le CPAS n’est pas en mesure de garantir un logement, ajoute le Centre public d'action sociale.

"En ce qui concerne la situation de ce Monsieur, s’il est dans la difficulté et que le CPAS n’a pas eu les moyens de réagir, pour toute raison, il peut adresser une demande d’aide urgente au Président. Si l’antenne sociale de Laeken pose une difficulté d’accès, il peut également se présenter au siège central du Département de l’action sociale, pour faire valoir ses droits", conseille-t-il.

Le CPAS de Bruxelles connaît une hausse des demandes depuis la crise du Covid suite à l'augmentation du nombre de faillites. Ce qui a conduit le Centre public d'action sociale à mettre en place une cellule spécifique d’aide aux indépendants.

"Je suis exténué"

À bout, Eric nous confie avoir envisagé le pire. "J'ai des pensées suicidaires. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir à 54 ans. Ma situation est catastrophique. Je ne pensais jamais arriver à cette situation, mais le covid a eu raison de mon activité malheureusement. Je sais que je ne suis pas le seul dans le cas. Je suis exténué."

Mais le père compte se battre pour ses filles. Elles sont sa raison de vivre. Il nous précise, qu'à 8 et 10 ans, elles ont conscience de la gravité de la situation. "Elles pleurent à chaque fois qu'elles me voient. Elles voulaient même me donner leur petite tirelire pour m'aider. J'ai refusé", confie-t-il la voix trahie par l'émotion. "Elles sont adorables avec moi. C'est ça qui me fait tenir le coup."

"Je voudrais que les gens comprennent que ça peut malheureusement arriver à d'autres. Nous sommes tous impactés par ce qui se passe."

Au moment d'écrire ces lignes, le Comité de l’action sociale du CPAS a pris une nouvelle décision sur la demande d'Eric. Prochainement, elle lui "sera communiquée via son antenne sociale".

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