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Nous avons suivi Soledad, inspectrice de police et mannequin, durant deux jours: "C'est un monde où je peux me libérer"

Soledad, comme elle se fait appeler sur les réseaux sociaux, mène une double vie. Tantôt en uniforme bleu et gilet pare-balle, tantôt tirée à quatre épingles, sur des talons hauts devant un objectif... La jeune carolo cumule deux métiers aux antipodes : inspectrice de police, et mannequin. Rencontre atypique avec cette femme qui sait ce qu'elle veut, et mène ses deux carrières d'une main de fer.

La garde a commencé dès 7 heures ce matin-là. Tout est calme, dans le commissariat de la zone Bruxelles-Midi. Une inspectrice arpente les couloirs, et vient à notre rencontre. Pour préserver son identité, nous l'appellerons Soledad, comme le pseudonyme qu'elle utilise sur les réseaux sociaux. Parce que cette policière n'est pas une inspectrice "comme les autres" : elle est aussi mannequin. 

"Policière, ce n'était pas vraiment une vocation"

De son activité complémentaire, Soledad ne laisse rien transparaître au commissariat. Mis à part peut-être une parfaite manucure rose. Tout autre accessoire est bien loin du glamour des shootings photos. "J'ai mes chaussures d'intervention, mon ceinturon avec mes armes individuelles", détaille l'inspectrice de 23 ans. "Du pepper spray [spray au poivre, ndlr], ma matraque, mon arme de poing, mes menottes, d'autres outils comme mon sac de fouille, mon porte-chargeur, le gilet pare-balle. J'ai environ une dizaine de kilos sur moi."

Un poids qu'elle porte en intervention, sur le terrain, dans des cas d'urgence signalés au 101. Elle est aussi amenée à patrouiller dans sa zone. Aujourd'hui, nous la retrouvons en plein entrainement, au stand de tir, arme au poing. Dans ces conditions, difficile d'imaginer que la jeune femme est aussi modèle photo. "Au début, je voulais faire des études de médecine pour être médecin ou vétérinaire", se remémore l'inspectrice , devant le stand de tir. "Policière, ce n'était pas vraiment une vocation. C'est venu par après."

Aujourd'hui, au stand de tir, chaque mouvement est extrêmement encadré. Ici transparaît toute la rigueur liée au métier de policier. Cette rigueur plaît beaucoup à l'inspectrice. "Je dirais que je suis une inspectrice juste. J'essaye de rester un maximum professionnelle, et de garder la tête froide. On est confronté à tout type de situations, il faut rester poli, respectueux. Le travail doit être fait, qu'il soit apprécié ou pas. J'essaye de faire au mieux, toujours en me remettant en question."

"Si ça ne nuit pas à l'image de la police, je ne vois pas où est le problème"

Dans son commissariat, tout le monde connaît l'activité complémentaire de la jeune femme originaire de Charleroi. Ici, d'autres collègues ont également une activité complémentaire, mais aucun n'exerce le métier de mannequin. Pour autant, Soledad n'est pas vue différemment : ici, c'est une collègue comme les autres. "C'est rare, mais on a aussi d'autres collègues qui ont des activités variées", explique l'un des inspecteurs principaux du commissariat de la zone Bruxelles-Midi. "Elle me dit que ça lui plait, donc je suis content pour elle. D'un point de vue professionnel, à partir du moment où ça ne pose pas de problème déontologique, où c'est validé par la hiérarchie, et où ça ne nuit pas à l'image de la police, je ne vois pas où est la problème."

Elle est caractérielle

Ici, l'inspectrice est considérée comme une bonne recrue par son supérieur hiérarchique. "Elle est caractérielle, sûre d'elle, elle travaille bien et ne se laisse pas faire. C'est important, surtout dans une zone comme la nôtre. Il faut être à l'écoute, mais aussi avoir du répondant et savoir s'imposer." Un caractère fort, que confirme l'inspectrice. En tant que femme dans la police, elle a souvent l'impression de devoir redoubler d'effort pour prouver qu'elle est entièrement compétente. "Les gens nous testent, sur le terrain. Ils ont peut-être des préjugés sur nous en tant que femmes. Ils pensent qu'on va être trop gentilles, qu'on ne va pas oser prendre la parole, mais c'est tout le contraire. On a le même statut que nos collègues masculins."

Certains métiers sont incompatibles avec la fonction de policier

Soledad n'est donc pas un cas à part, dans ce commissariat. En 2021, 37 policiers de la zone Bruxelles-Midi ont fait une demande d'accord pour une activité complémentaire. Cette demande est examinée par la hiérarchie, qui se réserve le droit de valider, refuser, ou accepter sous conditions chaque dossier. "Ici, les 37 demandes ont été acceptées", précise Sarah Frederickx, porte-parole de la zone de police. C'est quelque chose qu'on encourage ici à la zone de police Bruxelles-Midi."

Il y a des métiers qui sont incompatibles

Toutefois, les demandes qui risquent de nuire à l'image de la police, ou qui sont contraire aux valeurs des forces de l'ordre, sont systématiquement refusées. "Il faut se rendre compte qu'on reste policier même en dehors des heures de service, on garde cette étiquette", explique la porte-parole. "Il y a des métiers qui sont incompatibles, car ils ont d'autres valeurs. Par exemple, videur de boite de nuit. D'autres métiers sont légalement interdits, comme ambulancier ou moniteur d'auto-école."

Maquillage, coiffure, photographe : loin du gilet pare-balle et des interventions d'urgence

Nous retrouvons Soledad dans un salon de coiffure de Tamines, dans la province de Namur. Pour cette Carolo d’origine, c'est avec le coiffeur Andrea Mannino que tout a commencé. Le professionnel la repère il y a quelques années, alors qu’elle venait se faire couper les cheveux. "Dans ce salon, on a la chance d’avoir un studio à l’étage, et on fait souvent des photos avant/après", détaille le gérant, peigne en main. "Soledad s'est prêtée au jeu pour nos vidéos et photos. De fil en aiguille, on s'est liés d'amitié et on a collaboré de plus en plus souvent."

Elle a ce côté assez mystérieux, dans le regard

Le coiffeur estime avoir tout de suite remarqué un certain potentiel, chez la jeune femme. "Soledad, elle a la chance d'avoir ce côté assez mystérieux, dans le regard. Elle est très caméléon, dans tous nos projets. On peut tout faire avec elle, et c'est ça que j'ai tout de suite apprécié, ce côté très classique, mystérieux, ça j'aime bien."

Au menu du shooting du jour, une coiffure haute très voyante, travaillée avec des extensions et une quantité non négligeable de laque pour cheveux. Ce look, Soledad l'a imaginé avec ceux qu'elle appelle "sa Glam Team": son coiffeur et sa maquilleuse habituels. "Elle est très exigeante", nous confie le coiffeur, qui cumule 15 années d'expérience.

On voit qu'elle a un caractère fort

Amanda Pirollo, maquilleuse et créatrice de contenu beauté, acquiesce. "Ça fait bientôt un an qu'on se connait", explique Amanda, tout en maquillant le teint de Soledad. "Au début, je ne savais pas du tout qu'elle était policière. Et quand elle me l'a dit, j'étais un peu choquée parce que c'est pas des choses qu'on voit souvent dans la vie de tous les jours. Je ne savais même pas qu'on pouvait cumuler ces deux emplois." Si la "double vie" de Soledad a pu étonner Amanda, son exigence, au contraire, n'est pas une surprise, pour la maquilleuse professionnelle. "Dès qu'on la voit, même dans le maquillage, on voit qu'elle a un caractère fort."

Être "carrée", a en effet toujours fait partie du caractère de la jeune femme. "J'ai toujours eu cette mentalité, d'abord par le sport, et puis la police a vraiment accentué ce côté 'carré' ", confie Soledad, pendant qu'Amanda apporte les touches finales au maquillage. "C'est une façon de faire dans laquelle je me retrouve."

D'inspectrice de police à Soledad: 3 heures de préparation, 6 ans de travail

Une fois le maquillage terminé, place au stylisme. Soledad complète son look très travaillé par une robe qu'elle a choisie elle-même : un fourreau en similicuir brun. Devant notre caméra, l'inspectrice apparaît complètement métamorphosée. Pour une transformation comme celle-ci, comptez environ trois longues heures de travail.

Si Soledad est aussi rigoureuse au sujet de son image, c'est aussi parce que le shooting du jour servira à alimenter ses réseaux sociaux, notamment son compte Instagram qui lui sert de vitrine professionnelle. Grâce à son compte, suivi par plus de 2.000 personnes, Soledad a récemment attiré l'œil d'une grande marque de maquillage belge, dirigée par une influenceuse et créatrice de contenu au million d'abonnés. "Ça m'a servi de tremplin pour travailler avec d'autres marques", raconte Soledad avec fierté. "C'était la preuve que je n'étais plus mannequin amateure, mais bien professionnelle."

Depuis juin 2021, Soledad est officiellement mannequin à titre complémentaire. De ses débuts en amateur à l'âge de 15 ans, jusqu'aux shootings rigoureux et travaillés qu'elle organise aujourd'hui, il a fallu six années de travail, et quelques sacrifices. "Ça m'arrive de travailler 7 jours sur 7", avoue la jeune femme de 23 ans. "Mais j'aime vraiment ce que je fais. J'ai la chance de faire deux métiers qui sont aussi mes passions, donc je ne vais pas me plaindre. Je profite de mes jours de repos pour faire mes shooting photos et mon activité complémentaire dans le mannequinat. Ou alors parfois je pose des jours de congé pour répondre aux demandes que j'ai."

Policière et mannequin : "Il n'y a rien d'ambigu à ce niveau-là"

L'ingrédient final, pour que les deux métiers puissent être pleinement combinés, est de faire une différence nette entre les deux univers. Pour Soledad, cette différence est très claire. "Il n'y a rien d'ambigu à ce niveau-là. D'un côté, il y a mon activité complémentaire de mannequin, et d'un autre côté mon activité principale de policière. Je ne mélange pas les deux. Ici, c'est un monde où je peux me permettre de me libérer. Je ne vais jamais arriver comme ça au commissariat."

Cette fois encore, c'est la rigueur et le professionnalisme de Soledad qui l'aident à maintenir le cap. Lorsqu'elle entre à l'académie de police il y a 5 ans, la jeune femme décide de se retirer du mannequinat pour se consacrer à 100% à sa formation et son début de carrière. Petit à petit, elle revient à son premier amour, le mannequinat. C'est ensuite tout naturellement qu'elle a commencé à combiner les deux métiers, avec l'accord de sa hiérarchie à la police.

Pour l'instant, aucun choix ne lui est imposé, et l'inspectrice peut cumuler ses deux casquettes. "C'est aussi une question à laquelle je ne réfléchis pas. J'ai la chance de pouvoir vivre de mes deux passions, et je ne me prends pas la tête."

Si Soledad a souhaité raconter son histoire et son quotidien atypique, c'est aussi pour prouver qu'une telle vie est possible. Et pourquoi pas, inspirer d'autres policiers ou policières à choisir cette voie, sans pour autant en sacrifier une autre.

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