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Témoignage poignant de Stéphanie, une maman confrontée au décès de deux bébés

Stéphanie a perdu deux filles. Elles n’avaient que quelques semaines. Sans tabou, cette maman de 35 ans témoigne de son histoire poignante. Une façon d’apporter son soutien aux autres parents qui doivent affronter le deuil périnatal. Un épisode de vie particulièrement cruel.

"Je suis une mamange... la maman de cinq enfants dont deux sont au ciel", confie Stéphanie via notre bouton orange Alertez-nous. Cette habitante de Colfontaine (Hainaut) tient à sensibiliser au deuil périnatal. Le décès d’un bébé (en cours de grossesse, à la naissance ou dans les premiers mois) est un moment extrêmement douloureux. Avec beaucoup de courage et de dignité, cette femme de 35 ans évoque cette épreuve à laquelle elle a été confrontée à deux reprises.

Début décembre 2012, Stéphanie donne naissance à sa fille Sara à l’hôpital Saint-Joseph à Mons. Un pur moment de bonheur pour elle et son mari. Cette expérience n’est pas une découverte puisque le couple a déjà deux enfants, prénommés Léo et Emma.

Très vite, Stéphanie s’inquiète toutefois des pleurs suspects de son nourrisson. "Le jour où elle est née, j’ai dit au médecin que quelque chose n’allait pas parce qu’elle criait bizarrement. Mais il m’a dit qu’elle n’avait rien. Le lendemain, le pédiatre est venu et il l’a trouvée très jaune et très pâle. On lui a donc fait une prise de sang", se souvient la trentenaire.


"A partir de cette nuit-là, l’hôpital est devenu sa maison"

Deux jours après sa naissance, Sara est placée en néonatalité en raison d’une suspicion de jaunisse et d'anémie. "Comme ses globules rouges étaient détruits beaucoup plus vite qu’elle ne les fabriquait, ils lui ont fait quelques jours plus tard sa première transfusion de globules rouges. On lui a aussi donné de puissants antibiotiques car elle avait attrapé un staphylocoque doré."

Au bout de 15 jours d’hospitalisation, la fillette peut rentrer à la maison avec ses parents. Mais, après un mois, Sara doit déjà quitter son cocon familial. "Nous avions régulièrement rendez-vous avec le pédiatre pour réaliser divers tests et prises de sang. Vers la fin du mois de janvier, cela faisait plusieurs jours que Sara remettait ses biberons. Au début un peu, puis en gros jets. Elle était toute pâle, limite grise. Le soir, mon compagnon l'a emmenée aux urgences. A partir de cette nuit-là, l’hôpital est devenu sa maison."

Le soir du 22 janvier 2013, Sara est transférée aux soins intensifs pédiatriques à l’hôpital de Jolimont, à La Louvière, car son état de santé se dégrade. Les journées de l’enfant sont ensuite rythmées par des soins et des tests médicaux. "On lui a fait des prises de sang à n’en plus finir", se souvient la maman. Mi-février, les médecins annoncent que son diaphragme ainsi que ses cordes vocales sont "paralysés". Le bébé a besoin d'une trachéotomie pour respirer et d'une sonde pour être nourrie. "A ce moment-là, je vais voir le chef de service pour lui dire que je n’ai pas envie que ma fille souffre et que s’il faut passer par une euthanasie discrètement, mieux vaut le faire parce que je préfère qu’elle s’en aille sans souffrir plutôt que de la manipuler, la piquer tout le temps", confie la trentenaire qui travaille alors comme secrétaire dans l’école de ses enfants.



"Comment peut-elle faire un enfant alors que le sien est en train de mourir ? "

De jour en jour, le ciel s’assombrit et les espoirs de guérison s’envolent petit à petit. Le diagnostic est difficile à poser. Les médecins pensent à une maladie neurodégénérative. Devenue aveugle, Sara ne parvient plus à bouger, ni à déglutir. En mars, ses parents découvrent avec les médecins les résultats des IRM (imagerie par résonance magnétique). "Son cerveau disparaissait littéralement petit à petit. C’était très difficile de voir ça. Tout s’est effondré... On nous a confirmé que notre fille était condamnée", révèle Stéphanie.

Le même mois, la jeune femme apprend qu’elle est à nouveau enceinte. "Mais j’ai laissé cette grossesse un peu de côté. Je n'osais pas en parler à cause des qu’en-dira-t-on. Comment peut-elle faire un enfant alors que le sien est en train de mourir ?"

En avril, la pathologie dont souffre Sara se précise. Les médecins s’orientent vers une maladie génétique rare qui empêche le cerveau de fonctionner normalement. Les conséquences sont graves et visiblement irréversibles. 

Le jour de la fête des mères, la fillette débarque en ambulance chez ses parents pour passer quelques heures à la maison. "Un beau cadeau de la part du directeur de l'hôpital qui a prêté les ambulances. La journée s'est terminée en catastrophe puisque, arrivant à court d'oxygène dans la bouteille, nous avons dû appeler le 112. Les urgentistes sont venus, ils ont aidé Sara à respirer. On ne nous a pas facturé l'intervention étant donné son état", relate Stéphanie.


Une "désescalade thérapeutique"

Le 5 juillet 2013, en fin de journée, le cœur de Sara émet son dernier battement à l’hôpital. Elle est âgée de 7 mois. "Notre fille a été incinérée quelques jours plus tard. Nous avons gardé l’urne à la maison. Officiellement, les médecins ont refusé de l’euthanasier. Mais je me souviens que, lors de discussions avec eux, ils me demandaient si on voulait qu’ils l’aident à mourir. On leur a répondu qu’on ne le voulait pas mais qu’il le fallait pour éviter qu’elle ne souffre de trop."

Bruno Fohn, psychologue à la cellule d’aide au deuil du CHR de la Citadelle de Liège, tient à préciser que, dans ce cas-ci, le mot "euthanasie" n'est pas approprié. Il parle plutôt d'arrêt de traitement. "A cet âge-là et dans cette situation, ces enfants ont besoin d’une assistance pour respirer et/ou s’alimenter. On n’est donc pas dans le registre d’une euthanasie dans le sens classique du terme, on est dans une désescalade thérapeutique, c'est-à-dire qu’on arrête un certain nombre de supports indispensables à la vie de l’enfant qui finit par s'éteindre", explique le spécialiste.


Lucie est atteinte de la même maladie

Quand Sara décède, sa maman est enceinte de six mois. "A 33 semaines de grossesse, on m’a fait une amniocentèse pour connaître le diagnostic pour notre bébé. Quinze jours plus tard, début septembre, mon obstétricien de l'époque m’a téléphoné pour m'annoncer qu’il était atteint de la même maladie", révèle Stéphanie. Un médecin propose dès lors à la maman d’interrompre sa grossesse. "Mais une psychologue a refusé en disant que je n'étais pas un ordinateur qu'il fallait formater et que, pour commencer le chemin de deuil, il était préférable que je vive l'accouchement jusqu'au bout. On savait que l’enfant aurait une courte vie, mais sans douleur car il ne devrait pas subir de lourds examens médicaux comme Sara", indique la trentenaire.

Stéphanie et son mari choisissent de voir naître la petite Lucie. "Je voulais pouvoir expliquer à mon enfant ce qu'elle avait et ce qui allait se passer. J’ai aussi pris cette décision parce que je nourrissais un petit espoir que les médecins se soient trompés", avoue-t-elle.

Cette réaction est fréquente selon Bruno Fohn, qui accompagne les parents endeuillés depuis plus de 20 ans. "Dans toutes ces situations de pertes périnatales, il y a ces espoirs magiques, l’espoir d’un miracle. On espère toujours dans un coin de sa tête une erreur des médecins ou que quelque chose va se passer pour que l’enfant ne soit pas atteint par la maladie dépistée. Les parents sentent eux-mêmes que c’est probablement irrationnel mais, en même temps, c'est à respecter parce que c’est un mécanisme classique d’adaptation à un choc important", indique le psychologue.  

Coïncidence troublante du calendrier, Lucie voit le jour le 15 octobre 2013, la date de la journée de sensibilisation au deuil périnatal. La petite fille ne vit que quelques jours. Elle décède le 7 novembre, très tard le soir. Stéphanie se souvient avec précision de ce moment douloureux. "Pendant ces 23 jours, j’étais auprès d’elle, je la tenais dans mes bras. Son dernier jour de vie, c’est peut-être l’instinct maternel, j’ai senti qu’elle était sur la fin. Mon mari est alors allé à l’hôpital pour vérifier son état de santé. Un peu après, l’infirmière m’a appelé pour me dire qu’elle était effectivement en fin de vie et que je pouvais venir pour l’accompagner. Le temps de trouver quelqu’un pour garder les enfants, j’ai couru jusqu’à l’hôpital, mais quand je suis arrivée c’était déjà trop tard. En fait, l’infirmière m’a avoué qu’elle était déjà décédée lors de son appel mais qu’elle ne pouvait pas le dire au téléphone. Je ne le croyais pas trop au début, donc je l’ai prise dans mes bras et j’ai crié pour qu’elle se réveille. Mais le médecin m’a dit que c’était fini."


"Notre grand garçon a fait beaucoup de crises de colère et de larmes"

Même si elle est anéantie, Stéphanie ne veut pas montrer son chagrin. Les larmes ne coulent pas sur son visage. Elle essaye au contraire de garder le moral pour ses enfants. "On m’a fait beaucoup de reproches par rapport à ça. Le lendemain matin, quand j’ai conduit Léo et Emma à l’école, d’autres mamans n’ont pas compris mon sourire. J’ai pourtant expliqué que, pour mes autres enfants, je devais rester souriante parce qu’ils n’ont pas choisi d’avoir des parents en deuil", estime-t-elle.

D’autant plus que Léo vit très difficilement les décès de ses deux petites sœurs. "Après la mort de Sara, notre grand garçon a fait beaucoup de crises de colère et de larmes", se souvient sa maman. "Encore maintenant, il dit parfois qu’il n’a pas le droit de vivre, il se demande pourquoi, lui, il est vivant. Léo va avoir 12 ans cette année et c’est toujours un enfant très sensible. Il pleure rapidement." De son côté, Emma pose aussi des questions à ses parents, mais semble moins affectée. "Quand Sara est décédée, Emma avait 5 ans. Elle réagissait mieux peut-être parce qu’elle était plus petite. Elle parle de ses petites sœurs normalement. Et elle demande d’avoir une petite sœur qui ne mourra pas."

Le mari de Stéphanie, lui, préfère ne pas extérioriser ses douleurs. "On parle de nos deux petites filles décédées sans tabou. On se soutient comme ça. Mais, lui, il le vit autrement. Il est très silencieux. Il ne parlera pas de ses émotions. Il ne va pas me dire qu’il est triste", confie la trentenaire.


"C’est une maman qui demande que l’on tue son enfant"

Au-delà de la tristesse, Stéphanie doit affronter un énorme sentiment de culpabilité. "Je suis en paix avec la mort de Lucie, mais pas de Sara... Je m'occupais de mes deux autres enfants et je n'étais pas toujours à ses côtés. Je devais aussi continué à aller travailler. Et médicalement parlant, je ne pouvais rien faire pour elle", souffle-t-elle. Le jour où sa fille perd la vie, Stéphanie ne la tient pas dans ses bras. Elle n’y arrive pas. "C’est son papa qui la tenait et, moi, je ne l’ai même pas regardé mourir. Je regardais par la fenêtre. Je ne sais pas pourquoi. Et aujourd’hui, je le regrette beaucoup. C’est peut-être parce que c’est moi qui ai demandé au médecin de l’aider à mourir. C’est une maman qui demande que l’on tue son enfant, même si c’est parce qu’elle est malade et qu’elle n’aurait pas vécu longtemps de toute façon."

Ce sentiment de culpabilité est très répandu chez les parents endeuillés. "Il y a une culpabilité de fond de ne pas avoir réussi à faire un enfant en bonne santé, même si rien n’aurait pu le changer. Une maladie génétique, personne n’en est la cause volontaire", souligne Bruno Fohn. Quand le psychologue rencontre ces parents pour les accompagner dans leur chemin de deuil, il essaye de cadrer plus précisément leur choix. "Ils doivent trancher entre la mort d’une manière douce ou dans la souffrance. Ce n’est pas comme si on avait le choix entre noir et blanc, mais plutôt entre gris foncé et gris un peu plus foncé. Cela n’a pas beaucoup de sens de laisser vivre un enfant dont les perspectives thérapeutiques sont nulles. Mais, après la décision, il y a des mouvements de mise en question et de doutes qui sont logiques."


Naissance de Nathan: "Une victoire sur la génétique"

Après le décès de Lucie, Stéphanie est rapidement tombée à nouveau enceinte. "A ce moment-là, vouloir un autre enfant, cela a été comme une évidence. Il a été conçu tout de suite parce que je ne voulais pas rester sur deux décès. Je voulais un enfant en pleine vie", explique-t-elle. A 12 semaines de grossesse, l’Hennuyère subit une biopsie du placenta. L’inquiétude est grande. Mais, cette fois, la chance leur sourit. "Quinze jours plus tard, le généticien m’a annoncé que c'était un garçon et qu'il était en pleine forme. J'étais super heureuse qu'il ne soit pas atteint par cette maladie", se souvient-elle. Le couple révèle alors à leurs proches cette grossesse tenue secrète. "On préférait ne rien dire parce que s’il avait été malade, je n’aurais pas été jusqu’au bout. Physiquement, cela aurait été trop difficile puisque j’ai quand même eu trois grossesses à terme en moins de deux ans. Et je ne voulais plus accoucher d’un enfant qui allait mourir."

Nathan voit le jour le 20 septembre 2014 au petit matin. "Une victoire sur la génétique. Un petit bébé espoir qui remet des couleurs dans nos vies à tous."

Depuis sa naissance, le petit garçon connaît l’existence de ses sœurs décédées. Quand il regarde les photos de Sara et Lucie, il sait d’ailleurs les prénommer. "On lui dit qu’elles sont au ciel... Elles font partie intégrante de notre vie. C'est pour ça que nous en parlons souvent, de façon naturelle. Comme pour mes trois autres enfants plein de vie, je me remémore leurs naissances." Pour Stéphanie, il est crucial que ce sujet ne soit pas un tabou. Une façon pour elle de gérer plus facilement son deuil. "Quand on parle d’elles, je vois le regard de mon entourage qui change. Ils ont l’air gêné, ils ont peut-être peur de me faire du mal, mais c’est justement ne pas en parler qui nous fait du mal car c’est nier leur existence. Il ne faut pas que les gens aient peur de parler d’enfants qui ne sont plus là. Face à la douleur et le manque, une maman peut pleurer. Cela fait du bien", assure-t-elle.

Bruno Fohn conseille d'ailleurs aux parents de vivre pleinement leurs émotions liées à la perte d'un enfant et d'éviter le mécanisme de fuite. "Aujourd’hui, les pratiques vont dans le sens de privilégier la concrétisation de la grossesse, même si elle s’arrête en cours, et la concrétisation de la perte. Ce qui suppose également de rendre cet enfant "vivant" pour qu’il puisse mourir. On ne sait se détacher que de quelque chose auquel on a été attaché", souligne le psychologue. "Lorsque ce processus est fait soigneusement, cela permet ensuite aux parents de le rendre présent dans leur vie de manière plus ajustée. Il peut y avoir deux dérives. Soit ces enfants deviennent des fantômes, soit l’hyper présence fait que l’on a des maisons qui ressemblent à des mausolées à la mémoire de l’enfant. La voie intéressante est plutôt médiane. C’est une expérience inscrite dans l’histoire de la famille. Ces enfants y ont donc une place qui doit être concordante avec la réalité."   


"J’ai eu une grosse claque. Je me suis effondrée"

Avec le temps, Stéphanie tente d’apprivoiser sa douleur et son chagrin. Après la naissance de son dernier garçon, elle sombre toutefois dans une forme de dépression. La mère de famille souffre de stress post-traumatique causé par le décès de ses filles. "J’ai eu une grosse claque. Je me suis effondrée. D’ailleurs, je n’ai pas repris mon travail. Je suis suivie par un psychiatre et je dois aussi voir un psychologue car aujourd’hui je ne dors plus, je fais des cauchemars et j’ai des hallucinations. Je vois une petite fille qui s’en va en courant. Au fond de moi, je sais que c’est Sara. C’est bizarre mais c’est comme ça", révèle-t-elle.

Bruno Fohn souligne que ce genre de dépression réactionnelle est liée à l'espoir plus ou moins explicite qu'un nouvel enfant va pouvoir apaiser la douleur du ou des décès précédents. "Et l’expérience montre que ce n’est pas forcément le cas. Bien entendu, à ce moment-là, surtout quand les choses atteignent une certaine intensité ou une certaine durée, le plus utile est de consulter une personne qui peut apporter une aide spécialisée par rapport à cette problématique." 


"J’ai fait des rencontres extraordinaires sur les réseaux sociaux"

Heureusement, Stéphanie reçoit aussi le soutien d’autres parents endeuillés. "J’ai fait des rencontres extraordinaires sur les réseaux sociaux, dont certaines se sont concrétisées." Depuis trois ans, elle est ainsi devenue ambassadrice pour une association française qui aide des enfants atteints de maladies graves à mieux supporter leur quotidien. "J’ai aussi repris une formation en ligne pour faire du secrétariat médical. Mon but est de pouvoir travailler dans un hôpital", explique-t-elle.

Son espoir est de pouvoir apporter à son tour un réconfort à d’autres parents. "J’aimerais leur donner ce que je n’ai pas eu. Nous n’avions pas vraiment quelqu’un à qui nous confier. On se sentait seuls. Pourtant, c’est essentiel d’accompagner les parents, surtout quand ils savent que leur enfant est condamné." En attendant, Stéphanie poursuit son parcours de deuil, ce long chemin douloureux.

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