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Pina et de nombreux enseignants n'ont pas touché de salaire pendant trois mois: "Au final, j'ai dû demander une aide au CPAS"

La réforme des titres et fonctions dans l'enseignement pose encore des problèmes. Selon plusieurs témoignages qui nous sont parvenus, cette année scolaire, des enseignants n'ont pas été payés de septembre à fin novembre. Une situation qui génère de sérieux soucis sur le plan personnel. L'administration pour sa part insiste sur le fait que seule une minorité a vécu ce genre de désagrément.

Trois mois sans salaire ! C’est ce qu’ont vécu des dizaines d’enseignants en ce début d’année, avant d’être, pour la plupart, régularisés fin novembre. Comment en est-on arrivé là ? Comment ces personnes ont-elles fait pour s’en sortir sans rentrées d’argent, alors que certaines dépenses n’attendent pas ? D’un témoin à un autre, les cas sont semblables et si différents à la fois, tant la situation familiale peut varier la donne. Mais une chose est certaine : à travers ces multiples témoignages, on réalise à quel point être payé avec des semaines de retard est source d’ennuis, d’angoisse et de stress.

"Je vis seule avec mon petit garçon. Je n'ai pas été payée depuis le début de l'année scolaire et au final, j'ai dû demander une aide au CPAS qui m'a versé un revenu d'intégration, soit à peu près 1.100 euros", nous a confié Pina via le bouton orange Alertez-nous à la mi-novembre.

Cette jeune femme enseigne à temps plein à l'Institut provincial Léon Hurez de La Louvière, depuis 4 ans. Selon les explications qui lui ont été données au secrétariat de l'établissement, c'est à cause de la réforme des titres et services dans l'enseignement qu'elle a été contrainte d'attendre de longues semaines sans toucher le moindre traitement. "Je ne suis pas nommée. Donc, en septembre, l'administration générale attend d'avoir les attributions définitives pour savoir ce qu'ils doivent nous verser. L'école m'assure que c'est fait depuis plusieurs semaines. Pourtant, on n'a pas encore été payés depuis le début de l'année scolaire. Cela met un temps fou, à tel point qu’on est dans une situation intenable", a ajouté cette maman de 34 ans.


Pour la ministre, il y a "beaucoup moins de problèmes que l'année passée"

Désormais, les problèmes sont réglés pour Pina qui a été régularisée fin novembre. Il n'empêche, au sein du corps enseignant, les craintes se font de plus en plus ressentir, comme on pourra le constater avec les témoignages ci-dessous. Mais d'abord, direction le cabinet de la ministre de l'enseignement en fédération Wallonie-Bruxelles, pour savoir ce qui cloche avec le paiement des enseignants.

Autant vous prévenir: les explications risquent de ne pas convaincre tout le monde, surtout les enseignants dont le compte en banque n'a pas été réapprovisionné pendant trois mois. Via son porte-parole Eric Etienne, Marie-Martin Schyns a ainsi fait savoir qu'il y avait "beaucoup moins de problèmes que l'année passée. Et, surtout, qu'un nouveau système était en cours de développement et que ce dernier simplifiait considérablement les choses, ce qui devrait être bénéfique pour tous les enseignants car cela devrait accélérer le calcul et le versement des salaires".

Moins de problèmes, une meilleure gestion des dossiers: le cas de Pina serait-il un cas isolé ? A en croire les témoignages qui nous sont parvenus, non. Rien que dans l'école où elle enseigne, il y a plusieurs autres soucis. "Entre collègues non-nommés, tout le monde se plaint. Même notre directeur nous soutient, il se sent concerné mais impuissant, il est peiné de nous voir dans une telle situation. Il tente de trouver des solutions à son niveau, et on sait bien qu'il n'est évidemment pas responsable", précise Pina.


"Je m'étais renseigné pour un prêt"

Pour confirmer ces propos, une autre enseignante, qui souhaite garder l'anonymat, confie avoir été payée pour la première fois de l'année scolaire fin novembre. "Heureusement, mon compagnon travaille. Mais ça n'empêche que cela n'a pas été facile, à la fin c'était même très tendu. Vous savez, les dépenses n'attendent pas. Il faut payer le remboursement de la maison, il faut payer le gaz et l'électricité, les frais de rentrée scolaire pour les enfants, les déplacements et la nourriture. Il ne faudrait pas que ce soit pareil chaque année".

Jacques (prénom d'emprunt), enseigne, lui, depuis trois ans. S'il a également touché son salaire plus tous les arriérés ce 30 novembre, il regrette "avoir dû vider un compte où il avait placé des titres. Cela représente une perte au niveau des intérêts, parce qu'en retirant ce qu'il y avait sur le compte, je les ai tous perdus", dénonce-t-il. Au fur et à mesure que la situation perdurait, ce jeune homme a d'ailleurs cherché à trouver une autre solution. "J'ai la chance que ma compagne travaille, mais on était déjà en train de chercher un autre moyen de combler le vide. Je m'étais renseigné pour un prêt personnel, et j'avais aussi un peu sondé mes proches pour savoir à qui je pouvais emprunter un peu d'argent".

Tous ces témoignages ne sont pas les seuls qui nous sont parvenus. Et si, on le répète, la plupart des cas semblent avoir été régularisés fin novembre, cela n'enlève rien à leur colère et inquiétude.

Cora, elle, vit la chose différemment. Ce n'est pas l'entièreté de son traitement qui pose problème, mais une petite partie. Par contre, pour elle, le problème n'est pas résolu. Et cela fait maintenant 15 mois que cela s'éternise. Cette dame, ancienne traductrice, donne des cours d'anglais dans le secondaire supérieur, en 4e, 5e et 6e année. Or, elle est nommée uniquement dans l'inférieur, pour les 1e, 2e et 3e année. Le fait d'enseigner à des élèves de la tranche supérieure lui donne normalement droit à une plus-value de 250€ à 300€ par mois. Mais elle n'en a pas encore vu la couleur. "Ce qui choque et qui fait le plus peur, c'est que quand on téléphone, on se rend compte que notre interlocuteur ne connaît rien et ne comprend rien à notre situation. C'est le flou le plus total. On voit bien qu'ils ne savent pas ce qu'ils doivent faire", dénonce cette mère de famille qui enseigne au Nursing de La Louvière. "En ce qui me concerne, j'ai droit à des allocations du supérieur. Depuis septembre 2016, elles ne m'ont pas encore été payées, or cela représente désormais une somme de 4.000 à 5.000 euros. Ce problème persiste depuis 15 mois, et pourtant, quand j'appelle, on me dit que je ne fais pas partie des priorités. C'est affligeant".


Un problème ? Quel problème ?

Si la communication fournie du côté du cabinet de la ministre, jugée peu convaincante par nos témoins, ne tend pas à les rassurer, peut-être que les explications de l'administration générale de l'Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles exposeront plus clairement les soucis rencontrés ? Malheureusement, il semble bien que non, car pour cette administration, il n'y a visiblement pas de réel retard... à l'une ou l'autre exception près. "Nous n’avons pas connaissance d’un problème général relevé par les Pouvoirs organisateurs provinciaux relatif à des problèmes de paiement d'enseignants qui seraient survenus au début de cette année scolaire", nous a-t-on indiqué. "Bien sûr, il peut y avoir des cas particuliers qui peuvent consister en des retards administratifs émanant de l’Administration, de certains PO (pouvoirs organisateurs), voire d’enseignants eux-mêmes", conclut-elle.

Magalie, institutrice maternelle à Malmédy, ne comprend pas une telle "politique de l'autruche". "J'enseigne dans une toute petite école, et pourtant on est plusieurs collègues à avoir eu le problème", explique cette mère de 4 enfants qui a aussi été payée fin novembre pour la première fois de l'année scolaire. "Il ne faudrait pas que ça arrive chaque année parce que là j'ai pu tenir, mais je ne suis pas sûre d'en être capable la prochaine fois. Avec 4 enfants à la maison, ce n'est pas évident. Et quand je lis dans la presse qu'avec le pacte d'excellence ils comptent engager 1.000 institutrices durant l'année scolaire, j'avoue que ça me fait peur".

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