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Martin indigné par la manière dont la police aurait reçu son amie après un viol: nos agents sont-ils préparés à accueillir les victimes?

En Belgique, on estime que seuls 10% des viols commis sont déclarés à la police. Peur des représailles, sentiment de honte, de culpabilité... Bien des raisons paralysent les victimes et les empêchent de pousser la porte d'un commissariat. Martin (faux prénom) a réussi à convaincre son amie, victime d'un viol. Mais aujourd'hui, il se dit indigné de la réaction des policiers.

Martin (prénom d'emprunt afin de garantir l'anonymat de son amie) a récemment reçu le témoignage d’une de ses amies qui lui confiait avoir été violée. Celle-ci n'avait osé en parler à personne. Ni à ses proches, ni à la police. Une fois au courant, le confident lui a directement conseillé de porter plainte et de se faire soutenir psychologiquement. "Il lui a fallu un certain temps, mais elle a finalement été voir la police", raconte Martin qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous, choqué par le récit de la suite des événements.  


Pas d'aveu, pas de preuve: le suspect reste en liberté

"La police a pris note, fait venir le bourreau et classé l’affaire. L’homme n'a pas avoué, donc pas de preuve... Logique imparable", raconte-t-il. "Nous ne pouvons rien faire pour l'instant", aurait conclu la police.

"Autrement dit, il peut recommencer ?", aurait rétorqué la psychologue de la victime qui l'accompagnait. "Malheureusement, oui", aurait soupiré le policier ajoutant qu'"à partir du moment où l'homme nie et qu'il n'y a aucune preuve, c'est compliqué." 

Martin est révolté: "Suffit-il de ne pas avouer pour être innocent ? On voit régulièrement des campagnes de sensibilisations contre les violences faites aux femmes, mais en fait, derrière, la justice ne suit pas, la police s'en fout."

Le code pénal est clair, le viol est un crime: "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas, constitue le crime de viol", dit le texte. Mais les auteurs de violences sexuelles graves ne seraient que très rarement confrontés à la justice et pour ainsi dire jamais condamnés, faute de preuves. Du coup, le sentiment d'impunité augmente, ce qui n'aide pas les victimes à se manifester.

 
"La grande majorité des victimes ne porte pas plaine"

En Belgique, la police a enregistré plus de 3.000 faits de viol en 2016. C’est beaucoup, mais ce ne serait que la partie émergée de l’iceberg.

Selon un membre de l’ASBL SOS Viol, qui assure un accueil et un suivi à toute personne concernée par la problématique des agressions sexuelles, 8 viols par jour sont déclarés en Belgique. "Mais la majorité ne porte pas plainte", affirme le psychologue. Une femme sur trois n’aurait entrepris aucune démarche suite à des violences subies.

Autre problème, certaines victimes ne considéreraient pas comme "grave" ce qui leur est arrivé. Un quart des femmes en moyenne qui sont et/ou ont été exposées à des violences sexuelles graves banaliseraientces violences. Pour elles, la ou les agressions qu’elles subissent et/ou ont subies est/sont de leur point de vue "compréhensibles" ou "acceptables".

Le psychologue de SOS viol se désole d’une telle situation. "Certains aspects de nos mentalités liées à des aspects culturels de notre société évoluent peu". Parfois aussi, la réaction de l’entourage joue un rôle: "Les proches peuvent ne pas comprendre ou ne pas réagir comme il le faudrait face à la victime."


Les policiers sont-ils formés à l'accueil des victimes?

Ce n'est pas tant la froideur implacable de la justice qui réclame des preuves que le manque apparent de compassion du policier qui a agité Martin. "Je souhaiterais faire part de mon indignation pour ces policiers qui n'ont à aucun moment tenté de rassurer ou d'aider la victime", s’insurge-t-il.

Que l'on soit ami ou psychologue, savoir parfaitement comment réagir face à une personne ayant vécu un tel traumatisme n’est pas une chose aisée. Du côté de la police, la problématique est bien connue.

"Les policiers en apprentissage suivent tous une formation de gestion de l’accueil des victimes d’agressions sexuelles", nous apprend un responsable de l'ERIP, l'Ecole Régionale et Intercommunale de Police de la Région de Bruxelles-Capitale. "C’est une matière assez sensible, on ne pourrait pas se permettre de passer à travers !"


"La tenue des formations dépend des priorités de chaque zone de police"

D’autres formations peuvent être données durant la carrière des policiers. Celles-ci se font à la demande des zones de police. "Ces demandes vont tous azimuts", indique le policier en fonction dans l'école de police de Bruxelles. Lorsqu’une zone de police souhaite former ses agents à un meilleur accueil des victimes de viol, l’ASBL SOS viol peut se charger de lui offrir son expertise en la matière. "On continue à donner ces formations, la tenue de celles-ci dépend des priorités de chaque zone".

"Contrairement à un psychologue qui n’a pas besoin de tout savoir, la police mène une enquête"

L’ASBL SOS viol est totalement indépendante de la police mais elle tient à souligner que la tâche d’un policier est loin d’être aisée. "Accueillir une personne violée, même quand on est formé, ce n’est pas facile. Contrairement à un psychologue qui n’a pas besoin de tout savoir, les policiers mènent une enquête et doivent poser des questions à une personne qui n’est parfois pas prête, c'est une mission très complexe", explique le psychologue.


"Un policier peut commettre beaucoup d’impairs, de maladresses"

"Les victimes sont souvent reçues dans un grand moment de vulnérabilité de leur vie, une parole mal placée peut être mal prise. Le policier aussi, peut être bouleversé par le témoignage qu’il entend. Il peut commettre beaucoup d’impairs, de maladresses, ne pas penser à toutes les conséquences de ce qu’il peut dire."

"Il faut être toujours à l’écoute de ce que la personne dit, être prudent quand on décide de poser une question, choisir ses mots. Il faut faire attention à tous les détails de ce que la personne amène", conseille le psychologue.


"Une souffrance énorme chez les victimes"

Après un viol, les victimes sont en état de stress traumatique qui peut prendre beaucoup de formes. "Hyper vigilance, anxiété, cauchemar, insomnies, impulsivité, irritabilité, conduite autodestructrices menant à la mutilation, des problèmes d’alcool, des troubles alimentaires… Ce stress active une souffrance énorme chez les personnes victimes de viol et d’agression sexuelle."

"Chacun réagit avec ses solutions à lui, ses défenses. Les personnes ont un sentiment d’intrusion d’insécurité, de honte, de culpabilité, qui les empêche une fois de plus de porter plainte."

 "Une agression sexuelle touche à l’intimité des femmes mais aussi des hommes qui en sont victimes. Le viol se vit différemment d’une personne à l’autre", explique SOS viol. 

 
Exposées au monde et sous le regard des autres

"Porter plainte, c’est comme exposer publiquement quelque chose qui est de l’ordre de l’intimité. Les victimes ont le sentiment de ne plus avoir de zone intime. Elles n’ont plus de bulle à elles-seules, se sentent exposées au monde et au regard des autres. Certains peuvent porter plainte 2 jours, 20 ans, 50 ans après, voire jamais." 

Deux femmes sur six victimes de violences sexuelles graves n'auraient jamais entrepris la moindre démarche, même celle de se confier à quelqu’un.


"Une des thématiques les plus sensibles de notre profession"

Le syndicat de la police belge Sypol l’assure, les policiers se rendent bien compte que lorsqu’une victime pousse la porte d’un commissariat, elle fait un pas énorme. "C’est une des thématiques les plus sensibles de notre profession", explique un haut-gradé membre du syndicat qui préfère garder l’anonymat.

"Le policier a une sensibilité mais doit malgré tout rester dans une logique de gestion du dossier judiciaire. L’émotion ne doit pas prendre le dessus. Le policier est là avant tout pour constater, rapporter."

"Dommages collatéral" de la menace terroriste

Pour le policier, les événements actuels ne poussent pas à une évolution en faveur des victimes de viol. "Il y a quelques années, le policier était formé pour être dans le social, au service de la personne, c’était la priorité. Depuis deux ans, dans un contexte de menace terroriste, les formations des académies sont dirigées sur le fait qu’il faut être au taquet, vigilant, aux aguets du moindre danger", rapporte le policier.

"On demande aux policiers d’être beaucoup plus durs et on a retiré des moyens partout pour les injecter dans la cellule anti-terrorisme", explique-t-il. "Cela fait 35 ans que je suis sur le terrain, j’ai vécu les années noires de 80, les tueries du Brabant, mais je n’ai jamais rien vu de tel. La situation est beaucoup plus compliquée aujourd’hui et je pense qu’il y aura encore des dommages collatéraux à ces changements."


"Certains policiers passent complètement à côté de ce qu’ils devraient faire"

"Certains policiers passent complètement à côté de ce qu’ils devraient faire. On leur demande beaucoup trop. Ils doivent être dans le contrôle et en même temps se mettre directement dans la peau de la victime, être à l’écoute de la personne, tout en souriant."

"Derrière l’uniforme d’un policier, il y a un humain. Quand on est stressé, on fait la moitié de ce qu’on pourrait faire", constate le policier. "On est en train de faire d’eux des robots, ils n’ont plus le temps de réfléchir." Le membre du syndicat de la police belge compare la situation à une scène bien connue du film "Les Temps Modernes" de Charlie Chaplin. "On serre les boulons pour accélérer la cadence, on augmente le rythme, encore et encore". 

Faute avouée, à moitié pardonnée ?

"Certains policiers n’y parviennent pas, on est fatigués, notre personnel souffre", constate le policier.  Mais pour lui, cela n’excuse pas tout. "De notre côté, on ne peut pas accepter que parmi nos pairs, quelqu’un soit désobligeant. J’ai vu des gens de nature posée et dotés d'un grand self contrôle, qui pour un détail, comme un document manquant, ont commencé à s’exciter sur une personne venue porter plaine, alors que ce n’est pas dans leur nature", a remarqué le policier. "Je constate de plus en plus de fautes professionnelles, beaucoup de policiers viennent chez moi m’expliquer leur détresse. Mais la victime, elle, elle s’en fout. Et c’est normal, elle veut qu’on s’occupe d’elle."

Même si de nombreux actes ne sont pas poursuivis faute de preuve, notre alerteur Martin a eu raison de pousser son amie à porter plainte en se rendant à la police pour acter ces faits graves. Le nombre de femmes (et d'hommes!) victimes de viols qui se font entendre reste beaucoup trop faible.

Le manque de tact de certains policiers peut certainement rebuter, mais le métier de psychologue n'est pas le leur et - même si cela ne change rien aux faits et n'excuse rien - la fonction semble bien consciente de l'importance de mieux recevoir les victimes de violences sexuelles. Après, tout est une question de priorité. 


SOS viol propose une écoute attentive en toute confidentialité.

Des espaces de consultations psychologiques, juridiques et sociales sont également accessibles aux victimes mais également à l'entourage de celles-ci. Contactez l'ASBL au numéro vert gratuit 0800 98 100 ou via le formulaire en ligne.

Le viol en Belgique 1

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