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Julie, révoltée par les manèges à poneys à Forest, appelle à leur interdiction: un forain répond aux accusations de maltraitance d'animaux

Une habitante de Forest se dit révoltée par la présence de manèges à poneys sur le territoire de sa commune. "C'est de l'esclavage, on est en 2015!", s'insurge-t-elle, après s'être rendue aux Fêtes médiévales. Mais le forain qui a organisé cette activité pendant 20 ans, apporte un tout autre éclairage sur la condition de ces animaux: "On peut avoir l'impression que les poneys tournent en rond et s'ennuient, mais en réalité, c'est un petit entrainement relax. Ils sont très bien traités", affirme John Gossing.

En septembre dernier, Julie (prénom d'emprunt) a profité des Fêtes médiévales de Forest et n'en revient toujours pas: elle y a vu un manège à poneys et ne comprend pas qu'une telle activité soit encore organisée. "Ces poneys sont présents chaque année, déplore la jeune femme, après nous avoir joints via notre page Alertez-nous. Si les gens ont envie de faire plaisir à leur enfant, il y a d'autres manières de le faire! On est en 2015. C'est de l'esclavage des poneys".

Pour Julie, le fait de les observer tourner en rond est intolérable: "C'est inadmissible de se faire de l'argent comme ça sur le dos de pauvres bêtes qui tournent toute la journée", considère la jeune femme.

L'an dernier, Madeleine, une habitante de Liège, nous avait déjà dénoncé la même problématique (lisez l'article "Cessons le calvaire des poneys de foire en Belgique!"). 

"Je comprends que les gens de la ville ne soient pas habitués à voir des animaux travailler, pour eux, c'est un scandale, répond d'emblée John Gossing, issu d'une famille de forains. Pendant des années, le professionnel a lui-même tenu ce manège aux Fêtes médiévales de Forest, et partout ailleurs à Bruxelles et en Wallonie. Avant, il y avait les chiens de trait et les poneys devaient tirer de grosses charrettes avec du poids, par exemple. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, mais le travail effectué dans les manèges à poneys est régulier et n'est pas excessif. Les bêtes sont suivies par un vétérinaire. Nous devons toujours veiller à ce qu'ils soient bien ronds, bien en chair, car la vue compte pour le client. Dans ma carrière, je n'ai presque jamais eu de poneys qui étaient malades".

Julie s'indigne du nombre d'heures que doivent effectuer les poneys

Julie s'est approchée du manège, mais n'a pas interpellé l'exploitant. "C'était un manège basique, sans toit, décrit-elle. Des palettes étaient mises en rond. Il y avait des poneys qui tournaient en rond toute la journée. Le manège était installé pendant les trois jours consécutifs. Le vendredi, les poneys tournaient en rond plusieurs heures d'affilée. Le samedi, toute la journée".

"La plupart des horaires sont de 15h à 21h, environ, concède le forain, qui précise que les animaux ne travaillent que quelques jours par mois, et qu'ils sont en prairie le reste du temps. On fait de petites pauses, on passe avec un seau d'eau pour les abreuver. Cela donne l'impression que les poneys tournent en rond et qu'ils s'ennuient, mais en réalité, c'est un petit entrainement relax. Ils marchent à un pas calme et régulier. Même dans les grandes exploitations de chevaux de course, on les attache et on les fait tourner, pour les entraîner tous les jours: ils marchent alors à leur aise, comme à la foire!"

Les tenanciers de manèges à poneys doivent, aujourd'hui, respecter des normes strictes pour pouvoir exercer leur activité. Mais l'argument ne convainc pas les défenseurs de la cause animale. "Faire travailler des poneys toute une journée, ça reste trop car le nombre d'heures est considérable et puis c'est une forme d'avilissement, considère Jean-Marc Montegnies, directeur d'Animaux en péril. Le travail que ces poneys effectuent est contraignant dans le conditionnement: ils sont toujours au pas, pas de trot, ni de galop. Dans la nature, ils jouent, galopent, se roulent dans l'herbe".

  

Le forain: "Nous les sauvons de l'abattoir!"

John Gossing défend bec et ongles son métier. Selon lui, les tenanciers de manèges à poneys traitent leurs animaux de façon tout à fait correcte et, surtout, leur évite l'abattoir. "Mon grand-père faisait cette activité et ma mère aussi, entame-t-il. Quand j'étais petit, nous allions le matin très tôt place de la Duchesse, à Molenbeek, car à l'époque, il y avait un marché aux chevaux. Là, je les essayais en vitesse, je montais dessus pour voir leur caractère: ils devaient être en forme et gentils pour être aptes au manège. Nous discutions avec les marchands pour qu'ils acceptent de nous vendre ces poneys, destinés à la boucherie! Je revois ma mère se disputer pendant plus d'une heure avec un marchand pour éviter qu'un magnifique poney, gentil et en forme, ne parte à l'abattoir. Celui-là est resté dix ans chez nous par la suite!".

John décrit une profession méconnue, exercée par des personnes profondément attachées à leurs animaux. "L'année passée, j'ai dû faire euthanasier le premier poney que je n'ai jamais eu, se souvient-il. J'avais 18 ans quand je l'ai acheté. Quand le vétérinaire m'a dit qu'on ne pouvait plus le sauver, j'ai accepté à contrecœur de l'euthanasier. Je l'ai gardé jusqu'à ce qu'il ferme les yeux".

La musique bruyante des foires, la foule, etc. : "Cet univers ne leur correspond pas du tout"

Julie, elle, fait part de son inquiétude quant au manège observé à Forest. "Ce n'est pas leur place: les poneys doivent être dans une prairie ou un vrai manège mais pas là-dedans!", s'insurge-t-elle.

"On est dans le divertissement, le rendement, les poneys sont assimilés à des auto-scooters, renchérit le directeur d'Animaux en Péril. Là, ils sont conditionnés sur un cercle si petit, au pas, pendant des heures, dans un environnement éloigné de leurs besoins éthologiques, avec une musique bruyante pendant des heures. Cet univers ne leur correspond pas du tout".

Mais le forain relativise cette vision des choses: "Entre collègues, on s'arrange, rétorque John Gossing. On demande à l'un de ne pas mettre ses lumières ou stroboscopes en direction des poneys, à l'autre de baisser la musique".

"Si on enlève les manèges, une partie du folklore disparaît"

Malgré ces arguments, le directeur d'Animaux en péril estime que cette animation n'a plus vraiment la cote auprès du public. "De plus en plus de gens contestent cette activité, constate Jean-Marc Montegnies. C'est une activité anti pédagogique: l'immense majorité des enfants sont attirés vers les animaux, mais les parents devraient prendre conscience qu'un tour de manège ça dure 3 ou 4 min, et que cela coûte 3€, estime le directeur. Or, pour 12€, vous avez une heure d'équitation, dans un manège correct, un centre équestre du type poney club où l'enfant va apprendre à brosser le cheval, lui curer les pieds, donc il y aura vraiment une approche didactique envers l'animal".

Le forain, lui, est convaincu que les manèges à poneys sont une des rares opportunités pour les enfants plus défavorisés de s'amuser. "Pour les enfants des villes qui n'ont pas les moyens d'aller dans un manège, c'est peut-être la seule chance qu'ils ont d'être en contact avec un tel animal, relève-t-il. Si on enlève tout ça, c'est une partie du folklore qui disparait".

  

Un enfant trisomique adorait monter les poneys de John: "Il y a des enfants que cela rend heureux"

"J'ai tenu des manèges à poneys pendant 20 ans, je suis né dedans, rappelle John Gossing. Chez ma mère, sur les 14 enfants, sept ou huit ont fait ce métier dans les foires: nous connaissons les chevaux par cœur! Même si j'ai cessé l'activité, j'ai encore deux chevaux chez moi, en prairie. Je ne peux pas m'en passer, c'est une passion pour nous". Pour John, les détracteurs des manèges sont souvent des personnes qui ne connaissent pas les poneys et leur façon de fonctionner. "Les gens parlent de scandale, mais ils doivent voir ce qu'il y a derrière! Ils doivent connaître l'animal avant de juger. Vous savez, une dame est venue pendant des années à Uccle et à Drogenbos dans mon manège à poneys avec un enfant trisomique. Ce petit garçon handicapé était un client fidèle. Je l'ai vu grandir. Chaque année, pendant 12 ans, il venait et montait les poneys. Ça lui faisait du bien! Puis, il a grandi et est devenu trop grand, alors j'ai accepté qu'il monte sur mon cheval de tête. Cet enfant était heureux: il y a encore des jeunes qui sont heureux d'être en contact avec des animaux".

John a donné ses anciens poneys à une association qui travaille avec de jeunes autistes

John Gossing a récemment cessé son activité avec les poneys pour se lancer dans le commerce de la nourriture. "J'avais quinze poneys, comptabilise-t-il. J'en ai vendus trois à des particuliers, qui les utilisent comme chevaux d'accompagnement (pour tenir compagnie, en prairie, à un cheval afin que celui-ci ne se sente pas seul, ndlr). Les douze autres, je les ai donnés gratuitement à une association qui travaille avec des enfants handicapés ou autistes. Comme mes poneys avaient un certain âge, je n'aurais pas pu les vendre très bien, donc c'était la meilleure des solutions: je les donnais gratuitement à condition qu'ils restent en groupe. Aujourd'hui, ils sont utilisés deux fois par semaine pour les enfants handicapés".

  

A Bruxelles, quelles communes pratiquent encore l'activité de poneys de foire?

La législation concernant le bien-être animal est régionalisée. Depuis juillet 2014, il y a donc trois ministres du Bien-être animal pour la Belgique. Côté francophone, il doit, selon les derniers chiffres, rester une dizaine de manèges à poneys. A Bruxelles, la situation varie en fonction des communes. Selon Bianca Debaets, secrétaire d'Etat pour le Bien-être animal de la Région de Bruxelles-Capitale, "les poneys de foire seraient exploités dans 8 communes bruxelloises lors de fêtes foraines: Bruxelles-Ville et Laeken, Schaerbeek, Forest, Uccle, Auderghem, Jette, Woluwe-Saint-Pierre et Etterbeek", avait-elle répondu lors d'une question parlementaire posée en juin dernier. La secrétaire d'Etat se positionnerait en faveur d'une "harmonisation bruxelloise avec un scénario de disparition progressive en concertation avec les différents bourgmestres", indique son porte-parole Pierre Migisha. Bianca Debaets souhaiterait que les deux autres régions aillent dans ce sens.

Julie dit avoir écrit au service Bien-être des animaux de la Région bruxelloise. "Qu'on interdise ce genre de manèges à Bruxelles et même partout en Belgique!, lance la jeune femme. Il y a des communes qui ont déjà pris cette décision, c'est possible de le faire visiblement". La Bruxelloise a laissé un message pour partager son indignation sur la page Facebook de la commune de Forest. "Ça se passe très exceptionnellement à l'occasion des fêtes médiévales, reconnaît Marc-Jean Ghyssels, bourgmestre de Forest, qui serait plutôt favorable à l'abandon de cette activité. Des contacts sont en cours, nous n'avons pas encore pris de décision, précise-t-il. Mais nous ne sommes pas très friands de ce genre d'activités: des poneys qui tournent en rond de cette façon, ce n'est pas extraordinaire pour le bien-être animal. Nous allons voir si nous pouvons prendre une telle décision, si la loi nous le permet et si on peut le faire dans l'état actuel du marché".

  

Waterloo a interdit la pratique: "Nous privilégions les promenades respectueuses du bien-être de l'animal"

En Flandre, Anvers et Gand interdisent la pratique. Et en Wallonie, où en est-on? Les carrousels sont toujours exploités par certaines communes, mais le ministre Carlo Di Antonio, en charge de l’Environnement et du Bien-être animal en Wallonie, pense que petit à petit, avec les mesures croissantes, l'activité va être abandonnée.

A Waterloo, par exemple, c'est terminé: "Nous y avons totalement mis fin depuis plus d'un an, confirme Florence Reuter, bourgmestre de la commune. Nous organisons encore des promenades lors des évènements tels que le 21 juillet, mais ce sont des balades qui se déroulent dans le parc et qui sont respectueuses du bien-être animal".

 

Le forain veut rassurer Julie: "Nos traitons très bien nos animaux"

Selon le forain, certaines personnes peuvent avoir l'impression que les animaux sont malheureux parce qu'ils ont "la tête baissée". Mais encore une fois, le professionnel se défend: "Si vous lâchez un cheval dans une prairie, il va gambader, faire le tour avec la tête en l'air, mais assez rapidement, il va avoir la tête vers le bas, c'est une position naturelle. Cela ne veut pas dire qu'il est fatigué. C'est juste sa position".

"Lorsqu'un animal est maltraité, il est impossible de travailler avec lui: il obéit, mais pas de la bonne manière, affirme le professionnel, qui insiste pour transmettre un message: ses poneys étaient chouchoutés.Quand la journée au manège en foire est terminée, pour nous, elle continue. On les met en prairie, on les nourrit, on les nettoie, on prend soin d'eux, on récure, on vide le fumier, ce sont de longues journées pour nous aussi".

De son côté, Julie compte écrire au bourgmestre de sa commune, Forest, pour l'encourager à interdire totalement la pratique sur son territoire.

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