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Sourde, cela n’a pas empêché Laure de devenir ingénieure: "Mes profs me disaient que je n'arriverais pas à faire des études"

Malgré sa déficience auditive, cette jeune femme de Mouscron a suivi des études supérieures, puis trouvé un emploi dans son domaine de prédilection. Elle envoie un message d’encouragement aux familles concernées par la surdité, tout en soulignant les difficultés auxquelles les sourds et malentendants doivent faire face.

À 25 ans, Laure (prénom d'emprunt car elle veut garder l'anonymat) vient de se faire embaucher en tant qu'ingénieure en biochimie dans une entreprise pharmaceutique. L'aboutissement d'une réussite scolaire qui a déjoué les pronostics. Malentendante profonde depuis la naissance, la jeune femme a pu compter sur sa famille et un docteur "exceptionnel", dit-elle, pour franchir les obstacles. Elle nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour montrer que les sourds peuvent avoir une "vie normale". "Mais il faut les comprendre sur certains points", ajoute-t-elle immédiatement. Sa réussite ne doit pas masquer les problèmes rencontrés par les personnes sourdes et malentendantes, qui représentent entre 8 et 16% de la population, selon les chiffre cités par la FFSB (Fédération Francophone des Sourds de Belgique). Rejet, manque d'empathie, impatience… la société belge n'est pas assez sensibilisée à la surdité, dénonce Laure. La Mouscronnoise nous a raconté son parcours, l’évolution de sa surdité et l'implant cochléaire qui a changé sa vie.


Le syndrome de Pendred à l’origine de sa surdité

Jusqu'à ses 21 ans, Laure n'entendait plus 80% des sons d'une oreille et 70% de l'autre. En cause, le syndrome de Pendred. "Il associe des troubles de la glande thyroïde et une surdité par des petites malformations de l’oreille interne", explique le docteur Dachy, ORL au Centre de l'Ouïe et de la Parole, à Tournai. "Cela donne des surdités évolutives, fluctuantes, et qui peuvent rester non profondes", ajoute le spécialiste. Il s'agit d'un syndrome génétique. Personne dans la famille de Laure n'est sourd. "C'est un gène récessif que j'ai de mes parents", raconte-t-elle.


Laure suit un enseignement général, malgré les difficultés et les découragements

Avec l'aide d'appareils qui amplifient le son, Laure parvient à suivre une scolarité "tout à fait ordinaire", dit-elle, dans l'enseignement général. Des difficultés se posent dans les zones plus bruyantes. "Si je parle avec quelqu'un seul, j'entends très bien. Si c'est une conversation de groupe, je suis très vite perdue", confie-t-elle. L'élève brille en math mais les langues lui réussissent moins. Et certains professeurs d'en tirer des conclusions hâtives : "Un jour il y a aura un blocage, elle n'y arrivera pas", dit-on à ses parents.

"Faudrait peut-être que tu envisages de quitter l'école pour aller dans une école technique et faire des trucs comme chauffagiste", s'entend-elle dire à l'âge de 13 ans. "Moi ça ne me bottait pas, je voulais vraiment continuer encore dans ma formation", se souvient Laure. Outre ses capacités en science, la jeune malentendante a un atout important : elle parle tout à fait normalement. "La surdité étant apparue après le développement du langage, ces gens [les personnes atteintes du syndrome de Pendred, Ndlr] parlent bien, n’ont pas la voix déformée qu’ont les sourds congénitaux", explique le docteur Dachy. C'est aussi le résultat d'un long travail de logopédie.

Laure parvient finalement à intégrer l'Institut des Frères Maristes à Mouscron, dans l'option la plus forte, Math-sciences.


L'enseignement général n'est pas adapté à la majorité des élèves sourds et malentendants

Le parcours de Laure ne correspond pas à celui de la plupart des élèves sourds ou malentendants. Pour certains, l'enseignement général compte trop d'obstacles, explique Maruchka Martin, assistante sociale de l'APEDAF (Association des Parents d'Enfants Déficients Auditifs francophones). Les bruits ambiants de la classe brouillent l'audition. Si le professeur se retourne, l'enfant ne peut plus s'appuyer sur la lecture labiale. Il ne parvient pas à prendre des notes ou à entendre les dictées. En outre, les sourds ou malentendants qui ne parlent pas subissent encore plus de préjugés que Laure. "L'absence de communication orale est parfois assimilée à un retard mental", déplore Maruchka Martin. La majorité des élèves sourds et malentendants intègrent donc des écoles spécialisées.

"Le niveau y est un petit peu plus bas, on ne va pas se le cacher", indique la porte-parole de l'APEDAF. Alors certains parents vont même jusqu'à déménager à Namur pour inscrire leurs enfants dans la seule école bilingue (langue des signes/français) de Belgique : l'institut Sainte-Marie, qui propose l'inclusion de petits groupes d’enfants sourds ou malentendants dans des classes ordinaires. "Là, c’est vraiment l’enseignement idéal. On a dans chaque cours un professeur entendant qui pratique la LPC [langue parlée complétée, soit des gestes qui aident à lire sur les lèvres, Ndlr] et, en même temps, on a à côté un professeur sourd signant".

Néanmoins, il est de plus en plus courant que des élèves sourds soient intégrés au sein de classes ordinaires. Ces enfants peuvent bénéficier d'une aide en classe 4 heures par semaine. "Ça reste très, très peu, donc il faut que l’enfant arrive quand même à bien suivre ce qui se passe en classe", remarque Maruchka Martin. "Il faut qu’il y ait une équipe, un enseignant sensibilisé, qui ait envie d’accueillir un enfant sourd dans sa classe", ajoute-t-elle. Outre ces 4 heures, l'APEDAF propose également des aides pédagogiques, en classe ou à domicile. Non subventionnées, ces aides représentent un coût supplémentaire pour les parents.


Le manque d'interprète en langues des signes, frein principal aux études supérieures

Seuls 10% de sourds réussissent à faire des études supérieures en Belgique, indique Laure. "Le pourcentage reste très faible", corrobore Maruchka Martin. "Après la fin des secondaires, on ne sait plus trop vers où diriger l’enfant", regrette-t-elle. De son côté, Laure s'en sort remarquablement bien. Elle obtient un bachelier en chimie et un master en biochimie à la Haute école de Ath.

Laure veut montrer qu'il est possible de faire des études et réussir professionnellement en étant malentendante. "J'ai beaucoup été voir les parents de bébé dont l'enfant était sourd qui disaient 'mon enfant n'arrivera à rien', je leur dis 'Si, il y arrivera, il faut juste que vous l'aidiez'", raconte-t-elle. "Il ne faut pas avoir peur d'aller dans les universités", estime-t-elle.
 
"Peut-être qu’on les décourage trop, mais on manque de moyens", remarque Maruchka Martin. Ce qui freine la majorité des sourds et malentendants à la poursuite d'études supérieures, c'est le manque d'interprètes en langue des signes. "Les interprètes en langues des signes sont horriblement chers", note Pascale van der Belen, directrice de l'asbl Infosourds.

Pascale van der Belen raconte qu'elle a dû arrêté ses études de droit à cause de sa déficience auditive : "Dans un auditoire, vous ne pouvez absolument pas suivre un prof qui se ballade" . Pour Pascale, la situation était vite devenue intenable : "Devoir être présent alors que vous n'entendez rien, que vous vous ennuyez royalement... Mais si vous n'êtes pas là, on ne va pas vous passer les notes parce qu'on va vous prendre pour une 'touriste'" . Le degré de surdité de Laure n'était pas aussi grave que celui de Pascale... Jusqu'à un matin d'avril 2014. La surdité de Laure s'étant brutalement aggravée, on lui conseille l'implant cochléaire

Laure vit un moment de panique quand elle se réveille complètement sourde. Avec ses appareils auditifs, elle n'entend plus que "du brouhaha". "J'entendais le son mais je ne le comprenais plus", se souvient-elle. Laure consulte le docteur Dachy qui lui diagnostique le syndrome Pendred : "Comme les surdités causées par le syndrome Pendred sont des surdités fluctuantes, à un moment donné, elles fluctuent vers le bas de manière un petit peu brutales et ses aides auditives n’ont plus été suffisamment efficaces", explique-t-il.

Le docteur Dachy recommande à Laure un implant cochléaire. "Le but d’un implant cochléaire, c’est d’aller mettre des électrodes qui font le travail des cellules ciliées de l’oreille interne", résume le spécialiste. En principe ces cellules envoient des messages au cerveau, par le nerf auditif. Quand ces cellules cessent d'envoyer des informations pertinentes au cerveau, il ne sert plus à rien d'amplifier les sons avec des appareils traditionnels, explique-t-il. "À ce moment-là, on met un appareil, une espèce d’oreille artificielle qui va prendre les sons par un micro, les transformer en électricité et les distribuer sur des électrodes placées au contact des extrémités du nerf auditif".


Elle ne bénéficie que d'un seul implant, l'Inami ne rembourse pas le 2eme

Le docteur Dachy opère Laure en avril 2015, soit un an plus tard, à l'hôpital de Tournai. "Il faut suivre toute une procédure pour la validation du dossier par l'Inami", raconte la jeune femme.

Laure entend désormais via un implant cochléaire à l'oreille gauche. À l'oreille droite, elle porte un appareil auditif traditionnel, qui ne fait qu'amplifier le son. "J'aimerais avoir l'opportunité de me faire un deuxième implant afin de me sentir bien et en sécurité. Malheureusement, je n'ai pas les moyens", regrette-t-elle.

Je trouve ça un peu dégueulasse. Je n’ai pas demandé d'être sourde !

L'Inami rembourse les implants cochléaires pour les deux oreilles jusqu'à l'âge de 12 ans. Une perte auditive de minimum 85 décibels aux deux oreilles doit être démontrée via des tests audiométriques. Pour Laure, la perte n'était telle qu'à partir de ses 21 ans. "Concernant les patients adultes qui sont sourds des deux oreilles, l’assurance obligatoire rembourse un seul implant cochléaire", indique Geneviève Speltincx, de Cellule communication INAMI.

"Je trouve ça un peu dégueulasse. Je n’ai pas demandé d'être sourde !", s'insurge Laure.

"La littérature scientifique a mis en évidence qu’une implantation cochléaire unilatérale assure chez la majorité des patients adultes sourds un bénéfice significatif en terme d’audition et de qualité de vie. Certaines études démontrent effectivement qu’un 2e implant cochléaire peut avoir un effet positif sur la localisation du son ou sur l’équilibre, mais ce n’est pas toujours le cas et il n’y a pas suffisamment d’études disponibles pour pouvoir dire qui est susceptible de tirer un avantage certain d’un second implant cochléaire et qui ne l’est pas", justifie l'INAMI.

Selon le docteur Dachy, la raison pour laquelle l'Inami ne rembourse pas les deux implants est plus triviale : "C’est une question de prix". L'implant coûte entre 20 et 25.000 euros. Puis il y a les séances de réglages des appareils, de rééducation. Le coût global d'un implant avoisine les 30.000 euros. S’il n’y avait pas cet aspect budgétaire, les implants seraient indiqués dès qu'une oreille n'entend plus via un appareil auditif traditionnel, explique le docteur. "Les adultes qui ont les moyens se payent eux-mêmes le deuxième implant", note-t-il.


"J'entends les chants des oiseaux que je n'avais jamais entendus"

Après l'opération, Laure n'a pas entendu normalement via son oreille gauche. "Ma maman avait une voix de trompette", se souvient-elle. "Il faut le temps que le cerveau réapprenne tous les sons et qu’il apprenne les nouveaux sons", explique-t-elle. "C’est beaucoup de fatigue au début", ajoute-t-elle.

Aujourd'hui, Laure jouit des nouvelles capacités de son oreille gauche : "Je me balade beaucoup dans la forêt pour essayer d’entendre des nouveaux sons. J'entends les chants des oiseaux que je n'avais jamais entendus, et bien d'autres choses qui sont aussi belles. Pour mon moral, je me sens plus en sécurité. Pour ma vie sociale, je me sens plus épanouie car je comprends mieux les conversations."

"Les gens qui étaient devenus refermés sur eux-mêmes se rouvrent comme une fleur au printemps"

À Tournai, au Centre de l'Ouïe et de la Parole, 90% des patients qui portent un implant cochléaire sont très satisfaits, estime le docteur Dachy. "Les gens qui étaient devenus refermés sur eux-mêmes se rouvrent comme une fleur au printemps. C’est vraiment très étonnant", raconte-t-il. "C’est une technologie dont on peut faire profiter toute personne qui est bien sur le plan cognitif", poursuit le docteur Dachy.

Un bébé sourd profond peut quasiment retrouver le développement d'un enfant entendant. "C'est hallucinant", s'enthousiasme l'ORL. À l'autre extrémité, le docteur vient d'opérer un patient de 91 ans. Une réussite. "Le monsieur a repassé son permis de conduire, retrouvé une vie autonome et une vie sociale", raconte-t-il. En revanche, "si vous avez un sourd de naissance qui n’a jamais mis le moindre appareil, vous lui mettez un implant à 20 ou 30 ans, il va avoir des perceptions, des stimulations de type sonore mais ça ne va pas l’aider à comprendre le langage'".


"'Je t’expliquerai après' mais il n’y a jamais d’après"

Si comme de nombreuses personnes bénéficiant d'un implant cochléaire, la qualité de vie de Laure s'est considérablement améliorée, cela ne doit pas occulter les difficultés auxquelles les sourds et malentendants sont confrontées au quotidien. Ses capacités auditives, certes améliorées, ne lui permettent pas de tout entendre. "Pas facile de subir le rejet de certains amis innocents qui disent 'Je t’expliquerais après' mais il n’y a jamais d’après", confie Laure. "Je suis parfois obligée de répéter 10 fois au restaurant à ma famille pour comprendre une conversation", raconte-telle. De même, Laure, qui a travaillé un an dans un hôpital, regrette l'impatience de certains collègues : "C’est triste de devoir dire 'Répète s’il te plaît !' et que la personne te réponde négativement en râlant".

"Les gens s’énervent très vite, ils ne soupçonnent pas un problème d'audition", constate également Maruchka Martin. Une impatience qui s'explique par le caractère invisible de ce handicap. "La société ignore que même si on marche et qu’on parle normalement, on est handicapé", dit Laure. "La surdité est très mal comprise du public", confirme Maruchka Martin. "Une personne aveugle, ça fait mal au cœur, mais la surdité on y pense moins souvent, parce que ce n'est pas sous nos yeux", constate la porte-parole de APEDAF.


Un entretien d'embauche concluant pour Laure, mais d'autres malentendants sont "discriminés"

Lors de ses entretiens d'embauche, les problèmes auditifs de Laure ne sont pas remarqués directement. Mais la jeune femme préfère toujours clarifier la situation. Ce qui ne l'a pas empêchée de décrocher un travail qui correspond à sa qualification. Néanmoins, d'après Pascale van der Belen, les sourds et malentendants sont bel et bien victimes de discrimination à l'embauche. Et le problème trouve sa source dans l'accès à la formation.

"Bloqués à la fin des études secondaires, ces jeunes sont parfois redirigés à tors vers des entreprises de travail adapté. Alors qu’ils ont un potentiel qui pourrait servir ailleurs", corrobore Maruchka Martin. Les entreprises de travail adapté sont des sociétés qui embauchent des personnes handicapées pour réaliser des petits travaux, souvent manuels. "Peu de personnes sourdes arrivent à avoir une place à une responsabilité", estime Pascale van der Belen. Certains travaillent dans des associations liées à la surdité. 2.100 personnes porteuses d’une déficience touchant à l’audition perçoivent une allocation de remplacement de revenu et/ou une allocation d’intégration, indique Evelien De Vos, du service communication du SPF Sécurité sociale, Direction générale des personnes handicapées.

Pour sa part, Laure officie depuis le mois d'avril en tant qu'ingénieure et assistante HSE (hygiène, sécurité et environnement) dans une entreprise qui fabrique des principes actifs de médicaments. Elle ne cache pas sa satisfaction : "Mon nouveau travail se passe très bien. Mon handicap ne me pose aucun problème que ça soit pour moi et pour les autres. Je suis juste prudente lorsque je me déplace et je n’hésite jamais de demander à répéter".

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