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Faute d’éditeur, Catherine a sorti ses trois romans toute seule: elle raconte son étonnant parcours

Cela fait trois ans que Catherine, une habitante de Moha, écrit des romans policiers historiques. Après avoir tenté le circuit traditionnel, sans succès, l’historienne de formation a décidé de s’autoéditer. Elle nous raconte tout le chemin parcouru.

"J’écris des romans policiers historiques dont l'action se déroule dans ma région, en Hesbaye, à l'époque de Napoléon", débute Catherine via le bouton orange Alertez-nous. L’historienne de formation vit à Moha, une section de la commune de Wanze dans la province de Liège. 

Fan d’Agatha Christie et Alexandre Dumas, l’ex-professeure d’histoire écrit depuis son enfance, mais n’a jamais osé se lancer dans un roman pour autant. Mais tout a changé en 2016.

Une pause carrière pour écrire

Cette année-là, Catherine souffre d’une pneumonie qui la garde un mois entier chez elle. Cette convalescence est un déclencheur : "A la fin de ce congé de maladie, j’ai dit à mon mari sur le ton de la blague : 'Je vais prendre une interruption de carrière et je vais me consacrer à ce rêve d'écriture’. À ma grande surprise, il m’a dit :'Lance-toi, on va trouver les moyens'. Je me suis donc lancée dans cette aventure", raconte la femme de 43 ans.

Employée administrative à la commune de Braives depuis 11 ans, elle débute sa pause carrière en 2017, soutenue par sa famille et son employeur. Mais écrire un roman est un parcours semé d’embûches, nous confie l’auteure passionnée par les romans policiers.


 © Catherine Lheureux

Les étapes d’un roman

Pour ses débuts dans l’écriture, la mère de famille fait appel à la Compagnie de Lecteurs et d'Auteurs (Cléa), une association bruxelloise qui épaule les jeunes auteurs. Elle est aidée par une coach en écriture et des lecteurs formés pour remettre un avis constructif. L’asbl lui fournit aussi des clés pour corriger son travail. "J’ai obtenu un rapport d’une dizaine de pages sur le premier jet de mon roman", poursuit-elle.  

"On part d’une idée"

Catherine nous explique que deux mois complets lui ont été nécessaires pour la préparation du roman. Cette étape a consisté à structurer son travail et à faire des recherches historiques, son domaine de prédilection. "On part d’une idée qui tient sur une feuille de papier. Ensuite, j’ai une structure de 50-60 pages avec les personnages", précise l’auteure. "Mais je peux me lâcher dans l’étape de structuration. C’est redoutable et stimulant  (…) les gens attendent qu’il y ait un certain rebondissement qui n’arrive pas trop tard dans la narration".

Catherine s’est autoéditée

Le moment qu’elle aime le moins dans la réalisation d'un roman est la relecture. C’est donc épaulée par la Compagnie de Lecteurs et d'Auteurs que Catherine a bouclé Le Serment de haine, son premier roman, en 2019. Une fois son livre achevé, elle comptait suivre le circuit conventionnel d’un auteur... "J’ai envoyé mon manuscrit à 200 maisons d’édition en Belgique, en France, en Suisse et au Canada", affirme-t-elle. "Énormément de maisons d’édition n’ont même pas répondu, ce qui est vexant" et les seules réponses obtenues ne correspondaient pas du tout à ses attentes, nous dit la Wallonne.

© Catherine Lheureux
C’est un secteur qui souffre en ce moment
 
Sans autre solution, Catherine a décidé de s’auto-éditer. Novice dans ce domaine, elle a commencé de manière "un peu timide", reconnaît-elle.  "Je me suis auto-éditée, mais numériquement seulement.  J’ai attendu quelques mois avant de franchir le pas en faisant une édition papier.  J’espérais toujours qu’il y aurait un éditeur qui me proposerait le contrat dont je rêvais, mais ce n’est pas arrivé", regrette-t-elle. En octobre 2019, la romancière franchit une nouvelle étape.  Le Serment de haine voit le jour sous format papier.  "J’ai dû sortir 500 euros d’un coup pour acheter mon premier stock.  Je me suis dit: 'J’espère que ça va aller et que je ne vais pas vivre toute ma vie avec ce stock', mais c’est allé très vite", se réjouit-elle.  "J’ai réussi à écouler la première centaine alors j'en ai recommandé". Catherine est soutenue par les collectivités locales, dont la commune de Wanze, l’asbl Memo-Huy et des médias locaux.  Elle dépose des exemplaires dans plusieurs librairies, lieux incontournables pour elle car "c’est un secteur qui souffre en ce moment".  "Aller à leur rencontre, c’est vraiment précieux.  Ce sont des gens qui ont une expérience incroyable des lecteurs et du public.  C’est irremplaçable".  
Cette année-là, Catherine a présenté aussi ses livres lors des marchés de Noël.  Au total, son premier roman s'est vendu à plus de 600 exemplaires.
Une sortie en plein confinement

Motivée, elle a enchaîné directement avec une suite, La Peste de Moson en 2020. Pour ce second roman, l'auteure s'est dirigée directement vers une plateforme d’autoédition en se disant que "si le livre attire l’œil d’un éditeur, tant mieux et sinon tant pis". Ce livre, sorti au début du confinement, s’est vendu à 300 exemplaires. Certains romans sont toujours en dépôt-vente dans des librairies.

 
© Catherine Lheureux


La Wallonne toujours aussi passionnée poursuit sur sa lancée avec un troisième polar historique: L'appel de l'ombre.

 
© Catherine Lheureux


"Cette époque a changé la face du monde"

Catherine nous confie que c'était important pour elle de parler de sa région dans ses trois romans, qui forment une série. Elle a choisi de développer son récit à l’époque napoléonienne "car c’est le cœur de cette période de l’histoire où les gens ont cessé d’être les sujets des rois et ont commencé à être vraiment des citoyens des pays. Je trouvais que c’était une mutation intéressante", nous apprend l'historienne.

Des jeunes gars d’une trentaine d’années ont pris le destin de leur pays en main

Elle nous explique que 1715 à 1830 représente le moment où la structure du monde dans lequel nous vivons a été créée. "Cette époque a changé la face du monde. Il y avait des révolutionnaires belges, des jeunes gars d’une trentaine d’années, qui ont pris le destin de leur pays en main et ont eu le culot de dire: 'c’est notre pays, nos lois et ont créé une constitution en 6 semaines'. Quelle audace ! Nous, on vit confortablement dans ce pays qu’ils ont créé sans se rendre compte à quel point la création même de ce pays est une sorte de miracle", lance l'auteure.  

Les romans de Catherine ont toujours une base historique, même s'il lui arrive de "tordre l’histoire" à son profit. "Il y a des personnages historiques qui interviennent, comme l’ancêtre de François-Hubert Du Fontbaré, un des échevins de la commune de Braives (…) Il ne peut pas avoir d’’incohérence entre deux romans. Ils ne peuvent pas se contredire".

"Je veux croire que l'éditeur 'charmant' existe"

L'écrivaine passionnée ne compte pas s'arrêter là... "Je poursuis mon chemin dans l'autoédition, sans pour autant fermer la porte: si le "prince charmant" en version éditeur - se présente, pourquoi pas ? C'est vrai qu'il devra répondre à mes conditions, qui sont - ou devraient être - celles de tous les auteurs travaillant avec des éditeurs". Pas de frais d'entrée ou d'achat obligatoire d'un certain nombre de livres, des conditions suffisamment explicites de rupture de contrat pour les deux parties, une possibilité de renégociation de tout le contrat avec un terme explicitement décrit (10 ans, idéalement), des conditions de promotion bien établies, détaille Catherine.

"Cela peut sembler beaucoup, mais je crois qu'aujourd'hui, si les écrivains artisans du livre ne gagnent rien ou presque rien quand ils travaillent dans les circuits conventionnels, c'est parce qu'ils n'ont pas suffisamment de conscience de leur propre valeur dans la chaîne du livre. Je veux croire que l'éditeur charmant existe, mais que je ne l'ai pas encore rencontré. Qui sait ? Bientôt peut-être".

Le covid : quelles répercussions pour le secteur de l’édition en Belgique?

Les maisons d’éditions belges ont connu une année très particulière à cause de l'épidémie de coronavirus. Les mesures imposées par le gouvernement ont eu de lourdes répercussions sur ce secteur. "Ce fut une année au ralenti, nous n'avons sorti qu'un seul livre, car il était inconcevable de proposer aux auteurs une sortie correcte sans séance de dédicaces, salons, foires et expositions. En 2020, nous avons reçu plus de publications que d'habitude, mais surtout des autobiographies parlant de leur expérience Covid", raconte Sandra Di Silvio, administratrice et éditrice des Éditions belges Chat Ailé.

Les Éditions Jourdan situées à Waterloo, ont perdu plus de 40% de leur chiffre d’affaires. "Nous n’avons pas vendu de livres pendant le premier confinement, même Amazon avait suspendu ses livraisons de livres, les considérant comme des produits non-essentiels. La reprise s’est faite avec un nombre très restreint de livres par groupes de diffusion/distribution, en privilégiant les best-sellers (LévyNothomb…)", observe Aurielle Marlier des Editions Jourdan qui ajoute que les éditeurs de taille moyenne n’ont pu revendre des livres qu’à partir de juillet, avec des programmes réduits, sans possibilité de rattrapage (sans pouvoir sortir les ouvrages non publiés). "Lors du 2e confinement, les librairies étaient ouvertes, mais les gens ne pouvant plus flâner, ne pouvant plus toucher, les ventes ont chuté. Lorsque l’on dit que le livre se porte bien, ça concerne des livres comme les prix Goncourt (les clients se dépêchent et achètent les livres dont on parle dans la presse)", enchaîne-t-elle.

Même son de cloche du côté du groupe G.I.L Éditions. Il constate une baisse des ventes en 2020 de 75 %. "Cela s'explique par l'annulation de tous les événements culturels. Nous participons à 35 salons littéraires par an. En 2020, seuls 2 ont été maintenus", nous précise Jérémiah Den, de la maison d’édition située à Trooz.

Cependant, toutes les situations ne sont pas les mêmes. Pour les Éditions Diagonale à Namur, "les chiffres sont stables".

Des réalités très différentes

Benoît Dubois, directeur de l'Association des Éditeurs Belges (ADEB), nous explique que le marché du livre en Fédération Wallonie Bruxelles en 2020 "s’est contracté de près de 5%""Cette contraction recouvre des réalités très différentes selon les genres éditoriaux, les éditeurs et les points de vente", précise-t-il.

Partout en Europe, les livres destinés à la jeunesse ont aidé à tirer les marchés vers le haut. En zone francophone, ceci est valable pour les BD et mangas, les livres jeunesse, mais aussi les collections parascolaires, détaille-t-il. Sans surprise, "à l’opposé, partout en Europe, les livres de tourisme et les livres-événementiels ont connu une année noire, avec des pertes dépassant parfois les 50%".

"Les grands éditeurs ont réduit leur offre"

Le directeur de l'Association des Éditeurs Belges ajoute qu’entre ces deux extrêmes, tous les autres genres sont en baisse plus ou moins importante. "La littérature, elle, a connu une petite baisse en ligne avec les résultats globaux du secteur. Tout ceci est valable aussi pour notre Fédération Wallonie-Bruxelles".

Benoît Dubois précise que cette petite baisse en littérature doit cependant être relativisée parce qu’elle cache deux réalités: 

Premièrement, les grands éditeurs ont réduit leur offre en se concentrant sur des succès "plus sûrs" plutôt que sur des nouveautés à risque, donc la diversité s’est fortement contractée.

Deuxièmement, cette réduction de l’offre s’est accompagnée par une priorité donnée par les distributeurs aux livres de leur propre groupe éditorial, excluant pour de longues semaines les "petits éditeurs indépendants" des circuits de vente.

"Ces deux réalités font que les plus grandes maisons d’édition ont pu stabiliser leur activité à un niveau finalement raisonnable, alors que de nombreux petits éditeurs ont vu leur chiffre d’affaires se contracter de 20, 40, 60%. Ceci est encore plus vrai pour les éditeurs travaillant essentiellement par des ventes directes en foires et salons (presque) tous annulés en 2020".

De lourds reculs

Benoît Dubois ajoute que les différentes mesures sanitaires ont lourdement pesé sur la chalandise (affluence de clients) de certains points de vente, malgré le fait que les librairies soient restées ouvertes durant tout l’automne.

Les libraires situées en zone "hyper commerciale" où tous les commerces non-essentiels ont été fermés, celles situées en zone de bureaux désertés à cause du télétravail et celles qui se trouvent en zone d’enseignement supérieur ont toutes subi de très lourds reculs. Ceci au bénéfice des librairies "de proximité" qui ont globalement conforté leurs activités de 2019 et, bien sûr, au bénéfice des ventes en ligne, indique-t-il.

On se pose beaucoup de questions, mais si on reste dans les questions, on ne fait jamais rien

"Osez"

Depuis janvier 2021, Catherine a réintégré son poste d’employée à la commune de Braives, après des années d'interruption. Elle réussit à organiser sa vie afin de poursuivre sa passion. Aux personnes qui, comme elle, souhaitent se lancer dans l’écriture d’un roman, la mère de famille n’a qu’une chose à dire: "Osez !". "On se pose beaucoup de questions, mais si on reste dans les questions, on ne fait jamais rien".

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