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Face à un enfant maltraité, une infirmière scolaire veut réagir au plus vite: "Après 17h, nous n'avons pu contacter que le parquet, c'est alarmant"

Professeur, médecin, éducateur, etc. Tout professionnel qui travaille avec des enfants peut un jour être confronté à une situation de maltraitance. Le signaler est très important. Mais Amélie, une infirmière scolaire, dénonce une réalité "alarmante": tous les intervenants adéquats ne sont pas disponibles en dehors des heures de bureau. Qu’en est-il exactement ? Et que faire ?

"Est-ce que nos enfants valent des heures de bureau ?" C’est la question posée par une infirmière qui travaille au service de promotion de la santé à l’école (PSE) en province de Liège. Tout en demandant de préserver son anonymat exigé par son devoir de réserve, cette professionnelle nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour dénoncer une situation "parfaitement interpellante et inadmissible".


"Nous pouvons être face à une violence révoltante"

Cette infirmière que nous appellerons Amélie afin de préserver son anonymat se rend dans des écoles pour réaliser plusieurs missions, comme assurer le suivi médical des élèves et dépister d’éventuelles maladies. Signaler des cas de maltraitance est également l’une des facettes de son métier. "Quand un instituteur a des doutes au sujet de traces sur le corps d’un enfant, il peut appeler notre service. En tant qu’infirmière scolaire, j’accompagne alors un médecin sur place pour constater les coups", explique la Liégeoise.

Récemment, elle a été confrontée à un cas de violences physiques sur un garçon de moins de trois ans. "Les coups ne prêtaient pas à confusion, ils ne pouvaient pas être la conséquence d’une chute par exemple. Il s’agissait clairement de coups donnés par un adulte. Nous pouvons être face à une violence révoltante", confie-t-elle.


"On tombe sur des répondeurs"

Voulant agir au plus vite, ils tentent d’appeler les services compétents en matière de protection de l’enfance. "Nous avons constaté avec consternation que tous ces services de première ligne sont fermés ou inaccessibles dès 17h. J'évoque ici SOS Enfants, ONE, SAJ, SPJ, etc. Quand on les appelle, on tombe sur des répondeurs qui se renvoient la balle. Et ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à ce problème dans ma vie professionnelle. C’est très alarmant", regrette Amélie.

Réparties en Fédération Wallonie-Bruxelles, les 14 équipes SOS Enfants ont pour mission principale d’assurer la prévention et le traitement des situations de maltraitance infantile, qu’elle soit de nature physique, psychologique, sexuelle ou institutionnelle. Composées de médecins, de psychologues, d’assistants sociaux et de juristes, ces équipes prennent en charge des signalements. En 2017, SOS Enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles a reçu 6.188 signalements par téléphone, courrier ou e-mail pour maltraitance d'enfants. 2.876 maltraitances ont été recensées.

Sur le site internet de l’ONE (office national de l’enfance), on vous encourage d’ailleurs directement à dénoncer des cas de maltraitance en téléphonant à l’équipe SOS Enfants de votre région.

Nous avons donc fait le test. Quand on compose le numéro de SOS Enfants à Liège en fin de journée, il n’y a personne au bout du fil. Une voix enregistrée vous invite à laisser un message auquel il sera donné suite. En cas d’urgence, on vous conseille de contacter un service d’urgence pédiatrique, le parquet de la famille ou un service de police.


SOS Enfants: "Notre service ne travaille pas dans l’urgence"

Pourquoi ? Nous avons posé la question chez SOS Enfants à Liège. "Notre permanence téléphonique n’est en effet pas assurée en dehors des horaires de bureau", confirme une psychologue de l’équipe liégeoise. Et, selon elle, cela n’est pas indispensable. "Si cette infirmière nous avait appelés, nous aurions pu lui donner des conseils sur base de son jugement de la situation. Nous aurions pu l’aider à évaluer l’état de danger dans lequel se trouve l’enfant et lui proposer d’orienter les parents vers notre service, si la situation n’était pas urgente. Mais nous ne pouvons de toute façon pas agir directement sur le terrain. Notre service ne travaille pas dans l’urgence", explique une psychologue de l’équipe liégeoise.

SOS Enfants collabore directement avec les familles, en toute transparence. L’objectif est donc de les rencontrer et de les épauler pour améliorer la situation. "Quand les parents viennent de leur propre plein gré, nous leur faisons des propositions et c’est eux qui décident. On les aide ensuite à les concrétiser", indique la psychologue.

Le service peut également être mandaté directement par le SAJ (service de l’aide à la jeunesse) qui apporte une aide consentie ou le SPJ (service de protection judiciaire) qui lui impose une aide. "Quand ce sont les autorités qui nous demandent d’intervenir, nous dressons d’abord un bilan de la situation. On rencontre donc enfant et parents, on repère les difficultés et ressources. Ensuite, on fait des propositions de solutions pour mieux fonctionner. On soumet ces solutions au SAJ ou au SPJ qui tranchent", détaille-t-elle.

Ces deux services de l’Aide à la Jeunesse ne sont pas non plus joignables pour le moment en dehors des heures de bureau.


Que faire en cas de danger grave et imminent ?

En cas d’urgence, aussi bien SOS Enfants que l’ONE conseillent donc de contacter la police ou le parquet. Ce sont en effet les seuls autorisés à extraire un enfant de son milieu familial. Et ce sont les seuls qui répondent 24h/24.

Amélie parvient donc à joindre le parquet qui décide d’envoyer une patrouille de policiers pour prendre en charge l’enfant. "Quand ce sont des enfants en bas âge, le dernier choix pour nous est d’appeler la police. Parce que ce sont des enfants traumatisés et que cela peut être très impressionnant. On préfère qu’ils soient pris en charge par des gens bienveillants qui ont été formés à la petite enfance et qui auront le comportement le plus adéquat face à eux plutôt que des policiers qui arrivent parfois en uniforme", estime-t-elle.

"La police n’est pas l’acteur le plus approprié car cela peut être traumatisant pour l’enfant d’être pris en charge de manière inattendue. Mais pour le moment, il n’y a pas d’autre solution quand l’enfant est en danger grave et imminent", confirme la psychologue de SOS Enfants.


Parquet de Bruxelles: "Qui voulez-vous que j’envoie à 22h le soir ?"

De son côté, le parquet de Bruxelles assure ne pas avoir le choix face à une situation très inquiétante. "Au sein de la police, il existe des services jeunesse avec des agents formés qui travaillent en civil pendant la journée. Mais qui voulez-vous que j’envoie à 22h le soir ? Si je suis confrontée à un enfant en danger qui risque de subir encore des maltraitances graves, j’opte pour une équipe en uniforme. C’est le choix que l’on doit faire au niveau du parquet. Et, en général, quand on nous contacte c’est que la situation est déjà dramatique", souligne Ine Van Wymersch, magistrate au parquet de Bruxelles. "L’uniforme n’est pas forcément ce qui choque le plus mais plutôt la façon de parler, la délicatesse des mots. Et nous essayons de sensibiliser au maximum les agents que nous envoyons", ajoute-t-elle.

D’après Ine Van Wymersch, il est en tout cas rare qu’une école ou une infirmière scolaire contacte directement la police ou le parquet, en tout cas à Bruxelles. Par contre, pas mal de citoyens contactent en premier lieu la police pour signaler un cas de maltraitance ou de négligences graves. Les policiers contactent alors le parquet qui prend une décision.

Quand il prend une mesure provisoire d’éloignement, l’enfant est placé chez un membre fiable de la famille, dans un centre d’accueil d’urgence ou au service d’urgence pédiatrique d’un hôpital. "Chaque situation est singulière. Certains enfants peuvent être hospitalisés pour réaliser un bilan médico-social, surtout quand ils présentent des hématomes", souligne Jessica Segers, responsable de SOS Enfants à l’ONE.


Les permanences téléphoniques du SAJ et du SPJ bientôt élargies ?

Si une aide volontaire semble possible, le parquet contacte dès que possible le SAJ qui va évaluer la collaboration des parents. Mais si ceux-ci refusent toute aide, que l’enfant présente des traces de coups évidentes ou que la situation de maltraitance (ou de négligence) est déjà connue, le parquet demande plutôt au SPJ de prendre le relais. Un juge imposera alors une mesure d’aide aux parents.

Actuellement, il n’est donc toutefois pas possible de joindre un conseiller du SAJ ou un directeur du SPJ en dehors des heures de bureau. Ce qui va sans doute changer. En 2019, un projet pilote sera mis en place d’avril à fin décembre. Il prévoit justement d’élargir les permanences téléphoniques du SAJ et du SPJ dans deux provinces (Liège et Luxembourg). "De 17h à 21h en semaine et de 9h à 17h le weekend. En dehors de ces heures, un conseiller du SAJ et un directeur du SPJ devraient également être joignables par téléphone", révèle Aude Lavry, porte-parole de Rachid Madrane, le ministre en charge de l’Aide de la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles.

La philosophie derrière ce projet est surtout d’éviter le recours à la justice quand c’est possible. "Aujourd’hui, la police est à priori en première ligne. Quand quelqu’un lui signale un cas de maltraitance, elle prévient le parquet. Le soir et le weekend, il a tendance à appeler un magistrat de garde. Le dossier est donc transféré vers un juge. Mais si le parquet peut joindre le SAJ, cela permettra parfois de trouver une solution avant d’entamer des procédures judiciaires", explique Aude Lavry.


Des décisions prises au cas par cas

De son côté, Jessica Segers, responsable de SOS Enfants à l’ONE, souligne aussi la complexité de certaines situations et l’importance du choix pris par le parquet. "Il faut évaluer le danger dans lequel se trouve l’enfant pour voir si une intervention dans l’urgence un vendredi soir n’est pas pire que le lundi matin dans le calme. Une collaboration avec SOS Enfants ou directement avec le SAJ, où les choses sont expliquées aux enfants et aux parents, est moins traumatisante."

Ine Van Wymersch assure que le parquet de Bruxelles essaie de chercher la meilleure solution pour l’enfant. "C’est au cas par cas. Si nous sommes prévenus assez tôt et que la situation n’est pas trop grave, on a la possibilité de saisir le SAJ et de mener des enquêtes. Par exemple, si une voisine entend des cris mais n’a rien vu, la police va réaliser une enquête sociale, notamment auprès de l’école, avant de prendre une mesure de placement. Un enfant peut crier sans être maltraité", souligne la magistrate.


Et après le signalement, que se passe-t-il ?

Et qu’est devenu le petit garçon emmené par les policiers suite à l’appel d’Amélie ? "Il a été déposé dans un service d’urgence pédiatrique d’un hôpital", confie la Liégeoise. Excepté ce placement, elle n’a pas d’autres nouvelles de lui. "Un service adéquat a pris le relais et nous n’avons pas de retour c’est normal", explique-t-elle.

Son rôle est-il pour autant terminé ? Le parquet pourrait éventuellement la convoquer. Amélie devrait alors se présenter. Mais, comme elle est soumise au secret professionnel, elle peut choisir de répondre aux questions ou de se retrancher derrière ce secret. Elle pourrait aussi être appelée comme témoin dans le cadre d’un procès concernant l’auteur présumé des maltraitances.

A noter que si on signale un cas de maltraitance à SOS Enfants ou au SAJ, on peut informer soi-même la famille et participer aux investigations sociales ainsi qu’aux réunions avec l’enfant et les parents.

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