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Immatriculer une voiture ultra-puissante gratuitement, c'est possible: certains "accros à la vitesse" ont trouvé comment "contourner les taxes"

Immatriculer une voiture puissante, ça coûte cher. Très cher même. On atteint la barre des 5.000 euros, sans même avoir démarré le moteur. A cela, il faut ajouter un eco-malus en Wallonie. Bref, impayable pour de nombreux automobilistes. Mais en Belgique, la loi permet aussi d'immatriculer ce type de véhicule gratuitement, et de payer une taxe de circulation minime, inférieure même à une voiture électrique. Mais où est la logique dans tout ça ?

Golf GTi, Ford Focus RS, Renault Mégane RS, Audi RS, BMW M ou Mercedes AMG... voilà toute une série de noms qui, à peine évoqués, éveillent l'attention des passionnés d'automobiles. Particularité de ces modèles: la puissance de leur moteur dont le ronronnement finira rapidement par faire craquer les amateurs. Bref, pour les jeunes, et un peu moins jeunes aussi, ce type de voiture, "ça envoie du lourd" !

Particularité par rapport à des Porsche, Ferrari, Lamborghini ou autres sportives d'exception, ces compactes sont relativement abordables. Relativement, on s'entend bien, vu qu'il faut malgré tout compter un bon 30.000 euros pour les modèles les moins chers, et sans option. Elles ont aussi des châssis qui ne diffèrent pas excessivement des modèles de base et qui s'adaptent donc bien à nos routes, contrairement à des super sportives qu'on pourrait avoir peur d'abîmer en se prenant un nid de poule.


Mais voilà, voir ces bolides se multiplier sur nos routes poserait divers soucis, principalement au niveau de la sécurité et de l'environnement. Les autorités ont donc mis des barrières, et celle qui marche le mieux, c'est comme souvent de piocher dans le portefeuille des propriétaires, ici via la taxe de mise en circulation (à payer une fois lors de l'immatriculation du véhicule) et la taxe de circulation (à payer chaque année). Et c'est vrai qu'il y a de quoi dissuader, car la taxe de mise en circulation, calculée sur la puissance du véhicule, s'élève à 4957 euros pour des voitures de plus de 212 chevaux (155 KW), ce qui est souvent le cas de ces modèles. Une somme à laquelle il faut rajouter un éco-malus en Wallonie. La taxe annuelle de circulation, basée sur les chevaux fiscaux du véhicule, s'élève en moyenne entre 750 euros et 1.500 euros pour ces modèles. Un fameux budget donc qui, couplé au prix de l'assurance obligatoire, devrait dissuader de nombreuses personnes, dont les jeunes, à faire un tel investissement.

Mais le conditionnel est d'usage, car comme l'a souligné un lecteur, il existe une faille. "Pourquoi doit-on payer une taxe de mise en circulation coûteuse pour une voiture qui émet peu de CO2, alors que le système actuel permet de mettre en utilitaire des voitures puissantes, avec de très gros moteurs polluants ? Il y a vraiment un problème en Wallonie !", s'est indigné Philippe via notre bouton orange Alertez-nous.


Que prévoit la loi ?

Une sportive devenue utilitaire ? Reconnaissez-le, on est bien loin de l'image de la camionnette blanche, au gros pare-chocs noirs, et dans laquelle un entrepreneur, jardinier, plombier ou électricien peut charger tout son matériel. Bon c'est vrai, cet exemple est cliché, tant le segment des utilitaires s'est développé et adapté à diverses fonctions. Mais quand-même, qui utilise une sportive pour charger du matériel ou effectuer des livraisons ? Et pourtant, la pratique est possible... et permet de bénéficier d'une fiscalité douce, c'est un euphémisme! Vous voulez des chiffres ? C'est simple, pour la taxe de mise en circulation, on est à 0 euro. Bref, c'est gratuit. Et la taxe de circulation ? Comptez 63 euros, éventuellement 85 euros si elle dépasse 1,5 tonnes. Soit l'équivalent d'un véhicule électrique.



En contrepartie, le propriétaire du véhicule devra veiller à le transformer officiellement en utilitaire léger, soumis au contrôle technique chaque année. Pour ce faire, il devra demander à une société spécialisée de retirer la banquette arrière et de monter un plancher qui doit atteindre un minimum de 50% de l'empattement. Ensuite il faudra obtenir l'homologation, ce qui n'est souvent qu'une formalité, comme nous l'a confié une personne travaillant pour une société de transformation de voiture et à qui nous nous sommes présentés comme étant clients potentiels. "Pour un modèle comme une GTi ou une RS, il faut compter 1650 euros, TVA comprise. Pour ce prix, on vous fournit aussi l'homologation. Il y a pas mal de papiers à remplir, mais ce n'est pas si compliqué. En tout, il faut compter une dizaine de jours et tout est OK", nous a-t-on indiqué. Et lorsque l'on demande si ce n'est pas "un peu louche" d'immatriculer ce type de voiture en utilitaire léger, et qu'on craint ne pas obtenir l'homologation, la personne a tout de suite tenté de nous rassurer. "Mais vous savez, tout cela est légal. Au regard de la loi, votre voiture sera une utilitaire. Donc il n'y a pas de crainte à avoir à ce niveau-là", insiste notre interlocutrice.

Et elle a bien raison, c'est un point important à préciser: les personnes qui transforment leur voiture ne trichent absolument pas. A la rigueur, on peut dire qu'elles exploitent un règlement pour éviter de payer des taxes, mais toujours en restant dans la légalité.

Le gérant d'une autre société de transformation, qui a souhaité rester anonyme, reconnaît sans langue de bois qu'il y a une forme d'hypocrisie dans les faits. "Bien sûr, un petit jeune qui vient pour transformer une GTi en utilitaire, c'est pour contourner les taxes. C'est évident. Pour quelle autre raison le ferait-il ? Je n'ai jamais vu quelqu'un faire cela pour pouvoir faire de gros chargements dans une sportive", confie-t-il avant de soulever un autre souci. "Et oui, en général un petit jeune avec casquette (sic) qui roule en GTi, il le fait pour faire de la vitesse", avoue-t-il.


Et les responsables, ils en pensent quoi ?

"Nous on ne trouve pas ça normal, mais on a pris l'habitude de ne pas commenter des mesures dont la compétence appartient aux Régions. On ne veut pas appliquer ces méthodes chevaleresques et critiquer ce type de décisions, d'autant plus qu'on ne peut rien y faire", a réagi Mélisa Blot, porte-parole de François Bellot, ministre fédéral de la mobilité.

Nous lui avons alors posé deux autres questions:

  • Cette mesure était fédérale avant d'être transférée au niveau régional. N'y avait-il pas des changements à opérer ? "On ne peut pas être responsable du travail de nos prédécesseurs", nous a-t-on répondu.

  • Les compétences liées aux immatriculations sont fédérales. N'y a-t-il pas quelque-chose à faire à ce niveau-là ? Réponse: "L'immatriculation se fait sur base de l'homologation du véhicule. Et l'homologation, c'est la Région qui la fournit".

Nous sommes donc allés frapper à la porte de Jean-Luc Crucke, ministre des Finances de la région wallonne. Petite précision avant d'aller plus loin: nous évoquons le cas de la Wallonie, mais la situation est tout à fait similaire à Bruxelles et en Flandre, la législation n'ayant bougé dans aucune des trois régions du pays depuis le transfert de compétences du fédéral vers les entités fédérées.

Sur base de nos questions, l'équipe chargée de la communication du ministre nous a dans un premier temps indiqué "qu'il n'y avait à l'heure actuelle rien de prévu pour ce dossier, sans doute vu le nombre relativement restreint de voitures puissantes immatriculées en utilitaires légers". Lorsque l'on a insisté sur l'aspect "anormal" du règlement, non pas pour tous les véhicules utilitaires mais spécifiquement pour les voitures très puissantes, on nous a ensuite précisé que "le 15 octobre, des auditions auront lieux sur le sujet. Sous cette législature, il sera difficile de mener à termes cette réforme mais nous pousserons la réflexion le plus loin possible afin de préparer le travail pour la législature future".


Combien de sportives immatriculées en utilitaires ?

Et pourtant, malgré les milliers d'euros économisés, ces sportives compactes transformées en utilitaires ne connaissent pas non plus une expansion incontrôlable. "Ce n'est pas ce qu'on a le plus. On en a un certain nombre sur l'ensemble de l'année, mais ce n'est pas du tout notre activité principale. On fait beaucoup plus des SUV pour des patrons d'entreprise ou des breaks, par exemple pour des vétérinaires qui transportent toute leur pharmacie et doivent pouvoir embarquer un animal de compagnie", assure le gérant d'une société de transformation déjà cité plus haut.

Au cabinet Crucke, on nous précise "qu'il y a 5279 numéros de châssis différents" d'utilitaires de plus de 150 KW (203 chevaux) ou plus taxées en 2017, sans taxe de mise en circulation et avec une taxe de circulation (annuelle) calculée sur base de la masse maximale autorisée. Ce nombre reprend des sportives compactes, mais aussi des camionnettes dont la puissance est justifiée par le transport de matériel. On aurait aimé avoir le nombre de voitures plus légères mais tout aussi puissantes immatriculées en utilitaires, mais ce chiffre ne nous a pas été fourni.

Selon différents témoignages, notamment dans les entreprises de transformation de voitures en utilitaires, on peut imaginer qu'il y en a plusieurs centaines par an. "Grosso modo une sur dix ça me paraît cohérent. Donc si vous me dites qu'à peu près 5.000 utilitaires puissants sont immatriculés chaque année, le calcul est vite fait", nous a indiqué le gérant d'une société.


Une pratique courante dans le tuning

Il y a un secteur dans lequel on retrouve la pratique de façon assez répandue: c'est le tuning. Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cette pratique regroupe des "amoureux" des voitures, des passionnés. Et, à ce titre, les sportives compactes présentent un sérieux atout "séduction". Et puis, il y a un autre aspect dont il faut tenir compte. "Dans la plupart des cas, les gens qui font du tuning ne cherchent pas à avoir une familiale. Ils s'en fichent d'avoir une banquette arrière ou non. L'espace à l'arrière, ils le consacrent à une installation Hi-Fi, ou alors à un système de suspensions pneumatiques dont tout le mécanisme est visible. Et alors, pour le moment, les arceaux sont aussi à la mode", nous indique Christophe, membre d'un club de tuning.

Ces données pourraient faire peur quant au nombre de personnes potentielles qui pourraient envisager contourner les taxes. D'autant que "le tuning des années 90, avec des gros ailerons et d'énormes pare-chocs, c'est terminé. Maintenant la tendance est beaucoup plus à la sobriété,
la personnalisation se fait en finesse. Donc partir d'une base GTi ou RS, ça ne demande plus d'énormes frais par la suite. Même s'il n'y a pas de limite dans les dépenses, on rajoute un système de suspensions et de belles jantes et ces voitures sont déjà au top", précise
Christophe.


Mais le tuning ne représente pas la majeure partie du problème. Peut-être est-ce là que l'on trouve le plus de cas, mais ces passionnés de voitures roulent généralement peu avec leur véhicule "tuné". La plupart d'entre eux ont d'ailleurs une voiture "de tous les jours", et leur "jouet" qui reste bien à l'abri des regards et des dégradations redoutées sur la voie publique. "De toute façon, s'ils devaient payer les taxes complètes, ils s'en détourneraient et prendraient des plus petits moteurs. Là, ils utilisent les règles du jeu. Si les règles changent, leurs choix changeront aussi", pense Christophe. Quant au danger potentiel de telles voitures, les "tuners" ne sont pas non plus le plus gros problème, car à quelques exceptions près, ils n'utilisent pas leur véhicule tuné pour faire de la vitesse, mais bien pour le rendre aussi beau que possible, le personnaliser, et parader. Un peu sur la voie publique. Beaucoup sur des meetings.


Où est la logique dans tout ça ?

Non, on l'a évoqué plus haut, le souci majeur vient des personnes qui achètent ce type de véhicule rien que pour rouler à vive allure. Parce qu'ils aiment ça. Et parce qu'ils confondent souvent les routes avec un terrain de jeu privé. Le fait qu'ils paient des taxes réduites est un non sens au niveau environnemental. Et un désastre pour la sécurité. "Oui c'est certain que s'ils paient plus de 1.500 euros pour retirer leur banquette, et qu'ils acceptent de passer le contrôle technique chaque année dès l'achat du véhicule neuf, c'est parce qu'ils en veulent sous le pied. Une GTi ou une RS, ça pousse fort. Ne parlons pas d'une Audi RS ou d'une BMW version M, parce que là ça va très très vite. Oui, je pense clairement que certains sont accrocs à la vitesse", nous a encore avoué le gérant d'une société de transformation, soucieux lui aussi de garder l'anonymat même "s'il ne fait rien de contraire à la loi", comme il tenait à ce que cela soit précisé.

L'autre souci, si ce n'est la vitesse ou l'environnement, c'est la comparaison avec "Monsieur tout le monde". Comment justifier qu'une taxe de circulation atteint déjà 495 euros pour un véhicule de 117 cv ? Qu'on monte déjà à 1239 euros une fois les 150 cv ? Ou encore, que certains automobilistes doivent se débarrasser de leur "vieux" véhicule Diesel, jugé trop polluant pour entrer dans Bruxelles ? Alors comprenons-nous bien: nous ne nous opposons pas aux diverses taxes et moyens mis en place pour tenter de "pousser" les automobilistes à faire des choix plus "verts" et raisonnables. Mais on a beau chercher, on ne comprend pas pour quelle raison de telles voitures sportives passeraient sous les radars de la taxation automobile, même sans banquette arrière...

@ArnaudRTLinfo

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