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Telenet concrétise le rachat de SFR/Coditel: une bonne nouvelle pour le client, "mais pas pour les employés"

Le géant flamand Telenet ne cache plus ses ambitions nationales, voire internationales. Le câblodistributeur voit bien plus loin que la télévision dans les foyers. Et ça passe par une succession d'acquisitions, à un rythme qui s'est encore accentué en 2018. Il y a du bon et du mauvais: comme dans tout rachat d'entreprise, des emplois passent à la trappe. Anonymement, la femme d'un technicien bientôt licencié témoigne.

Telenet est devenu en quelques années l'un des plus gros acteurs du marché des télécoms en Belgique. Le câblo-opérateur flamand, très ambitieux, a multiplié les acquisitions depuis une vingtaine d'années. Il a notamment racheté Base en 2015, ce qui lui permet, comme Proximus, de proposer des packs complets: téléphonie mobile et fixe, TV, internet mobile et fixe.

L'envie de grandir est restée, elle a même pris de l'ampleur... L'an dernier, Telenet a racheté l'entreprise Coditel/SFR, qui détenait des réseaux de câbles à Bruxelles et dans la botte du Hainaut.

Vous allez le voir, pour le client, c'est une bonne nouvelle. Mais nettement moins pour les employés. "En cette fin d'année, 40 personnes n'auront plus de travail", nous a écrit la femme d'un technicien qui va bientôt perdre son boulot, après 15 ans d'ancienneté.

Qui a racheté qui, et quand ?

Ce serait bien difficile de faire l'historique complet des entreprises qui ont géré le câble en Belgique. Car à la base, ce sont des communes ou des groupements de communes qui ont déployé ce réseau. Il y a depuis des dizaines d'années de gros enjeux financiers et politiques qui sous-tendent les négociations, les fusions, les rachats.

Si on se penche sur Bruxelles, il y avait au départ des asbl ou des intercommunales qui avaient chacune leur réseau de câble dans la capitale, à l'époque où celui-ci ne servait qu'à distribuer la télévision.

Mais les temps ont changé, et quand Belgacom, à l'époque, a réussi à faire passer la télévision via son ADSL et donc ses deux petits câbles de téléphone, les "câblos" de Belgique n'ont pas eu le choix: il fallait investir pour moderniser les infrastructures et amener internet et téléphonie via le câble de télévision.

Trop petits pour grandir tous seuls, les petits acteurs bruxellois ont fini par accepter des offres de rachats. Numericable (rachetée ensuite par SFR), entreprise française, a débarqué, en reprenant notamment Wolu TV. Mais en investissant si peu au niveau matériel et humain qu'elle a disparu quelques années plus tard…

Actuellement, la situation est la suivante: Telenet a racheté depuis 2017 Coditel/SFR, qui détenait du réseau à Bruxelles dans les communes de Molenbeek, Anderlecht, Bruxelles-Ville, Woluwe-Saint-Lambert et Watermael-Boisfort. Telenet détenait déjà les réseaux câblés de Jette, Ganshoren, Koekelberg, Berchem-Sainte-Agathe, Schaerbeek et Etterbeek.

Si on calcule bien, il reste les communes de Saint-Gilles, Uccle, Ixelles, Auderghem, Woluwe-Saint-Pierre et Evere: elles sont couvertes par la marque commerciale Voo, qui existe depuis que Brutélé (qui détenait ces 6 communes plus d'autres en Wallonie) et Nethys se sont associés en 2006.

Telenet, un ogre belge

L'ambition de Telenet semble sans limite. De nouvelles acquisitions ont eu lieu en 2018, et ça va de sociétés actives dans les télécommunications à des chaînes de télévision.

Dernièrement, son grand patron américain John Porter a réitéré son ambition de racheter… Voo. Ce qui signifie qu'il s'emparerait de l'entièreté du réseau de câblodistribution belge. On aurait donc un duopole technologique: le câble de Telenet et le réseau "téléphonique" de Proximus, deux technologies différentes mais qui font la même chose, des services de télécommunication.

Mais rien n'est fait, et il y a des enjeux politiques (des communes sont actionnaires au niveau de Brutélé, et Nethys est ce qu'il est) qui freinent sans doute l'appétit d'ogre de Telenet, entreprise flamande. On a essayé d'en savoir plus: "Nous sommes toujours intéressés, et nos intentions sont les mêmes par rapport à Voo et Brutélé", mais il n'y a "pas de détails sur les négociations", nous a expliqué la porte-parole du groupe qui "répond à ses ambitions de devenir un opérateur national".

A Bruxelles, on a une approche phasée, et on avance par nœud de réseau. Dès qu'on a terminé de moderniser une zone, on migre les clients

Une bonne nouvelle pour les clients…

Qu'on se le dise: l'arrivée de Telenet est une bonne nouvelle pour une partie des Bruxellois, qui paient depuis des années le même prix que tout le monde, mais doivent se contenter du service minimum. Numericable puis SFR ont à peine entretenu le réseau, tandis que le service clientèle était pratiquement inexistant. Lisez à ce sujet les témoignages de Dominique ou de Floriane.

En réalité, depuis juin 2017 et l'officialisation du rachat de SFR, Telenet investit lourdement dans les infrastructures pour les mettre à jour. "Cela prend du temps d'adapter le réseau pour avoir la qualité Telenet. On avait prévu d'investir 12 millions d'euros d'ici à mars 2019, mais on est déjà à 15 millions".

Raison pour laquelle certaines zones ont déjà migré de SFR vers Telenet, mais pas d'autres. "Dans la botte du Hainaut, SFR a disparu complètement. Mais à Bruxelles, c'est différent, car il y a beaucoup de clients. On a une approche phasée, et on avance par nœud de réseau. Dès qu'on a terminé de moderniser une zone, on migre les clients. On leur propose des promotions s'ils acceptent de devenir client Telenet. Et s'ils ne veulent pas, ils peuvent changer d'opérateur".

… mais une mauvaise pour les employés

Bien entendu, comme souvent dans les acquisitions, il y a des économies d'échelle envisagées pour rentabiliser l'investissement. La marque SFR va disparaitre du paysage belge à la fin du mois de mars 2019, et avec elle l'activité commerciale de Coditel (ventes, service clientèle, finance, IT). "La direction n’a dès lors malheureusement pas le choix et doit annoncer son intention de procéder à un licenciement collectif ", lisait-on dans un communiqué du mois d'octobre 2018.

La femme d'un technicien travaillant pour SFR (et donc Numericable auparavant, etc) nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous. "Ça fait 15 ans que mon mari travaille dans le secteur, et cela fait deux ans que nous sommes sur le vif", que ce couple vit dans l'incertitude.

Déjà, "quand SFR est arrivé, il y a eu beaucoup de soucis au niveau du travail, car ils voulaient licencier tout le personnel de Wolu TV". Contractuellement, cependant, la direction de SFR était tenue de ne pas toucher au personnel durant un an. "Trois techniciens dont mon mari ont été mis sur une voie de garage, mais ils ont tenu le coup". Au niveau du personnel administratif, "beaucoup ont été virés, finalement, et la dernière employée a démissionné".

Une ambiance délétère, donc, qui n'a pas vraiment changé avec l'arrivée de Telenet l'an dernier. "Le 9 octobre, tout le personnel a été appelé. Les 46 personnes qui travaillaient encore sous le nom de SFR ont été conviées à une réunion. Et là, ils ont bien dit que 40 auraient leur C4. Les 6 personnes qui restent sont celles qui font des gardes, et qui connaissent la fibre".

Pour tous les autres, dont le mari de notre témoin, c'est fini. "Ils ont dit qu'il y avait des postes à pourvoir au niveau de Telenet, mais qu'il fallait aller sur le site pour postuler. Les syndicats ont dit que c'était aberrant".

Actuellement, la procédure Renault bat son plein. Il y a donc plusieurs phases (consultation, négociations, etc..), et la durée moyenne est de 101 jours, donc près de 3 mois. "Le 9 novembre, il y a eu une nouvelle réunion entre les syndicats et la direction. Et il y a des désaccords. La direction veut évoquer des raisons économiques, et là, les syndicats disent non. Ça stagne pour le moment", nous a expliqué notre témoin.

En attendant, "mon mari est à la maison, sous certificat médical, il a de l'hypertension, il est très nerveux et a vraiment l'impression que Telenet se fout d'eux". A plus de 50 ans, il espère retrouver du travail, au sein de Telenet ou ailleurs. "Il va postuler ailleurs, mais il se dit: 'à mon âge, qui voudra bien me reprendre ?'"

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