Accueil Actu

La mort dans l'âme, Marie doit se séparer des animaux de sa ferme à Namur: elle se dit victime d'un escroc

Les avocats d'au moins trois personnes souhaitent entreprendre une action en justice contre Tony Lo Bianco, le gérant d'un possible futur parc pour animaux exotiques d'Ans. L'homme est soupçonné d'avoir perçu des sommes importantes pour la construction de son projet, mais de n'avoir jamais remboursé ses créanciers. Parmi les victimes présumées, Marie, la propriétaire d'une ferme près de Namur. Elle est aujourd'hui obligée de se séparer de ses animaux, à contrecœur. L'homme accusé se défend.

Marie dit avoir tout perdu. Cette habitante de Maillen en province de Namur est la propriétaire de "La Mini Ferme de Marie", une ferme-refuge pour animaux. L'endroit bucolique est le lieu de résidence de dizaines de chevaux, chèvres, poules, lapins, chiens, etc. Mais depuis plusieurs semaines, la ferme se vide peu à peu de ses résidents à poils. C'est une connaissance de Marie qui a attiré notre attention via le bouton orange Alertez-nous. Elle explique à propos de Marie, la propriétaire des lieux: "Avec son grand cœur, elle a voulu aider un escroc financièrement pour ouvrir son refuge pour NAC (Nouveaux Animaux de Compagnie, qui comprend des serpents, araignées, par exemple). A cause du non-remboursement de celui-ci, elle perd tout."

Le refuge se transforme en ferme pédagogique 

Tout commence dix ans en arrière. Marie a 27 ans à l'époque. Cette amoureuse invétérée des animaux souhaite ouvrir un endroit qui recueillera les animaux en difficulté. "Les animaux m'ont sauvé la vie. Si je suis en vie aujourd'hui, c'est grâce à eux", explique Marie faisant référence à une période compliquée de son existence. Ce refuge, elle l'appelle "la Mini ferme de Marie". Après 8 ans, cette maman de trois enfants aujourd'hui réoriente son refuge. Il y a deux ans, elle le transforme en une ferme pédagogique. Les animaux présents sur les lieux vont prendre une allure didactique et permettre aux écoles et/ou aux enfants d'en savoir plus sur le monde de la ferme mais aussi sur "la permaculture et l'autonomie alimentaire". Un enchantement.

Photos de la ferme de Marie


A la recherche d'investisseurs

Il y a un an, le destin de cette ferme bascule. Marie fait la rencontre en septembre 2019 du nouveau compagnon d'une amie, Tony Lo Bianco. L'homme, connu dans la région liégeoise, détient un nombre important de NAC (serpents, mygales, varans, etc) et distille de nombreuses formations, notamment aux pompiers de Liège, à travers son ACBL Crusoé. Il lui présente son projet d'envergure: ouvrir un parc animalier spécialisé dans les NAC en région liégeoise, à Ans. L'endroit accueillerait le grand public et serait même doté d'un restaurant. Seul problème, il manque de ressources financières pour poursuivre les travaux et les aménagements adéquats qui ont déjà débuté.

Accord conclu

Marie raconte: "Il m'a parlé de son projet mais surtout du sauvetage des animaux et du côté pédagogique. Il disait vouloir ouvrir ce parc pour les écoles, pour les enfants. Il voulait qu'on apprenne mieux sur ces animaux-là. Je lui ai dit que l'aspect pédagogique m'intéressait. (…) J'ai demandé un plan financier, toutes les autorisations, etc. Pour moi, tout me paraissait correct. J'ai dit ok, pas de souci." L'ouverture du futur parc pour animaux exotiques est fixée pour avril 2020.

Selon les dires de Marie, les mois suivants elle va faire "la banque pour Tony Lo Bianco". Elle détaille : "Je ne donnais jamais d'argent en liquide. Je payais juste des factures. J'en demandais une liste, je les encodais, et ma banque faisait les virements." Au total, Marie dit avoir dépensé environ 65.000 euros. "Je payais les factures de vétérinaires, d'électricité, de fournitures, de matériel pour le chantier, etc."


Photos de la ferme de Marie

La visite qui va tout chambouler

D'octobre 2019 à janvier 2020, Marie se rend une fois par semaine à Ans pour voir l'avancée des travaux. Mais à partir de février 2020, les travaux vont connaître un coup d'arrêt. "Une fois c'était la faute de la commune, une fois c'était la faute des pompiers qui ne venaient pas, etc. Il trouvait toujours des excuses." Marie se rend à la commune d'Ans pour en savoir plus sur ce qui bloque l'avancée du projet. Elle tombe des nues. "Quand j'ai été au bureau de l'urbanisme d'Ans, on m'a ri au nez en me disant que Tony Lo Bianco était en total illégalité, qu'il n'avait pas de permis d'environnement, et qu'il n'y avait pas eu de demande de permis d'urbanisme." L'homme a débuté les travaux sans autorisation et n'aurait pas les habilitations nécessaires pour la détention de ses animaux. Un coup de massue pour Marie.

La maman de trois enfants demande des explications mais Tony Lo Bianco lui aurait dit que le sort s'acharnait sur sa personne et que certains voulaient tout simplement sa peau. En effet, au même moment, une pétition circule sur Ans. Elle est à l'initiative de riverains inquiets de voir un tel parc animalier débarquer au cœur de leur commune. La presse en fait écho.

 Je me suis fait berner et je ne suis pas la seule

Après sa visite à l'administration communale, la confiance se brise entre Marie et Tony Lo Bianco. Elle lui réclame le remboursement des sommes investies de sa poche, mais en vain. "Il ne répond plus à mes appels, il ne répond à mes messages sur Facebook.Quand je me rends sur place et que je sonne à la porte personne ne décroche." Marie ne décolère pas: "Il a usé de faux et usage de faux. Il m'a montré des autorisations communales, des permis de détention d'animaux, etc.  En réalité, c'étaient des documents qui datent d'il y a plus de 10 ans sur lesquels il a changé le dates et noms. (…) Je me suis fait berner et je ne suis pas la seule. Je me suis rendu compte que des anciens associés se sont fait escroquer pour plus de 80.000 euros."

Un nouveau témoignage

Après quelques recherches, notre rédaction a récolté également le témoignage de Désiré et Noëlle un couple originaire de Crisnée en région liégeoise. Le couple a rencontré Tony Lo Bianco avant Marie et dit s'être fait escroquer pour 80.000 euros. Désiré est le propriétaire d'un restaurant à Chênée. Il détaille: "Je l'ai connu Tony Lo Bianco dans mon établissement. Il cherchait un investisseur. Et moi, je cherchais à investir. Son projet était pas mal. Il nous a franchement mis en confiance", raconte-t-il. "Mon épouse est très sensible à la cause animale. J'ai investi, investi, investi…et à l'arrivée, ça n'aboutissait à rien. Je me suis renseigné sur la personne et je me suis rendu compte que tout ce qu'il me disait était faux." Quand Désiré a confronté Tony et lui a demandé de rembourser les sommes investies, l'homme l'aurait informé qu'il ne pouvait pas car il n'avait pas d'argent.

A la même période, Tony fait la rencontre de Marie et "rebondit". De leur côté, Désiré et son épouse Noëlle ont fait appel à un bureau d'avocat d'Ans qui étudie pour le moment quelle suite judiciaire donnée au dossier.

De l'argent providentiel

Restaurateur, ses 80.000 euros Désiré en aurait bien eu besoin durant la période Covid, dit-il. Aujourd’hui encore, un an après les faits, Désiré paie les pots cassés: "J'ai failli me séparer de ma femme, j'avais de problèmes de santé avant, ça ne s'est pas arrangé. 80.000 euros, tout le monde n'a pas ça sous l'oreiller." Pour Marie aussi ses 65.000 euros auraient été une aubaine durant la période Covid. Les écoles ont déserté sa ferme pédagogique et les rassemblements étaient interdits durant de longues semaines ce qui a eu un impact dévastateur pour les finances de sa ferme. Résultat, les caisses de la "Mini ferme de Marie" seraient vides. Elle est obligée de se séparer de nombreux animaux depuis plusieurs semaines.

Photos des animaux de la ferme de Marie

Elle multiplie depuis mars, les appels sur Facebook aux dons alimentaires pour ses animaux. Elle s'est également séparée d'une grande partie des résidents à poils depuis mars. "Des chevaux sont partis. On en avait 28, il nous en reste 17. Certains vont encore partir. J'ai des chèvres qu'on place, des moutons qu'on vend. Je dois m'en séparer car nous ne savons juste pas comment subvenir à leur besoin." Des séparations vécues comme "un déchirement": "J'ai pleuré pendant un bon mois", confesse-t-elle.

C'est impardonnable et inhumain de toucher aux bonheurs de mes animaux

L'impact financier s'est également répercuté sur la famille de Marie: "Je n'ai plus un balle sur mon compte, on est en négatif. J'ai des dettes chez le vétérinaire, on a vendu la deuxième voiture. J'ai trois enfants à nourrir donc j'ai recommencé à travailler pour avoir un salaire normal." Marie travaille partiellement en tant qu'aide-ménagère depuis septembre. "D'un point de vue financier, nous sommes complètement morts. Rien que pour les soins des animaux, l'alimentation et la famille, on a besoin d'une rentrée de 3.000 euros par mois minimum. Je gagne 1070 euros par mois. On ne sait rien faire. S'il avait pu me rembourser, je n'aurai pas été impacté par le coronavirus. J'aurais pu tenir avec cet argent là encore au moins un an. J'ai investi tout mon héritage là-dedans. Je suis fâchée sur moi de ne pas avoir mieux jugé la situation. Fâchée sur lui. C'est impardonnable et inhumain de toucher aux bonheurs de mes animaux, de mes enfants et de notre vie de couple."


Marie a fait également appel à un avocat. Maître Arnaud Soors du cabinet 'Centrius" à Manage nous en dit plus: "Les éléments en notre possession montre qu'il s'est passé quelque chose qui à mon sens est illicite. Concrètement, c'est de l'abus de confiance. Elle a versé des sommes pensant qu'il allait en faire un usage utile. Visiblement, ce n'est pas ce qui a été fait. Ce serait là que se situe l'abus de confiance. Il faut maintenant le prouver." Le cabinet d'Arnaud Soors a pris contact avec l'avocat de Désiré et son épouse pour tenter une action judiciaire commune. 

La parole est à la défense

Contacté par nos soins, Tony Lo Bianco réagit aux accusations portées par Marie, Désiré et sa compagne. Il nie en bloc et évoque des donations à l'ASBL Crusoé dont il est à la tête. Selon lui, à aucun moment il n'a été fait état de prêts ou d'investissements: "Ce sont des personnes qui ont fait des dons à l'association. Ensuite, ils veulent venir les reprendre parce qu'ils ont abandonné le projet", explique-t-il.

A propos de Marie, il évoque des aspects personnels: "C'est une amie de mon ex-compagne. Forcement quand cela a foiré avec mon ex-compagne, vous connaissez les histoires de couple!" Tony Lo Bianco reconnait le règlement de plusieurs factures de la part de Maire mais explique qu'il s'agit d'une initiative venant d'elle, pour venir en aide à l'association. "Aucun document ne prouve que l'asbl doit rembourser quoi que ce soit", dit Tony Lo Bianco. Marie de son côté dit être en possession d'une reconnaissance de dettes qu'elle a transmis à son avocat. 

Pour les faits rapportés par Désiré et sa compagne, il donne une toute autre version: "Ce sont des personnes qui sont venues en me disant, on va ouvrir un restaurant dans le parc animalier. Ce n'était pas du tout mon but. Comme j'avais de la place, j'ai dit ok on va faire un restaurant en plus. L'idée est bonne. Cela permettait de faire des rentrées en plus et d'avoir plus de fonds pour aider l'association. Malheureusement, ils sont restés trois ou quatre mois dans le projet et ils sont partis. Je n'ai pas bien compris la manœuvre."

Tony Lo Bianco dit s'être entouré de deux avocats, sans donner plus détails sur leurs identités. "C'est désormais entre leurs mains."

Les soucis s'accumulent

A l'heure d'écrire ces lignes, le projet de parc animalier à Ans est toujours à l'arrêt. Les travaux ont été suspendus le temps que Tony Lo Bianco règle une infraction dont il s'est rendu coupable. Il doit s'acquitter d'une amende auprès de la commune d'Ans pour avoir enfreint les règles urbanistiques en commençant les travaux sans en avoir l'autorisation. Grégory Philippin est le bourgmestre d'Ans: "L'infraction concernait le début des travaux. Le permis avait été introduit mais n'avait pas encore été octroyé. On a fait arrêter les travaux comme toujours en de telles circonstances. La procédure administrative a été suspendue le temps que le versement de la transaction financière pour la régularisation soit payée. La commune veillera à ce que cette transaction soit effectuée."  

Information judiciaire ouverte à l'encontre de Tony Lo Bianco

En juin dernier, une ancienne bénévole qui a travaillé pour Tony Lo Bianco a porté plainte contre lui. Elle l'accuse de sous-nourrir ses animaux et de les détenir dans des conditions inadaptées, apprenait-t-on dans les journaux du groupe Sudpresse. Le Parquet de Liège a pris au sérieux la plainte et a décidé d'ouvrir une information judiciaire cet été. Catherine Collignon, premier substitut du procureur du Roi, nous informe: "Le dossier s'est ouvert en juin 2020 sur base d’une dénonciation. Deux motifs ont été retenus dans ce dossier : le bien-être animal et une infraction liée au permis d'environnement". Et de préciser: "Pour détenir ce genre d'animaux, il faut des permis. Visiblement, il n'avait pas tous les permis nécessaires. Il détiendrait des NAC sans autorisation et dans de mauvaises conditions." Le dossier est toujours en information, précise encore le Parquet.

Mis au parfum de cette procédure judiciaire en cours, maître Arnaud Soors, l'avocat de Marie, compte s'y "greffer et appuyer l'information judiciaire en cours afin d'y ajouter de nouvelles préventions" à l'encontre de Tony Lo Bianco. "Ça concerne les mêmes faits. Il y a une unité d'intention de manière générale", explique-t-il.

Pour rappel, Tony Lo Bianco bénéficie toujours de la présomption d'innocence à ce stade. A l'issue de l'information judiciaire en cours, le procureur du Roi décidera de la tenue d'un procès ou du classement sans suite de l'affaire.

À lire aussi

Sélectionné pour vous