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Son entreprise de titres-services a fait faillite: Maria, une femme de ménage révoltée

Maria a perdu son job. Elle travaillait comme femme de ménage dans une entreprise liégeoise de titres-services qui a fait faillite. Les patrons de PME évoquent des difficultés croissantes (hausse des charges, hausse du prix du titre-service) dans un secteur qui emploierait 130.000 personnes dans notre pays.

Comme une soixantaine d'autres, la société de titres-services Train d'enfer a fermé ses portes en 2013. Au début du mois de décembre, les 90 ouvrières ont appris la faillite de leur entreprise basée à Liège. Parmi celles-ci figuraient Maria (prénom d'emprunt). "On se retrouve toute seule et sans salaire", nous a-t-elle écrit via la page Alertez-nous. Nous avons appelé cette femme d'une quarantaine d'années, mère de deux enfants désormais sans boulot et qui risque de ne pas être payée pour ses prestations de novembre et début décembre avant un bon bout de temps.

Maria est espagnole. Elle est arrivée en Belgique en automne 2011. Très vite elle a décroché un job au sein de la PME Train d'enfer qu'elle n'a plus quittée jusqu'à ce début du mois de décembre dernier. "J'étais femme de ménage, je nettoyais chez les gens", dit Maria qui remplissait un horaire de 31 heures par semaine: "Il y avait beaucoup de travail et on était bien payée", dit-elle.

Système des titres-services: plus de 7 millions de titres par mois, 2700 PME, 130.000 travailleurs

Entré en vigueur en 2004, le système des titres-services, imaginé par le gouvernement pour créer de l'emploi et contrer le travail au noir, a rencontré un succès phénoménal auprès des consommateurs vu le prix attrayant du titre-service (et sa déduction de 30%). Les entreprises ont poussé comme des champignons et, aujourd'hui, on en compte 2700 occupant 130.000 travailleurs (4,3% de l'emploi salarié en Belgique) pour plusieurs millions de titres-services utilisés chaque mois (7,7 millions en août 2013).

Des entreprises en difficulté: "La marge diminue" 

Si la croissance du marché a été folle pendant longtemps, la situation est devenue un peu moins confortable pour les PME de titres-services au cours des dernières années: leurs charges (énergie, loyer, salaire, etc.) ont augmenté davantage que le montant que leur verse l'Etat pour chaque chèque. Bref, les recettes compensent moins qu'avant les dépenses. "Les salaires ont augmenté de 35% ces dernières années alors que le remboursement du titre n'a, lui, augmenté que de 5%", faisait remarquer Marie-Noëlle Agramme, gestionnaire de dossier au sein de l'entreprise Home Clean Services, dans un récent sujet du Journal de RTL-TVI . "C'est vraiment cette marge qui diminue et cette marge permet de faire fonctionner le reste de la société (loyers, assurances, frais de société)", ajoutait-elle. Cette situation plus serrée réclame une gestion stricte et rigoureuse. Est-ce ce qui a manqué à la patronne de Train d'enfer ? Les revenus qu'elle offrait étaient, selon Maria, les meilleurs du marché. La femme d'ouvrage a pu le constater en écoutant les offres d'autres entreprises qui lui ont été faites ces dernières semaines. "C'était la société qui payait le mieux, je gagnais environ 1500 euros net par mois, soit presque 150-200 euros de plus que dans la plupart des autres sociétés", raconte Maria.

Maria: la confiance est rompue

Mais les revenus pratiqués par la PME cachaient des conditions de travail jugées mauvaises par Maria et qui avaient, toujours selon elle, poussé beaucoup d'ouvrières a quitté l'entreprise. "Les jours de neige, on était obligée d'aller travailler. S'il y avait une grève de bus, on devait aller travailler. On ne pouvait pas être malade, etc. Les gens en ont eu marre", raconte-t-elle. Maria, elle, était restée. La faillite l'a poussée dehors. Lorsque nous l'avons jointe, à la fin du mois de décembre, elle n'était pas encore inscrite au chômage, attendant des documents qui devaient être signés par le curateur (la personne nommée pour gérer l'entreprise après la faillite). Quant à sa paie de novembre et celle de ses ultimes jours de travail en décembre, elle ne sait pas quand elle en verra la couleur. A l'heure actuelle, le curateur cherche toujours un repreneur. S'il n'en trouve pas. Le Fonds de fermeture pourrait intervenir afin que Maria et ses collègues reçoivent les salaires impayés. "On nous a expliqué que cela prendrait de nombreux mois", nous rapporte Maria.

La quadragénaire nous raconte qu'une de ses collègues vivait sa troisième faillite d'entreprise de titres-services. "C'est vraiment honteux. C'est subventionné par l'Etat et après on ne sait pas ce que les patrons des entreprises de titres-services font avec. Et nous, on ne nous paie pas. On vit une situation vraiment difficile, ce n'est pas bien géré", déplore Maria qui assure qu'elle se méfiera désormais de ces entreprises avant d'y retourner. D'ailleurs, dégoûtée, elle n'est pas prête à recommencer tout de suite. La confiance est rompue. Pourtant, la demande existe. Ils étaient nombreux, place Saint-Paul, patron(ne)s de PME de titres-services à vouloir convaincre Maria et ses collègues d'intégrer leur entreprise, alors que celles-ci sortaient à peine d'une réunion d'information au cours de laquelle le curateur avait expliqué la faillite et ses suites. "Le jour de la réunion, plusieurs personnes nous attendaient en bas. Les propositions étaient pires que celles qu'on connaissait. C'était une surenchère", décrit-elle.

Deux hausses du prix des titres-services en un an

Le secteur ne semble donc pas "à l'agonie" comme l'affirment certains. L'inquiétude prédomine toutefois. La nécessité de faire des économies pour résister à la crise a poussé le gouvernement Di Rupo a augmenté les tarifs. Une première hausse s'est produite le 1er janvier 2013, le prix du titre-service passant de 7,5 à 8,5 euros. Un an plus tard, le 1er janvier 2014, nouvelle hausse, cette fois de 50 cents (9 euros l'unité pour les 400 premiers chèques par personne, pour les 800 premiers par ménage). La première augmentation n'a pas eu une influence marquée sur le nombre de titres-services achetés par les particuliers. Qu'en sera-t-il de celle de 2014 ? Le secteur a exprimé ses craintes. "Si un utilisateur sur dix réduit ses prestations hebdomadaires d'une heure, c'est quasiment 2.500 emplois qui passeront à la trappe", a récemment précisé Unitis, l'Union des entreprises des titres-services, qui a demandé aux autorités de s'engager à ne plus augmenter les prix et à maintenir le système dans des conditions viables pour les entreprises.

"Un Noël comme ça, c'est désagréable"

En attendant, les 90 ouvrières qui ont quitté le "Train d'enfer" doivent continuer à vivre. "Une fille a été au CPAS, on lui a dit qu'elle devait aller au Resto du cœur. Un Noël comme ça, c'est désagréable. On n'en meurt pas pour autant, c'est vrai. Mais ce n'est pas normal", estimait Maria que nous avions jointe à la veille des fêtes et qui songeait aussi à ces filles étrangères, nombreuses dans son secteur, incapables de parler le français: "Moi, je sais me défendre car je parle la langue mais certaines ne parlent pas le français, ne savent ni lire ni écrire. Imaginez-vous leurs difficultés pour remplir des papiers ou connaitre leurs droits."

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